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20/02/2025 | FRANCE | N°500770

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 20 février 2025, 500770


Vu la procédure suivante :

L'association La Cimade et autres ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :



1°) d'enjoindre au préfet de la Guyane et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de communiquer les statistiques demandées le 28 octobre 2024, dans le délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir ;



2°) d'accorder le bénéfice de l'aide jur

idictionnelle aux requérants individuels qui en ont fait la demande ;



3°) d'o...

Vu la procédure suivante :

L'association La Cimade et autres ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre au préfet de la Guyane et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de communiquer les statistiques demandées le 28 octobre 2024, dans le délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir ;

2°) d'accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle aux requérants individuels qui en ont fait la demande ;

3°) d'ordonner toutes mesures utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des demandeurs d'asile en Guyane, notamment :

- d'enjoindre au préfet de la Guyane d'apporter une modification sur les convocations au guichet unique des demandeurs d'asile (GUDA) afin qu'il soit mentionné que les personnes disposent du droit de maintien sur le territoire, dans le délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

- d'enjoindre au préfet de la Guyane de permettre aux demandeurs d'asile qui sont munis d'une convocation au guichet unique dépassant le délai de six mois prévus par l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) de solliciter une autorisation provisoire de travail dans le délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir ;

- d'enjoindre au préfet de la Guyane d'ouvrir des créneaux horaires toute la journée pour doubler le nombre de rendez-vous disponibles par jours ouvrés dans le délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir ;

- d'enjoindre au préfet de la Guyane d'affecter des effectifs pour ouvrir des guichets supplémentaires pour l'enregistrement des demandes d'asile dans le délai de quinze jours à compter de l'ordonnance à intervenir ;

- d'enjoindre à l'OFII de renforcer les moyens financiers de la structure de premier accueil afin qu'elle puisse fournir des colis alimentaires quotidiens aux demandeurs d'asile en attente de rendez-vous au GUDA dans un délai de quarante-huit heures ;

- d'enjoindre au préfet de revoir la décision d'organisation des services relative à l'enregistrement des demandes d'asile afin d'augmenter le nombre de rendez-vous disponibles dans le GUDA afin de revenir au délai légal de trois jours ouvrés dans un délai de trois mois à compter de l'ordonnance à intervenir ;

- d'enjoindre à l'OFII de procéder, en lien avec la structure de premier accueil, à une proposition d'offre des conditions matérielles prévue à l'article L. 551-8 du CESEDA et d'ouvrir les droits aux conditions matérielles d'accueil dès la présentation de la demande d'asile, dans un délai de trois mois à compter de l'ordonnance à intervenir ;

- d'enjoindre au préfet de la Guyane de délivrer un rendez-vous au GUDA dans un délai de dix jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard aux requérants individuels.

Par une ordonnance n° 2401761 du 21 décembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a, en premier lieu, admis les requérants individuels qui en avaient fait la demande au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, enjoint au préfet de la Guyane d'enregistrer les demandes d'asile présentées par les requérants individuels dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance et, en dernier lieu, rejeté le surplus de la demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 janvier et 3 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association La Cimade demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 21 décembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de la Guyane ;

2°) de faire droit à l'ensemble des conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'OFII, respectivement, la somme d'un euro symbolique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a méconnu son office en ne prenant pas les mesures nécessaires pour faire cesser une atteinte manifestement illégale aux droits des demandeurs d'asile alors qu'il n'est pas exclu qu'il puisse prendre de telles mesures lorsque l'atteinte naît de l'inaction systémique de l'administration ;

- le juge des référés a méconnu son office en ce qu'il n'a pas enjoint au préfet de la Guyane et à l'OFII de prendre des mesures simples et réalisables à très brève échéance concernant, d'une part, la diffusion et la publication par le préfet d'une instruction auprès des services de police précisant que les personnes munies de convocation indiquant une date prochaine ne sont pas susceptibles d'être placées en rétention administrative et, d'autre part, la mission de l'OFII de fournir une aide matérielle d'urgence via des crédits supplémentaires alloués à la structure de premier accueil ;

- le juge des référés a méconnu son office en ce qu'il n'a pas enjoint au préfet de prendre, à plus longue échéance, des mesures réglementaires tendant à revoir l'organisation de son guichet unique d'enregistrement afin de respecter le délai légal de trois jours ouvrés prévu à l'article L. 521-4 du CESEDA ;

