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20/02/2025 | FRANCE | N°498964

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 20 février 2025, 498964


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 1er août 2024 par lequel la préfète de l'Allier a prononcé son expulsion du territoire français et a procédé au retrait de son titre de séjour.



Par une ordonnance n° 2402400 du 16 octobre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Clermon

t-Ferrand a rejeté sa demande.



Par un pourvoi sommaire, un mémoire complé...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 1er août 2024 par lequel la préfète de l'Allier a prononcé son expulsion du territoire français et a procédé au retrait de son titre de séjour.

Par une ordonnance n° 2402400 du 16 octobre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 novembre et 3 décembre 2024 et le 23 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Lehman, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Gury et Maître, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".

2. Aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3 ". Aux termes de l'article L. 631-2 du même code : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion que si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que l'article L. 631-3 n'y fasse pas obstacle : 1° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; [...] / Par dérogation au présent article, peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application de l'article L. 631-1 l'étranger mentionné aux 1° à 4° du présent article lorsque les faits à l'origine de la décision d'expulsion ont été commis à l'encontre de son conjoint, d'un ascendant ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l'autorité parentale ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. B..., ressortissant tunisien, titulaire d'un titre de séjour de dix ans délivré en 2015, a fait l'objet le 1er août 2024 d'un arrêté d'expulsion pris par la préfète de l'Allier, sur le fondement de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif qu'il représentait une menace grave pour l'ordre public au vu notamment des condamnations pénales dont il a fait l'objet pour des faits de violences conjugales. M. B... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 16 octobre 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de cette décision.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. B... a fait l'objet entre 2019 et 2021 de trois condamnations pénales pour des faits de violences conjugales à l'encontre de son épouse, de nationalité française, avec laquelle il a eu trois enfants, et pour des faits de conduite sans permis et sous l'emprise de stupéfiants. Il ressort toutefois également des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. B..., né en France, réside sur le territoire français depuis au moins 2011, qu'il est séparé depuis 2021 de son épouse, qu'il pourvoit à l'entretien et à l'éducation de ses trois enfants mineurs nés en 2013, 2017 et 2020 de sa première union et dont le juge des enfants du tribunal judiciaire de Moulins a ordonné, le 5 juillet 2024, le placement auprès de lui au vu des éléments de danger observés au domicile de leur mère. Il ressort de ces mêmes pièces que M. B... est le père d'un quatrième enfant né en 2023 de son union avec une ressortissante de nationalité française avec laquelle il vit depuis 2021. Aussi, dans ces circonstances particulières, M. B... est fondé à soutenir qu'en estimant que le moyen tiré de ce que la décision attaquée portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

6. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, M. B... est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la demande de suspension :

8. En premier lieu, eu égard à son objet et à ses effets, une décision prononçant l'expulsion d'un étranger du territoire français porte, en principe, et sauf à ce que l'administration fasse valoir des circonstances particulières, par elle-même atteinte de manière grave et immédiate à la situation de la personne qu'elle vise et crée, dès lors, une situation d'urgence justifiant que soit, le cas échéant, prononcé la suspension de cette décision. Si le ministre de l'intérieur fait valoir le trouble à l'ordre public que constituerait la présence en France de M. B..., condamné à plusieurs reprises pour des faits de violences conjugales, les circonstances invoquées ne sont pas de nature à conduire à regarder la condition d'urgence comme n'étant pas remplie en l'espèce.

9. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu'en l'état de l'instruction, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la demande, que M. B... est fondé à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du 1er août 2024 de la préfète de l'Allier ordonnant son expulsion, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur sa légalité.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros à verser à M. B... pour l'ensemble de la procédure.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 16 octobre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand est annulée.

Article 2 : L'exécution de l'arrêté de la préfète de l'Allier du 1er août 2024 prononçant l'expulsion de M. B... est suspendue jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande présentée par l'intéressé devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 498964
Date de la décision : 20/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 20 fév. 2025, n° 498964
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Lehman
Rapporteur public ?: M. Nicolas Labrune
Avocat(s) : SARL GURY & MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:498964.20250220
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