Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 mars et 16 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des étudiant.e.s en sciences infirmières (FNESI) et la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, le décret n° 2024-85 du 6 février 2024 relatif à la procédure nationale de préinscription pour l'accès aux formations initiales du premier cycle de l'enseignement supérieur et modifiant le code de l'éducation, d'autre part, l'arrêté du 6 février 2024 modifiant l'arrêté du 28 février 2020 relatif à certaines règles de fonctionnement de la plateforme Parcoursup ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à chacune d'entre elles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de l'éducation ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 28 février 2020 relatif à certaines règles de fonctionnement de la plateforme Parcoursup ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Le décret du 6 février 2024 relatif à la procédure nationale de préinscription pour l'accès aux formations initiales du premier cycle de l'enseignement supérieur et modifiant le code de l'éducation dispose, aux 2° et 3° de son article 1er, qui concernent respectivement la phase principale et la phase complémentaire de la procédure nationale de préinscription dans une formation initiale du premier cycle de l'enseignement supérieur - dématérialisée et gérée par le téléservice national dénommé Parcoursup en application de l'article D. 612-1 du code de l'éducation -, que le ministre chargé de l'enseignement supérieur peut, par arrêté, pour assurer le bon déroulement de la procédure et compte tenu des caractéristiques des formations et de leurs capacités d'accueil, d'une part, limiter le nombre de vœux et de sous-vœux d'inscription susceptibles d'être formulés par les candidats dont les études en France sont soumises à l'obtention d'un visa et qui n'ont pas obtenu et ne préparent pas le baccalauréat français ou un diplôme ou titre admis en équivalence de ce grade, d'autre part, prévoir que ces mêmes candidats ne peuvent pas formuler de vœux d'inscription dans certaines formations. Pris en application de ce décret, l'arrêté du 6 février 2024 modifiant l'arrêté du 28 février 2020 relatif à certaines règles de fonctionnement de la plateforme Parcoursup prévoit que pour ces candidats, d'une part, le nombre de vœux d'inscription pour un établissement de formation donné est limité à trois pour six catégories de formations qu'il énumère, d'autre part, pour les formations préparant au diplôme d'Etat d'infirmier, le nombre de vœux multiples et le nombre de sous-vœux formulés pour chacun des vœux multiples sont respectivement limités à trois.
2. La Fédération nationale des étudiant.e.s en sciences infirmières et la Fédération des associations générales étudiantes demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret et de cet arrêté du 6 février 2024. Eu égard aux moyens qu'elles soulèvent, elles doivent être regardées comme ne demandant l'annulation que des 2° et 3° de l'article 1er de ce décret.
Sur le cadre juridique :
3. Aux termes de la première phrase de l'article L. 612-2 du code de l'éducation, le premier cycle de l'enseignement supérieur s'inscrit " dans la continuité des enseignements dispensés dans le second cycle de l'enseignement du second degré, qui préparent à la poursuite d'études dans l'enseignement supérieur ". Aux termes du I de l'article L. 612-3 du même code : " Le premier cycle [de l'enseignement supérieur] est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat et à ceux qui ont obtenu l'équivalence ou la dispense de ce grade en justifiant d'une qualification ou d'une expérience jugées suffisantes conformément au livre IV de la sixième partie du code du travail. (...) / L'inscription dans une formation du premier cycle dispensée par un établissement public est précédée d'une procédure nationale de préinscription qui permet aux candidats de bénéficier d'un dispositif d'information et d'orientation qui, dans le prolongement de celui proposé au cours de la scolarité du second degré, est mis en place par les établissements d'enseignement supérieur. (...) L'inscription est prononcée par le président ou le directeur de l'établissement ou, dans les cas prévus aux VIII et IX du présent article, par l'autorité académique. / (...) ". Aux termes du III du même article : " Les capacités d'accueil des formations du premier cycle de l'enseignement supérieur des établissements relevant des ministres chargés de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur sont arrêtées chaque année par l'autorité académique après dialogue avec chaque établissement. Pour déterminer ces capacités d'accueil, l'autorité académique tient compte des perspectives d'insertion professionnelle des formations, de l'évolution des projets de formation exprimés par les candidats ainsi que du projet de formation et de recherche de l'établissement. "