- le juge des référés a méconnu son office en rejetant les conclusions visant à mettre en œuvre des mesures provisoires relatives aux conditions d'accueil dans l'attente du rétablissement du délai d'enregistrement alors que, d'une part, la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 prévoit un droit à bénéficier de conditions matérielles d'accueil décentes dès le dépôt de la demande d'asile, et non pas dès son enregistrement, et, d'autre part, près de 12 000 demandeurs d'asile sont en attente de l'enregistrement de leur demande depuis la fin de l'année 2024 et sont dépourvus de conditions matérielles d'accueil décentes ;

- l'ordonnance contestée est entachée d'un défaut de motivation en ce qu'elle ne répond pas au moyen pris de ce que les dispositions du titre V du livre V du CESEDA sont manifestement contraires aux articles 15, 17 et 18 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 alors qu'il était recevable ;

- la condition d'urgence est satisfaite en ce que les délais excessifs d'enregistrement des demandes d'asile en Guyane placent les demandeurs dans une situation de dénuement extrême ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales, en particulier au droit d'asile, eu égard à l'existence d'une carence systémique de l'administration dans la mise en œuvre de l'enregistrement des demandes d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2025, l'OFII conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2025, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association La Cimade et, d'autre part, le ministre de l'intérieur, le ministre des outre-mer, l'OFII et l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 3 février 2025, à 10 heures 30 :

- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association La Cimade ;

- le représentant de l'association La Cimade ;

- le représentant du ministre de l'intérieur ;

- les représentants de l'OFII ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au lundi 10 février à 18 heures ;

Vu le mémoire après audience, enregistré le 6 février 2025, présenté par le ministre de l'intérieur ;

Vu le mémoire après audience, enregistré le 8 février 2025, présenté par l'association La Cimade ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

Sur l'office du juge des référés :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en œuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

3. Si la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation familiale. Dans cette hypothèse, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier au regard de la situation du demandeur d'asile et en tenant compte des moyens dont dispose l'administration et des diligences qu'elle a déjà accomplies. Toutefois, il ne lui appartient pas d'ordonner à l'administration de prendre des mesures ne relevant pas des pouvoirs qu'elle détient.

Sur le cadre juridique du litige :

4. Aux termes de l'article 6 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " 1. Lorsqu'une personne présente une demande de protection internationale à une autorité compétente en vertu du droit national pour enregistrer de telles demandes, l'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrables après la présentation de la demande. / Si la demande de protection internationale est présentée à d'autres autorités qui sont susceptibles de recevoir de telles demandes, mais qui ne sont pas, en vertu du droit national, compétentes pour les enregistrer, les Etats membres veillent à ce que l'enregistrement ait lieu au plus tard six jours ouvrables après la présentation de la demande. / (...) 5. Lorsque, en raison du nombre élevé de ressortissants de pays tiers ou d'apatrides qui demandent simultanément une protection internationale, il est dans la pratique très difficile de respecter le délai prévu au paragraphe 1, les Etats membres peuvent prévoir de porter ce délai à dix jours ouvrables ". Aux termes de l'article 6 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale : " Les Etats membres font en sorte que les demandeurs reçoivent, dans un délai de trois jours à compter de l'introduction de leur demande de protection internationale, un document délivré à leur nom attestant leur statut de demandeur ou attestant qu'ils sont autorisés à demeurer sur le territoire de l'Etat membre pendant que leur demande est en attente ou en cours d'examen (...) ". Selon l'article 17 de la même directive, " Les Etats membres font en sorte que les demandeurs aient accès aux conditions matérielles d'accueil lorsqu'ils présentent leur demande de protection internationale ". L'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) disposait, jusqu'au 1er mai 2021, que : " L'enregistrement des demandes d'asile a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. Toutefois, ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu'un nombre élevé d'étrangers demandent l'asile simultanément (...) ". Ces dispositions sont désormais reprises à l'article L. 521-4 du même code. Aux termes de l'article L. 541-1 du même code : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français ". Selon l'article L. 541-2 du même code : " L'attestation délivrée en application de l'article L. 521-7, dès lors que la demande d'asile a été introduite auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, vaut autorisation provisoire de séjour et est renouvelable jusqu'à ce que l'office et, le cas échéant, la Cour nationale du droit d'asile statuent ".

