Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 5 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. N... A... et D... E... et Mmes L... M..., F... G..., H... I... et J... K... demandent au Conseil d'Etat :
1°) de déclarer illégal l'article LP. 1er de la " loi du pays " n° 2024-28, adoptée le 14 novembre 2024 par l'assemblée de la Polynésie française, portant modification de la délibération n° 99-176 APF du 14 octobre 1999 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives en Polynésie française ;
2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 74 ;
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- la délibération n° 99-176 APF du 14 octobre 1999 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives en Polynésie française ;
- le code de justice administrative
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes des deux premiers alinéas du I de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : " A l'expiration de la période de huit jours suivant l'adoption d'un acte prévu à l'article 140 dénommé " loi du pays " (...) six représentants à l'assemblée de la Polynésie française peuvent déférer cet acte au Conseil d'Etat. / Ils disposent à cet effet d'un délai de quinze jours. Lorsqu'un acte prévu à l'article 140 dénommé " loi du pays " est déféré au Conseil d'Etat à l'initiative des représentants à l'assemblée de la Polynésie française, le conseil est saisi par une ou plusieurs lettres comportant au total les signatures de six membres au moins de l'assemblée de la Polynésie française ". Aux termes du premier alinéa du III du même article : " Le Conseil d'Etat se prononce sur la conformité des actes prévus à l'article 140 dénommés " lois du pays " au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux et des principes généraux du droit. Il se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'il estime susceptibles de fonder l'annulation, en l'état du dossier (...) ".
2. L'assemblée de la Polynésie française a adopté, le 14 novembre 2024, sur le fondement de l'article 140 de la loi organique du 27 février 2004, la " loi du pays " portant modification de la délibération n° 99-176 APF du 14 octobre 1999 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives en Polynésie française. M. A... et cinq autres représentants à l'assemblée de la Polynésie française défèrent son article LP. 1er au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article 176 de la même loi organique.
3. En premier lieu, aux termes de l'article LP. 5-1 de la délibération du 14 octobre 1999, tel qu'il résulte de l'article LP. 1er de la " loi du pays " contestée : " Les associations sportives peuvent bénéficier de l'aide de la Polynésie française. (...) / Pour solliciter les aides de la Polynésie française, les associations doivent avoir préalablement : / - adopté des dispositions statutaires garantissant le fonctionnement démocratique de leur association, la transparence de leur gestion et l'égal accès des femmes et des hommes à leurs instances dirigeantes tel que précisé par un arrêté pris en conseil des ministres ; / - justifié d'une affiliation à la fédération sportive qui, en application de l'article LP. 9, est délégataire pour la discipline correspondant à leur objet statutaire. Cette seconde condition ne s'applique pas en l'absence de fédération délégataire (...) ".
4. D'une part, en application des articles LP. 9-2 et LP. 10 de la même délibération, tels qu'ils résultent de l'article LP. 1er de la " loi du pays " contestée, l'affiliation des associations sportives constitue l'une des missions de service public des fédérations sportives délégataires et le refus d'affiliation injustifié d'une association par la fédération délégataire est puni d'une amende administrative de 178 500 francs CFP. Il résulte de l'économie générale de ces dispositions qu'une fédération délégataire, contrairement à ce que prétendent les requérants, est tenue d'affilier une association sportive qui en fait la demande dans la discipline pour laquelle elle a reçu délégation, sauf dans l'hypothèse où l'organisation de l'association serait incompatible avec les règles applicables à la fédération délégataire en vertu de la " loi du pays " ou des textes pris pour son application.
5. D'autre part, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce qu'une " loi du pays " règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, à la condition que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet du texte qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
6. Il est loisible à la " loi du pays " de définir des conditions en contrepartie desquelles des aides peuvent être accordées par la Polynésie française aux associations sportives. En prévoyant notamment, pour pouvoir prétendre aux aides de la Polynésie française, qu'une association sportive doit être affiliée à la fédération délégataire dans sa discipline, les dispositions contestées de la " loi du pays ", citées au point 3, ont instauré une différence de traitement entre les associations affiliées et les autres associations. Toutefois, cette différence de traitement, fondée sur une différence de situation entre les deux catégories d'associations, est en rapport direct avec l'objet de ce texte, qui vise à assurer la bonne organisation des activités sportives au sein d'une même discipline, laquelle constitue un motif d'intérêt général, et n'est pas manifestement disproportionnée. Par suite, la condition d'affiliation critiquée par les requérants ne porte pas atteinte au principe d'égalité.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article LP. 9-1 de la délibération du 14 octobre 1999, tel qu'il résulte de l'artice LP. 1er de la " loi du pays " contestée : " I. - La délégation de service public prévue à l'article LP. 9 est octroyée à une fédération sportive par un arrêté pris en conseil des ministres après une procédure d'appel à candidatures. (...) / II. - Participent à cet appel à candidatures les fédérations sportives ayant préalablement : / - adopté des statuts comportant des dispositions qui garantissent le caractère démocratique de leurs élections et de leur fonctionnement, la transparence de leur gestion et l'égal accès des femmes et des hommes à leurs instances dirigeantes, et qui comprennent les dispositions obligatoires définies par arrêté pris en conseil des ministres ; / - adopté un règlement disciplinaire conforme à un règlement type défini par arrêté pris en conseil des ministres ; / - justifier d'une existence d'au moins quatre ans. Par dérogation aux dispositions précédentes, le conseil des ministres peut fixer pour les nouvelles disciplines sportives et disciplines associées et en cas de dissolution d'une fédération sportive existante, une durée d'existence inférieure ; / - justifier d'un nombre minimum de 3 associations sportives affiliées et de 100 licenciés dont la licence non compétition ou compétition a été délivrée conformément aux dispositions de l'article LP. 8-5 (...) ".
8. En exigeant notamment une durée d'existence d'au moins quatre ans pour permettre à une fédération sportive de présenter sa candidature pour obtenir la délégation de service public dans sa discipline, les dispositions contestées de la " loi du pays ", citées au point précédent, ont instauré une différence de traitement entre les fédérations en fonction de leur ancienneté. Toutefois, celle-ci est en rapport direct avec l'objet de ce texte, en ce qu'elle permet, dans le cadre de l'instruction des candidatures, combinée avec les autres critères et conditions définis par la " loi du pays ", d'apprécier la capacité des fédérations candidates à accomplir les missions de service public qui découlent de l'octroi de la délégation, ce qui constitue un motif d'intérêt général, et n'est pas disproportionnée au regard de ce motif. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les dispositions en cause porteraient atteinte au principe d'égalité ne peut qu'être écarté ainsi, par voie de conséquence, et en tout état de cause, que le moyen tiré de la méconnaissance des exigences de liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander que soit déclaré illégal l'article LP. 1er de la " loi du pays " qu'ils attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de la Polynésie française, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. N... A..., premier requérant dénommé, au président de la Polynésie française et au président de l'assemblée de la Polynésie française.
Copie en sera adressée au ministre d'Etat, ministre des outre-mer, et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 février 2025 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 5 mars 2025.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Léandre Monnerville