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07/03/2025 | FRANCE | N°462873

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 07 mars 2025, 462873


Vu la procédure suivante :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe à lui verser une indemnité de 288 937 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'une carence fautive de la caisse dans l'actualisation, au sein du fichier national des professionnels de santé, des informations concernant la mesure de suspension du droit d'exercer prononcée à son encontre par un arrêté du 27 avril 2015 du directeur général de l'agence de santé

de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, annulé par un jugement n° 1...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe à lui verser une indemnité de 288 937 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'une carence fautive de la caisse dans l'actualisation, au sein du fichier national des professionnels de santé, des informations concernant la mesure de suspension du droit d'exercer prononcée à son encontre par un arrêté du 27 avril 2015 du directeur général de l'agence de santé de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, annulé par un jugement n° 1500402 du 31 janvier 2017 du même tribunal. Par un jugement n° 1901471 du 15 juin 2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 21BX03403 du 1er février 2022, la présidente-assesseure de la 2ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté comme manifestement dépourvu de fondement, en application du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, l'appel de Mme A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et deux autres mémoires, produits en réponse à une mesure d'instruction, enregistrés les 4 avril et 4 juillet 2022, le 10 mai 2023 et les 29 avril et 6 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits ;

- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

- l'arrêté du 6 février 2009 portant création d'un traitement de données à caractère personnel dénommé " Répertoire partagé des professionnels de santé " ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme A... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 27 avril 2015, le directeur général de l'agence de santé de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy a suspendu Mme B... A..., médecin spécialiste, qualifiée en anesthésie-réanimation, du droit d'exercer la profession de médecin pour une durée de cinq mois, en application des dispositions de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique. Cette mesure a pris fin automatiquement le 7 septembre 2015 dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de ce même article. Par un jugement du 31 janvier 2017, le tribunal administratif de la Guadeloupe a, à la demande de Mme A..., annulé l'arrêté du 27 avril 2015 du directeur général de l'agence de santé de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

2. Ultérieurement, par un jugement du 14 décembre 2018, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné l'Etat à verser à Mme A... la somme de 124 704 euros en réparation du préjudice économique né de l'illégalité de cet arrêté, du préjudice économique né de l'absence d'actualisation, qu'il a jugée imputable au directeur général de l'agence de santé de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy pour la seule période allant du 8 septembre 2015 au 7 octobre 2015, dans le fichier national des professionnels de santé, des informations concernant la mesure de suspension du droit d'exercer dont elle a fait l'objet et du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence.

3. En outre, à la suite du rejet implicite par la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe de la réclamation préalable de Mme A... tendant à la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'une carence fautive de cette caisse à ne pas avoir supprimé la mention de la mesure de suspension du droit d'exercer prononcée à son encontre dans le fichier national des professionnels de santé, pour la période allant du 8 octobre 2015 - date à laquelle le directeur général de l'agence de santé a demandé à la caisse de rétablir la situation de Mme A... au regard de la prise en charge de ses actes et prestations par la sécurité sociale - au 27 septembre 2016, Mme A... a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande tendant à la condamnation de la caisse à lui verser une indemnité de 288 937 euros. Par un jugement du 15 juin 2021, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande au motif que les conclusions indemnitaires étaient mal dirigées, dès lors que la responsabilité de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe ne saurait être engagée à raison de l'absence de mise à jour des informations concernant Mme A... dans le répertoire partagé des professionnels de santé. Par une ordonnance du 1er février 2022, contre laquelle Mme A... se pourvoit en cassation, la présidente-assesseure de la 2ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté comme manifestement dépourvu de fondement, en application du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

4. D'une part, aux termes de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " En cas d'urgence, lorsque la poursuite de son exercice par un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme expose ses patients à un danger grave, le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel prononce la suspension immédiate du droit d'exercer pour une durée maximale de cinq mois. (...) / Le directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice du professionnel informe immédiatement de sa décision le président du conseil départemental compétent et saisit sans délai le conseil régional ou interrégional lorsque le danger est lié à une infirmité, un état pathologique ou l'insuffisance professionnelle du praticien, ou la chambre disciplinaire de première instance dans les autres cas. Le conseil régional ou interrégional ou la chambre disciplinaire de première instance statue dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. En l'absence de décision dans ce délai, l'affaire est portée devant le Conseil national ou la Chambre disciplinaire nationale, qui statue dans un délai de deux mois. A défaut de décision dans ce délai, la mesure de suspension prend fin automatiquement. / (...) ". Les litiges auxquels peut donner lieu le prononcé par le directeur général de l'agence régionale de santé d'une mesure de suspension en application de ces dispositions ressortissent à la compétence de la juridiction administrative.