5. Aux termes de l'article 17 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale : " 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs aient accès aux conditions matérielles d'accueil lorsqu'ils présentent leur demande de protection internationale. / (...) 3. Les États membres peuvent subordonner l'octroi de tout ou partie des conditions matérielles d'accueil et des soins de santé à la condition que les demandeurs ne disposent pas de moyens suffisants pour avoir un niveau de vie adapté à leur santé et pour pouvoir assurer leur subsistance " ; qu'aux termes du troisième paragraphe de l'article 7 de la directive : " 3. Les États membres peuvent prévoir que, pour bénéficier des conditions matérielles d'accueil, les demandeurs doivent effectivement résider dans un lieu déterminé fixé par les États membres. Ces décisions, qui peuvent être à caractère général, sont prises au cas par cas et fondées sur le droit national ". Aux termes de l'article L. 551-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, comprennent les prestations et l'allocation prévues aux chapitres II et III ". Aux termes de l'article L. 551-9 du même code : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile sont proposées à chaque demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de sa demande par l'autorité administrative compétente ". Aux termes de son article L. 553-1 : " Le demandeur d'asile qui a accepté les conditions matérielles d'accueil proposées en application de l'article L. 551-9 bénéficie d'une allocation pour demandeur d'asile s'il satisfait à des conditions d'âge et de ressources. Le versement de cette allocation est ordonné par l'Office français de l'immigration et de l'intégration ".

6. Aux termes de l'article R. 591-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'en Guyane, l'augmentation significative du niveau de la demande d'asile constatée sur une période de trois mois le justifie au regard des caractéristiques et des contraintes particulières de la collectivité, le ministre chargé de l'asile peut prévoir par un arrêté motivé, après s'être assuré de la disponibilité des moyens humains et matériels nécessaires au traitement complet des demandes d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'application de l'adaptation des modalités de traitement des demandes d'asile dans les conditions prévues à l'article R. 591-7. L'arrêté est pris pour une période qui ne peut excéder dix-huit mois. Il est renouvelable. Il fixe la date à laquelle les dispositions de l'article R. 591-7 entrent en vigueur dans la collectivité (...) ".

Sur l'appel de la Cimade :

7. La Cimade et autres ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Guyane, d'une part, de revoir l'organisation de ses services afin d'accroître les moyens en personnels affectés au guichet unique d'accueil des demandeurs d'asile (GUDA) ainsi que l'amplitude horaire d'ouverture de ce guichet afin de doubler le nombre de rendez-vous disponibles par jour ouvrés, de garantir, dans l'attente du dépôt de leur demande d'asile, les droits des personnes concernées au maintien sur le territoire, à l'accès à l'emploi ainsi qu'aux conditions matérielles d'accueil dès leur prise en charge par la structure de premier accueil des demandeurs d'asile (SPADA) et, d'autre part, de délivrer sans délai aux requérants individuels un rendez-vous au guichet unique. La Cimade relève appel de l'ordonnance du 21 décembre 2024 en tant que le juge des référés de première instance n'a fait droit qu'aux seules conclusions des requérants individuels et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

En ce qui concerne les mesures relatives à l'enregistrement des demandes d'asile :

8. Il résulte de l'instruction que le département de la Guyane connaît depuis le début de l'année 2024 une augmentation considérable du nombre des demandes d'asile, présentées principalement par des ressortissants haïtiens, mais également par des personnes originaires du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord. Le nombre de demandes, qui s'élevait à 7 027 en 2023 en tenant compte des demandes de réexamen, est passé à 9 214 en 2024, faisant ainsi peser une charge exceptionnellement élevée sur la SPADA de Cayenne et qui ont conduit à un accroissement très important des délais pour l'obtention d'un rendez au guichet unique, qui étaient supérieurs à 18 mois à la fin de l'année 2024. 6 304 rendez-vous ont été fixés pour l'année 2025 et 5 013 rendez-vous sont prévus entre les mois de janvier et novembre 2026.

