Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Transfermodal demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre chargé des transports a rejeté sa demande du 4 juin 2024 tendant à ce que soit édicté l'arrêté prévu à l'article 55 du décret n° 97-444 du 5 mai 1997 relatif aux missions de la société SNCF Réseau ;
2°) d'enjoindre au ministre chargé des transports de prendre cet arrêté dans un délai de six mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des transports ;
- le décret n° 97-444 du 5 mai 1997 ;
- le décret n° 2015-140 du 10 février 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. L'association Transfermodal demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports a rejeté sa demande du 4 juin 2024 tendant à ce que soit édicté l'arrêté prévu à l'article 55 du décret du 5 mai 1997 relatif aux missions de la société SNCF Réseau et à ce qu'il soit enjoint au ministre chargé des transports de prendre cet arrêté.
Sur le cadre juridique :
2. Lorsqu'un décret renvoie à un arrêté le soin de prévoir ses conditions d'application, cet arrêté doit intervenir dans un délai raisonnable, hors le cas où le respect d'engagements internationaux ou de la loi y ferait obstacle, à moins que l'application des dispositions du décret ne soit pas manifestement impossible en l'absence de mesures d'application.
3. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus de prendre les mesures qu'implique nécessairement l'application d'un décret réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité chargée de les édicter, de prendre ces mesures.
4. Il s'ensuit que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'une autorité administrative d'édicter par arrêté les mesures nécessaires à l'application d'un décret, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité d'un tel refus au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision, notamment afin de déterminer si l'autorité en cause a excédé le délai raisonnable qui lui était imparti pour adopter ces mesures.
Sur les conclusions de la requête :
5. Aux termes des premier et troisième alinéas de l'article 55 du décret du 5 mai 1997 relatif aux missions de la société SNCF Réseau, dans sa rédaction en vigueur à la date de la présente décision : " Le croisement à niveau d'une ligne du réseau ferré national par une voie de communication publique nouvelle est interdit. / (...) Le croisement à niveau d'une voie de communication publique existante par une ligne de chemin de fer nouvelle est interdit ". Selon le quatrième alinéa du même article, dont la rédaction est issue du décret du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de SNCF Réseau : " Pour les réouvertures aux circulations publiques d'une ligne sur laquelle celles-ci ont été interrompues depuis plus de cinq ans, un arrêté du ministre chargé des transports prévoit les conditions dans lesquelles les croisements à niveau peuvent être envisagés (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions, qui visent à éviter, pour des motifs de sécurité, la nouvelle mise en service de croisements à niveau, que les croisements à niveau sont interdits en cas de voie de communication ou de voie de chemin de fer nouvelle. Dans le cas de la réouverture d'une ligne de chemin de fer inexploitée depuis plus de cinq ans, si des croisements à niveau peuvent être envisagés, il est renvoyé à un arrêté du ministre chargé des transports la définition des conditions encadrant cette possibilité. A la date de la présente décision, il s'est écoulé dix ans depuis la publication du décret du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de SNCF Réseau ayant modifié l'article 55 du décret du 5 mai 1997 pour fixer ces règles et opérer le renvoi à un arrêté ministériel. L'application des dispositions de cet article 55, en tant qu'elles portent sur la possibilité de croisements à niveau en cas de réouverture aux circulations publiques d'une ligne ferroviaire, étant manifestement impossible en l'absence de l'arrêté qu'elles prévoient, la décision par laquelle le ministre chargé des transports a refusé de faire droit à la demande de l'association requérante tendant à l'édiction de cet arrêté est illégale.
7. Il résulte de ce qui précède que l'association Transfermodal est fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le ministre chargé des transports a rejeté sa demande du 4 juin 2024 tendant à ce que soit édicté l'arrêté prévu à l'article 55 du décret du 5 mai 1997.
8. Il y a lieu d'enjoindre au ministre chargé des transports de prendre l'arrêté demandé dans un délai de neuf mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par l'association requérante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision implicite par laquelle le ministre chargé des transports a refusé de prendre l'arrêté prévu à l'article 55 du décret n° 97-444 du 5 mai 1997 relatif aux missions de la société SNCF Réseau est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation de prendre, dans un délai de neuf mois à compter de la notification de la présente décision, l'arrêté prévu à l'article 55 du décret n° 97-444 du 5 mai 1997 relatif aux missions de la société SNCF Réseau.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association Transfermodal est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association Transfermodal et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Copie en sera adressée à la section des études, de la prospective et de la coopération.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 février 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pascal Trouilly, conseillers d'Etat et M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 21 février 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Alexandre Trémolière
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard