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07/03/2025 | FRANCE | N°490715

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 07 mars 2025, 490715


Vu la procédure suivante :



Par six jugements nos 19/00184, 19/00185, 19/00280, 19/00186, 19/00187 et 19/00188 du 4 novembre 2022, le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières a sursis à statuer sur les demandes respectives de Mme C... F... et de MM. H... G..., I... A..., J... B..., K... D... et L... E... tendant à l'indemnisation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de la nullité ou, à défaut, de l'absence de cause réelle et sérieuse de leur licenciement par la Société ardennaise industrielle et de la violation de leur statut prote

cteur qui en a découlé, jusqu'à ce que la juridiction administrative se ...

Vu la procédure suivante :

Par six jugements nos 19/00184, 19/00185, 19/00280, 19/00186, 19/00187 et 19/00188 du 4 novembre 2022, le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières a sursis à statuer sur les demandes respectives de Mme C... F... et de MM. H... G..., I... A..., J... B..., K... D... et L... E... tendant à l'indemnisation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de la nullité ou, à défaut, de l'absence de cause réelle et sérieuse de leur licenciement par la Société ardennaise industrielle et de la violation de leur statut protecteur qui en a découlé, jusqu'à ce que la juridiction administrative se prononce sur la légalité des six décisions du 9 juillet 2018 par lesquelles l'inspectrice du travail de la section n° 2 de l'unité départementale des Ardennes a autorisé la Société ardennaise industrielle à les licencier pour motif économique, en tant qu'elles retiennent que cette dernière a satisfait à ses obligations en matière de recherche sérieuse et effective des possibilités de reclassement de ces six salariés.

Par six requêtes distinctes, Mme F... et MM. G..., A..., B..., D... et E..., agissant en exécution de ces jugements, ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'apprécier la légalité de ces six décisions et de déclarer qu'elles sont entachées d'illégalité. Par un jugement nos 2300405, 2300406, 2300407, 2300408, 2300409 et 2300410 du 22 décembre 2023, le tribunal administratif a déclaré que les six décisions du 9 juillet 2018 de l'inspectrice du travail sont, au regard de la question posée par le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières, entachées d'illégalité.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 janvier et 8 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Société ardennaise industrielle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de déclarer légales les six décisions du 9 juillet 2018 de l'inspectrice du travail ;

3°) de mettre à la charge de Mme F... et de MM. G..., A..., B..., D... et E... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de procédure civile ;

- le code du travail ;

- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, Rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la Société ardennaise industrielle et à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme F..., de M. G..., de M. A..., de M. B..., de M. D... et de M. E... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, par six décisions du 9 juillet 2018, l'inspectrice du travail de la section n° 2 de l'unité départementale des Ardennes a autorisé la Société ardennaise industrielle, placée en redressement judiciaire par un jugement du 3 janvier 2018 du tribunal de commerce de Compiègne, à licencier pour motif économique Mme C... F... et MM. H... G..., I... A..., J... B..., K... D... et L... E..., salariés protégés. A la suite de leurs licenciements, notifiés par courriers du 17 juillet 2018, Mme F... et MM. G..., A..., B..., D... et E... ont demandé, le 29 mai 2019, au conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières de déclarer leurs licenciements nuls ou sans cause réelle et sérieuse et de condamner la Société ardennaise industrielle et la société Electrolux Home Products France à les indemniser. Par six jugements du 4 novembre 2022, le conseil de prud'hommes a sursis à statuer sur ces demandes et a invité les requérants à saisir le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de la question de la légalité des décisions de l'inspectrice du travail du 9 juillet 2018 au regard du respect par l'administrateur judiciaire de la Société ardennaise industrielle, en application de l'article L. 1233-4 du code du travail, de son obligation de procéder à une recherche sérieuse des postes disponibles pour un reclassement sur le territoire national au sein des sociétés du groupe auquel appartient cette société. La Société ardennaise industrielle se pourvoit en cassation contre le jugement du 22 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a déclaré que les six décisions du 9 juillet 2018 de l'inspectrice du travail étaient, au regard de la question posée par le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières, entachées d'illégalité.

Sur le cadre juridique :

2. Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / (...) / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ".

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié.

4. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié sur le territoire national, d'une part au sein de l'entreprise, d'autre part au sein des entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu comme comportant les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment de ce que les recherches de reclassement ont débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié.

Sur le pourvoi :

5. Lorsque le juge administratif est saisi d'un litige portant sur la légalité de la décision par laquelle l'autorité administrative a autorisé le licenciement d'un salarié protégé et qu'est contesté devant lui le bien-fondé de l'appréciation par laquelle l'autorité administrative a estimé que l'employeur avait satisfait à son obligation de recherche sérieuse de reclassement, il lui appartient de s'assurer, au vu de l'ensemble des pièces versées au dossier, que l'obligation légale de reclassement a, en l'espèce, été respectée, sans s'arrêter sur une erreur susceptible d'émailler, dans le détail de la motivation de la décision attaquée, une des étapes intermédiaires de l'analyse portée sur ce point par l'autorité administrative.

6. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour estimer que l'administrateur judiciaire de la Société ardennaise industrielle ne se prévalait d'aucune raison valable pour justifier le non-renouvellement de ses recherches des possibilités de reclassement auprès de la société Idema au cours de la période qui s'est écoulée entre la sollicitation initiale le 21 février 2018 de cette société et l'octroi par l'inspectrice du travail des autorisations de licenciement demandées, le tribunal administratif s'est borné à relever que cette dernière ne s'était pas assurée que l'employeur avait effectivement connaissance de difficultés économiques affectant cette société de nature à faire obstacle à ce qu'il y ait lieu de l'interroger à nouveau sur l'existence en son sein de postes vacants proposables au reclassement. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait, ainsi qu'il a été dit au point précédent, de contrôler, au vu de l'ensemble des pièces des dossiers, si l'inspectrice du travail avait pu légalement estimer, pour accorder les autorisations de licenciement en litige, que le mandataire judiciaire de la Société ardennaise industrielle avait, en l'espèce, satisfait à son obligation en matière de reclassement, en appréciant lui-même si ce dernier pouvait, au regard des informations disponibles sur la situation de la société Idema, se dispenser de réactualiser ses recherches de possibilités de reclassement auprès de celle-ci, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que la Société ardennaise industrielle est fondée à demander l'annulation du jugement du 22 décembre 2023 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qu'elle attaque.

8. En l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de se prononcer sur la légalité des six décisions litigieuses du 9 juillet 2018 de l'inspectrice du travail au regard de la question renvoyée par le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières par ses six jugements avant-dire droit du 4 novembre 2022.

Sur la question préjudicielle :

En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées par la Société ardennaise industrielle et la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités du Grand Est :

9. En premier lieu, les justiciables ne sont recevables à faire trancher, à l'occasion d'un renvoi préjudiciel ordonné par l'autorité judiciaire, que les questions renvoyées à ce titre par le juge judiciaire. Or, en l'espèce, le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières a relevé, dans les motifs de ses six jugements du 4 novembre 2022, que Mme F... et MM. G..., A..., B..., D... et E... soutenaient, par la voie de l'exception, que l'inspectrice du travail avait fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail citées au point 2 en retenant que le mandataire judiciaire de la Société ardennaise industrielle s'était acquitté à leur égard d'une recherche sérieuse et effective des possibilités de leur reclassement. Le conseil de prud'hommes doit ainsi être regardé comme ayant entendu renvoyer au juge administratif la question de la légalité des six décisions litigieuses du 9 juillet 2018 de l'inspectrice du travail en tant qu'elles retiennent que le mandataire judiciaire de la Société ardennaise industrielle a satisfait à son obligation en matière de reclassement des six salariés protégés concernés. Par suite, la Société ardennaise industrielle n'est pas fondée à soutenir que Mme F... et MM. G..., A..., B..., D... et E... sont irrecevables à demander au juge administratif qu'il déclare les six décisions du 9 juillet 2018 de l'inspectrice du travail autorisant leur licenciement illégales au motif qu'il n'est pas établi qu'ils auraient été destinataires des offres de reclassement communiquées au mandataire judiciaire de la Société ardennaise industrielle par la société Sourdillon.

10. En deuxième lieu, aux termes du second alinéa de l'article 49 du code de procédure civile, dans sa rédaction résultant du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : " Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle. "

11. Il est constant, en l'espèce, que la saisine du juge administratif ne procède pas directement d'une transmission par le juge judiciaire, telle qu'elle est prévue par les dispositions citées au point précédent, mais de Mme F... et MM. G..., A..., B..., D... et E.... Toutefois, eu égard au dispositif des jugements du 4 novembre 2022 du conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières rappelé au point 1, la saisine du juge administratif par les six salariés protégés susnommés doit être regardée, compte tenu de ses effets qui sont similaires à la mise en œuvre des dispositions précitées, comme équivalente à la transmission qu'elles organisent. Il s'ensuit que la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités du Grand Est et la Société ardennaise industrielle ne sont pas fondées à soutenir que les conclusions de Mme F... et MM. G..., A..., B..., D... et E... seraient irrecevables au motif que le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières n'a pas lui-même saisi la juridiction administrative.

12. En troisième et dernier lieu, il n'appartient pas au juge administratif, saisi sur renvoi de l'autorité judiciaire de la question de la légalité d'un acte administratif, de se prononcer sur la recevabilité de l'exception d'illégalité de cet acte soulevée devant le juge judiciaire. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir présentée par la Société ardennaise industrielle tirée de ce que les six décisions litigieuses du 9 juillet 2018 de l'inspectrice du travail seraient devenues définitives et qu'il ne pourrait plus être excipé de leur illégalité, ne peut qu'être écartée.

En ce qui concerne la légalité des six décisions du 9 juillet 2018 de l'inspectrice du travail :

13. En premier lieu, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier le bien-fondé d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle elle statue sur cette demande. S'agissant, en particulier, de l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur, il incombe à l'autorité administrative de vérifier qu'à cette date, l'employeur a recherché l'ensemble des possibilités de reclassement dans l'entreprise et éventuellement au sein des sociétés du groupe auquel elle appartient compte tenu, le cas échéant, de changements de circonstances survenus postérieurement aux démarches initiales engagées par l'employeur pour recenser les possibilités de reclassement interne et susceptibles de justifier le renouvellement de ses recherches de reclassement.

14. Il ressort des pièces des dossiers que les sociétés Idema et Selni Epierre n'ont pas répondu au courrier du 21 février 2018 par lequel l'administrateur judiciaire de la Société ardennaise industrielle les a interrogées sur l'existence en leur sein de postes vacants susceptibles d'être proposés au titre du reclassement interne à ceux de ses salariés dont le licenciement était envisagé. Or il ne ressort pas des pièces des dossiers que, depuis l'envoi de ce courrier, soient intervenus des changements de circonstances de nature à laisser penser que de nouveaux postes auraient été rendus disponibles ou créés au sein de ces deux sociétés avant que l'inspectrice du travail ne statue sur les demandes d'autorisation de licenciement soumises par la Société ardennaise industrielle concernant Mme F... et MM. G..., A..., B..., D... et E..., ou que ces salariés protégés auraient acquis, dans cet intervalle, de nouvelles qualifications ou compétences leur permettant de prétendre à d'autres types d'emploi. Du reste, des changements de circonstances susceptibles de plaider en faveur de l'apparition de nouveaux postes disponibles susceptibles d'être proposés au titre du reclassement interne étaient d'autant plus inenvisageables s'agissant de la société Idema que les éléments versés au dossier attestent de l'existence en son sein de difficultés de trésorerie dès le mois de juillet 2018 entravant le versement des salaires de ses employés, difficultés qui ont été suivies par un jugement du tribunal de commerce de Nevers prononçant sa liquidation judiciaire le 17 septembre 2018. Par suite, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l'administrateur judiciaire de la Société ardennaise industrielle n'était pas, dans les circonstances de l'espèce, tenu d'actualiser ses recherches des possibilités de reclassement interne auprès des sociétés Idema et Selni Epierre avant que l'inspectrice du travail ne statue sur ses demandes d'autorisation de licenciement.

15. En deuxième lieu, il n'est pas contesté que seule la société Sourdillon a informé le mandataire judiciaire de la Société ardennaise industrielle disposer de trois postes vacants susceptibles d'être proposés au titre du reclassement interne, tandis que les sociétés Selni Group et Selni Investissement ont répondu n'en avoir aucun. Si la Société ardennaise industrielle ne produit pas les accusés de réception qui permettraient d'attester que les courriers du 31 mai 2018 leur proposant des offres de reclassement au sein de la société Sourdillon sont bien parvenus à Mme F... et MM. G..., A..., B..., D... et E... et si ces derniers contestent avoir reçu ces courriers, il ressort des pièces des dossiers qu'ils ont été chacun, en tout état de cause, informés par le courrier les convoquant à un entretien préalable avant licenciement pour motif économique de l'existence d'offres de reclassement les concernant et qu'ils n'ont, à aucun moment de la procédure de licenciement dont ils ont fait l'objet, manifesté un quelconque intérêt pour que leur soit à nouveau communiqué, dans l'hypothèse où ils n'auraient pas reçu les courriers précités du 31 mai 2018, le contenu de ces offres. Par suite, les salariés protégés requérants ne sont pas fondés à soutenir que les décisions du 9 juillet 2018 de l'inspectrice du travail autorisant leur licenciement seraient entachées d'illégalité au motif qu'à défaut de produire les accusés de réception attestant que les courriers du 31 mai 2018 leur proposant des offres de reclassement leur sont bien parvenus, l'administrateur judiciaire de la Société ardennaise industrielle ne saurait être regardé comme s'étant acquitté de son obligation de recherche sérieuse des possibilités de leur reclassement interne.

16. En troisième et dernier lieu, si l'administrateur judiciaire de la Société ardennaise industrielle ne produit pas les accusés de réception qui permettraient d'attester que ses courriers du 21 février 2018 de recherche des possibilités de reclassement au sein du groupe, envoyés par lettres recommandées à l'ensemble des sociétés du groupe Selni, sont bien parvenus aux entreprises du groupe qui n'y ont pas répondu, il ne saurait être déduit de cette seule circonstance que l'administrateur judiciaire n'aurait pas sollicité utilement, contrairement à ce que soutiennent les six salariés protégés requérants, l'ensemble des sociétés du groupe relevant du périmètre des recherches de reclassement interne défini par le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la Société ardennaise industrielle, homologué par la décision du 30 mai 2018 de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Grand Est, dès lors que l'ensemble de ces courriers a été doublé d'un envoi par courrier électronique, à l'exception du courrier adressé par seule voie postale à la holding Selni Investissement, société dominante du groupe dont l'activité ne se prêtait pas, en tout état de cause, à la permutation, au sens des dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail citées au point 2, du personnel licencié par la Société ardennaise industrielle. Les requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que l'administrateur judiciaire de la Société ardennaise industrielle n'aurait pas procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement au sein du groupe au motif qu'il ne se serait pas assuré de la réception de son courrier sollicitant la communication des postes vacants susceptibles d'être proposés au titre du reclassement interne par les sociétés du groupe qui n'y ont pas répondu doit donc être écarté.

17. Il découle de ce qui a été dit aux points 14 à 16 que le moyen tiré de ce que l'administrateur judiciaire de la Société ardennaise industrielle aurait manqué à son obligation en matière de reclassement interne n'est pas fondé.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les décisions de l'inspectrice du travail du 9 juillet 2018 autorisant les licenciements pour motif économique de Mme F... et MM. G..., A..., B..., D... et E... ne sont pas entachées d'illégalité au regard de la question posée par le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme F... et de MM. G..., A..., B..., D... et E... les sommes que demande, devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et le Conseil d'Etat, la Société ardennaise industrielle au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la Société ardennaise industrielle et de l'Etat, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement nos 2300405, 2300406, 2300407, 2300408, 2300409 et 2300410 du 22 décembre 2023 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.

Article 2 : Il est déclaré que l'exception d'illégalité des six décisions de l'inspectrice du travail du 9 juillet 2018 autorisant le licenciement de Mme F... et MM. G..., A..., B..., D... et E..., soulevée par ces derniers devant le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières, n'est pas fondée.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la Société ardennaise industrielle et les conclusions présentées par Mme F... et MM. G..., A..., B..., D... et E..., devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et le Conseil d'Etat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Société ardennaise industrielle, à Mme C... F..., première dénommée pour l'ensemble des salariés défendeurs, et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et de la famille.

Copie en sera adressée au conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 490715
Date de la décision : 07/03/2025
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 07 mar. 2025, n° 490715
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cabrera
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 13/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:490715.20250307
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