9. La Cimade soutient que la dégradation de la situation en Haïti depuis 2021 et la proximité géographique avec ce pays rendaient prévisible la forte augmentation du nombre de demandeurs d'asile dès 2022 et que, dans ce contexte, l'absence de mesures prises pour adapter le dispositif d'accueil et d'enregistrement de ces personnes caractériserait une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile. L'association requérante fait notamment valoir qu'une restructuration complète du dispositif d'accueil aurait dû être envisagée, avec un accroissement significatif des moyens en personnels et la mise à disposition de locaux plus adaptés, afin d'augmenter de manière conséquente le nombre de rendez-vous que la SPADA et le GUDA sont en capacité traiter chaque jour. Toutefois, il y a lieu de relever, d'une part, que, par un arrêté du 5 juillet 2024 pris en application des dispositions de l'article R. 591-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile citées au point 6, le ministre de l'intérieur a décidé, compte tenu de l'augmentation significative du nombre de demandeurs d'asile en Guyane, de réduire de 21 jours à 7 jours le délai fixé pour l'introduction d'une demande d'asile auprès de l'OFPRA, et de 6 mois à 21 jours le délai dont dispose l'OFPRA pour statuer sur ces demandes. D'autre part, il résulte des échanges à l'audience que l'OFII a procédé à une adaptation de la structure de premier accueil des demandeurs d'asile, qui est établie depuis la fin de l'année 2024 dans des bâtiments plus spacieux en périphérie de la ville de Cayenne et a bénéficié d'une augmentation très sensible des moyens qui lui sont alloués pour assurer l'accompagnement juridique et l'aide matérielle d'urgence des demandeurs d'asile en lien avec les services de la Croix Rouge, en particulier des plus vulnérables d'entre eux, ce qui a permis de délivrer entre les mois de juillet et d'octobre 2024 près de 300 rendez-vous en vue de l'enregistrement des demandes d'asile au guichet unique. Enfin, la préfecture de la Guyane a réorganisé ce dernier, qui compte actuellement 4 guichets d'accueil auxquels sont affectés 6 fonctionnaires et 4 agents de l'OFII, afin de permettre le traitement de près de 40 rendez-vous par jour. Ainsi que l'a relevé le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane dans l'ordonnance dont il est relevé appel, le renfort d'effectifs a permis d'augmenter très sensiblement le nombre de demandeurs d'asile reçus au guichet unique, qui est passé de 3 542 en 2022 à 9 036 en 2024. Compte tenu des moyens supplémentaires alloués au GUDA, le nombre de rendez-vous a pu être porté de 36 à 50 par jour ouvré, ce qui a conduit à l'enregistrement, au cours du seul mois de janvier 2025, de 1 009 demandes d'asile. Par suite, dans les circonstances très particulières de l'espèce et en l'état de l'instruction, il n'apparaît pas que le comportement de l'administration serait de nature à révéler, eu égard aux diligences déjà accomplies, une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile.

Sur l'octroi des conditions matérielles aux demandeurs d'asile :

10. L'association requérante demande au juge des référés d'enjoindre au préfet de la Guyane de prendre les dispositions nécessaires afin que les conditions matérielles d'accueil soient proposées aux demandeurs d'asile dès leur prise en charge par la structure de premier accueil des demandeurs d'asile et la délivrance d'un rendez-vous au guichet unique des demandeurs d'asile.

11. Il résulte des dispositions de l'article L. 551-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 5 que l'accès aux conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile est subordonné à l'enregistrement de sa demande par le guichet unique. Par suite, ces dispositions font obstacle, alors même que l'étranger serait convoqué dans un délai excédant le délai légal d'enregistrement de la demande, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Guyane de prévoir que la convocation du demandeur au guichet unique vaudra attestation de demande d'asile et ouvrira droit aux conditions matérielles d'accueil.

Sur le droit au maintien sur le territoire :

12. La Cimade demande au juge des référés d'enjoindre au préfet de la Guyane de modifier le libellé des convocations au guichet unique des demandeurs d'asile afin qu'il soit mentionné que, dans l'attente du rendez-vous à ce guichet, les personnes concernées disposent d'un droit au maintien de leur séjour sur le territoire.

13. En premier lieu, il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 541-1 et L. 541-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 4 que l'attestation de demande d'asile ne peut être délivrée par le préfet territorialement compétent qu'après l'enregistrement de cette demande. Par suite, ces dispositions font obstacle, alors même que l'étranger serait convoqué dans un délai excédant le délai légal d'enregistrement de la demande, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Guyane de prendre des dispositions afin de prévoir que la convocation du demandeur au guichet unique dans un délai supérieur à dix jours ouvrés vaudra attestation de demande d'asile.

14. En second lieu, il résulte de l'instruction et des échanges au cours de l'audience que le préfet de la Guyane a d'ores et déjà pris l'engagement de ne procéder à l'éloignement du territoire d'aucune des personnes en attente d'un rendez-vous à la SPADA ou au guichet unique compétent pour les demandeurs d'asile.

Sur la délivrance d'une attestation de travail :

15. La Cimade demande au juge des référés d'enjoindre au préfet de la Guyane de permettre aux demandeurs d'asile munis d'une convocation au guichet unique dans un délai dépassant 6 mois de solliciter une autorisation de travail.