5. D'autre part, en application de l'article L. 4113-1 et des articles D. 4113-115 et suivants du code de la santé publique, un arrêté de la ministre de la santé et des sports du 6 février 2009, applicable au litige, a créé un traitement de données à caractère personnel dénommé " Répertoire partagé des professionnels de santé " (RPPS), aux fins, notamment, d'identifier les professionnels de santé en exercice, ayant exercé ou susceptibles d'exercer, de suivre l'exercice de ces professionnels et de contribuer aux procédures de délivrance et de mise à jour des cartes de professionnels de santé. Il résulte des dispositions des articles D. 4113-117 et D. 4113-119 du code de la santé publique et de l'annexe 1 à cet arrêté, que la transmission des informations nécessaires à l'actualisation des données relatives aux professionnels de santé figurant dans ce répertoire relève de la responsabilité de l'instance ordinale, pour ce qui concerne, notamment, le suivi de l'exercice et les décisions de suspension ou d'interdiction d'exercice prononcées par les conseils et devenues définitives, et de celle du ministère et des autorités chargés de la santé, pour ce qui concerne, en particulier, les autorisations d'exercice, les décisions préfectorales de suspension d'exercice et les décisions de suspension d'exercice devenues définitives. Il s'ensuit que la transmission à l'organisme gestionnaire du " Répertoire partagé des professionnels de santé " des données relatives à une suspension du droit d'exercer la médecine prononcée par le directeur général d'une agence régionale de santé, en application de l'article L. 4113-14 du code de la santé publique, incombe à l'Etat, sous le contrôle du juge administratif.

6. Enfin, par une décision du 17 avril 1998 et une décision modificative du 17 mai 2004, le président du conseil de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés a institué un " fichier national des professionnels de santé " destiné à la gestion d'informations nominatives relatives aux professionnels de santé et prestataires de services nécessaires, notamment, à la tarification et à la prise en charge par l'assurance maladie des actes et prestations réalisés par ces derniers. Dans le cadre de ce traitement de données, les informations concernant la situation administrative d'un professionnel de santé, dont celles renseignant son mode d'exercice et les dates d'effet de celui-ci, ne peuvent être mises à jour que par l'organisme local d'assurance maladie auquel il est administrativement rattaché, qui tient compte, pour ce faire, des données relatives à l'exercice professionnel du professionnel inscrites dans le répertoire mentionné à l'article D. 4113-118 du code de la santé publique, dont il a été fait état au point précédent, et auxquelles les caisses primaires d'assurance maladie et les caisses générales de sécurité sociale dans les départements d'outre-mer ont accès en application du 9° de l'article 7 de l'arrêté du 6 février 2009 mentionné au point 5.

7. Les rapports entre les organismes de protection sociale, personnes morales de droit privé, et les médecins étant en principe des rapports de droit privé et les dispositions du 1° de l'article L. 142-1 et du 1° de l'article L. 142-8 du code de la sécurité sociale prévoyant que le juge judiciaire connaît des litiges relatifs à l'application des législations et règlementations de sécurité sociale, les contentieux afférents à l'actualisation du fichier national des professionnels de santé mentionné au point 6 échappent en principe à la compétence de la juridiction administrative.

8. Toutefois, l'actualisation des données relatives à l'exercice professionnel d'un professionnel de santé dans le " répertoire " mentionné à l'article D. 4113-118 du code de la santé publique, qui incombe, sous le contrôle du juge administratif, aux autorités chargées de la santé lorsque ces données sont relatives aux périodes pendant lesquelles ce professionnel a fait l'objet d'une mesure de suspension ou d'interdiction d'exercice prononcée dans le cadre de procédures relevant de la compétence de ces autorités, a une incidence sur la mise à jour par l'organisme local de sécurité sociale compétent des données correspondantes concernant le même professionnel au sein du fichier national des professionnels de santé.

9. Dès lors, le litige né de l'action de Mme A... à l'encontre de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe, tendant à la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la carence fautive de la caisse à ne pas avoir supprimé dans le fichier national des professionnels de santé, pour la période du 8 octobre 2015 au 27 septembre 2016, l'indication de ce que son droit d'exercer la médecine avait été suspendu, alors qu'il est tenu compte pour l'actualisation des données de ce fichier de celles qui figurent dans le " Répertoire partagé des professionnels de santé ", présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et de nature à justifier le recours à la procédure prévue au premier alinéa de l'article 35 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles, aux termes duquel " Lorsqu'une juridiction est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. "

10. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Tribunal des conflits la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour connaître de l'action en responsabilité introduite par Mme A... contre la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe et de surseoir à toute procédure jusqu'à la décision de ce tribunal.

D E C I D E :

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Article 1er : L'affaire est renvoyée au Tribunal des conflits.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de Mme A... jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de l'ordre de juridiction compétent pour y statuer.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe.

Copie en sera adressé à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 462873
Date de la décision : 07/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 mar. 2025, n° 462873
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Fradel
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:462873.20250307
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