16. Selon l'article 15 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, " 1. Les États membres veillent à ce que les demandeurs aient accès au marché du travail dans un délai maximal de neuf mois à compter de la date d'introduction de la demande de protection internationale lorsque aucune décision en première instance n'a été rendue par l'autorité compétente et que le retard ne peut être imputé au demandeur. 2. Les États membres décident dans quelles conditions l'accès au marché du travail est octroyé au demandeur, conformément à leur droit national, tout en garantissant que les demandeurs ont un accès effectif à ce marché. / Pour des motifs liés à leur politique du marché du travail, les États membres peuvent accorder la priorité aux citoyens de l'Union et aux ressortissants des États parties à l'accord sur l'Espace économique européen, ainsi qu'aux ressortissants de pays tiers en séjour régulier. 3. L'accès au marché du travail n'est pas retiré durant les procédures de recours, lorsqu'un recours formé contre une décision négative prise lors d'une procédure normale a un effet suspensif, jusqu'au moment de la notification d'une décision négative sur le recours ".

17. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'accès au marché du travail peut être autorisé au demandeur d'asile lorsque l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, pour des raisons qui ne sont pas imputables au demandeur, n'a pas statué sur la demande d'asile dans un délai de six mois à compter de l'introduction de la demande. (...) Le demandeur d'asile est soumis aux règles de droit commun applicables aux travailleurs étrangers pour la délivrance d'une autorisation de travail. Toutefois, l'autorité administrative dispose d'un délai d'instruction de deux mois à compter de la réception de la demande d'autorisation de travail pour s'assurer que l'embauche de l'étranger respecte les conditions de droit commun d'accès au marché du travail. A défaut de notification dans ce délai, l'autorisation est réputée acquise. Elle est applicable pour la durée du droit au maintien du séjour du demandeur d'asile ". Le demandeur d'asile est alors autorisé à travailler, en vertu du 14° de l'article R. 5221-3 du code du travail, par une " autorisation provisoire de travail, (...) délivrée (...) à l'étranger salarié qui, par la nature de son séjour ou de son activité, ne relève pas du champ d'application des autorisations de travail " résultant de la nature du titre de séjour qu'il possède. En vertu de l'article R. 5221-20 du même code, pour se prononcer sur la demande d'autorisation de travail, formée par l'employeur, " le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : / 1° La situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée, compte tenu des spécificités requises pour le poste de travail considéré, et les recherches déjà accomplies par l'employeur auprès des organismes concourant au service public de l'emploi pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ; / 2° L'adéquation entre la qualification, l'expérience, les diplômes ou titres de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi auquel il postule ; (...) / 3° le respect par l'employeur, l'utilisateur mentionné à l'article L. 1251-1 ou l'entreprise d'accueil de la législation relative au travail et à la protection sociale ; / 4° Le cas échéant, le respect par l'employeur, l'utilisateur, l'entreprise d'accueil ou le salarié des conditions réglementaires d'exercice de l'activité considérée ; / 5° Les conditions d'emploi et de rémunération offertes à l'étranger, qui sont comparables à celles des salariés occupant un emploi de même nature dans l'entreprise ou, à défaut, conformes aux rémunérations pratiquées sur le marché du travail pour l'emploi sollicité (...) ".

18. S'il résulte des dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 17 que la demande d'autorisation de travail peut en être formulée dès lors que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, pour des raisons qui ne sont pas imputables au demandeur, n'a pas statué sur la demande d'asile dans un délai de six mois, l'autorité administrative disposant alors d'un délai d'instruction de deux mois au terme duquel l'autorisation de travail est réputée acquise, ces dispositions ne prévoient pas la possibilité de délivrer une telle attestation à des étrangers n'ayant pas encore la qualité de demandeur d'asile, alors même que le rendez-vous au guichet unique leur a été fixé dans un délai supérieur à six mois.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la Cimade n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a refusé, par l'ordonnance du 21 décembre 2024 qui est suffisamment motivée, de faire droit à ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Guyane de prendre les mesures énoncées aux points 9, 10, 12 et 15 afin d'assurer le respect des délais fixés à l'article L. 521-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de revoir les modalités selon lesquelles les demandeurs d'asile sont pris en charge par le SPADA et le GUDA.

Sur les frais du litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente affaire, la partie perdante, le versement des sommes que la Cimade demande à ce titre.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de l'association La Cimade est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association La Cimade, au ministre de l'intérieur et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Fait à Paris, le 20 février 2025

Signé : Benoît Bohnert


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 500770
Date de la décision : 20/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 20 fév. 2025, n° 500770
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SARL GURY & MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:500770.20250220
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