4. Le I de l'article D. 612-1 du code de l'éducation prévoit que " La procédure nationale de préinscription dans une formation initiale du premier cycle de l'enseignement supérieur mentionnée à l'article L. 612-3 est dématérialisée et gérée par un téléservice national, dénommé Parcoursup, placé sous la responsabilité du ministre chargé de l'enseignement supérieur " et que la plateforme Parcoursup a notamment pour objet de permettre aux candidats à une telle formation de formuler des vœux d'inscription dans une ou plusieurs de ces formations pour l'année suivante et de permettre aux établissements mentionnés aux articles L. 612-3 et L. 612-3-2 dispensant ces formations de recueillir les vœux d'inscription des candidats, de procéder à leur examen et d'organiser l'année universitaire suivante en préparant les inscriptions dans chaque formation qu'ils proposent. Aux termes de l'article D. 612-1-1 du même code : " La procédure nationale de préinscription comporte une phase principale et une phase complémentaire. / La phase principale permet aux candidats de formuler des vœux d'inscription dans une ou plusieurs des formations initiales du premier cycle de l'enseignement supérieur proposées sur la plateforme Parcoursup, lesquels seront examinés dans les conditions fixées à l'article D. 612-1-13. / La phase complémentaire permet aux candidats, à partir d'une date fixée par le calendrier mentionné à l'article D. 612-1-2, de se porter candidat, à titre subsidiaire, dans les formations au sein desquelles des places sont restées vacantes à partir de la date d'ouverture de cette phase ou le deviennent du fait des réponses des candidats. "
5. S'agissant de la phase principale de la procédure nationale de préinscription, les deux premiers alinéas de l'article D. 612-1-10 du code de l'éducation prévoient que " Le nombre total de vœux d'inscription est limité à dix par candidat lors de la phase principale. Toutefois, un arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur peut, pour assurer le bon déroulement de la procédure, limiter compte tenu des caractéristiques des formations et de leurs capacités d'accueil, le nombre de vœux d'inscription dans certaines formations. Ce nombre de vœux ne peut alors être inférieur à cinq par candidat. Le candidat ne peut formuler qu'un vœu pour une même formation. ". En outre, l'article D. 612-1-11 du même code dispose qu' " A l'initiative des établissements concernés, plusieurs formations dont l'objet est similaire peuvent être regroupées en vue de faire l'objet d'un même vœu. / Ces vœux, dits multiples, qui comptent pour un seul vœu parmi les dix mentionnés à l'article D. 612-1-10, sont composés de sous-vœux qui correspondent chacun à une formation dispensée par l'un des établissements qui ont choisi de regrouper leurs formations similaires en application du premier alinéa. / Pour chaque vœu multiple, le candidat est autorisé à sélectionner une ou plusieurs formations dans la limite de dix sous-vœux par vœu multiple et de vingt sous-vœux pour l'ensemble des vœux multiples qu'il aura formulés. Toutefois, un arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur détermine les catégories de formations pour lesquelles les sous-vœux qui composent un vœu multiple ne sont pas comptabilisés pour le calcul du nombre total de sous-vœux. / Lorsque le vœu multiple porte sur une formation initiale du premier cycle de l'enseignement supérieur dispensée dans un lycée, la demande de la même formation, avec ou sans hébergement en internat, compte pour un seul sous-vœu. (...) ".
6. Aux termes de l'article D. 612-1-12 du code de l'éducation, rétabli par le 2° de l'article 1er du décret du 6 février 2024 attaqué : " Un arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur peut, pour assurer le bon déroulement de la procédure, limiter, compte tenu des caractéristiques des formations et de leurs capacités d'accueil, le nombre de vœux d'inscription prévu par l'article D. 612-1-10 et le nombre de sous-vœux prévu par l'article D. 612-1-11 susceptibles d'être formulés par les candidats dont les études en France sont soumises à l'obtention d'un visa et qui n'ont pas obtenu et ne préparent pas le baccalauréat français ou un diplôme ou titre admis en équivalence de ce grade. / Pour les mêmes motifs, le ministre chargé de l'enseignement supérieur peut également prévoir que les candidats mentionnés au premier alinéa ne peuvent pas formuler de vœux d'inscription dans certaines formations. "
7. S'agissant de la phase complémentaire de la procédure nationale de préinscription, aux termes de l'article D. 612-1-17 du code de l'éducation : " La phase complémentaire, qui débute à partir de la date mentionnée dans le calendrier prévu à l'article D. 612-1-2, permet au candidat qui remplit les conditions fixées au premier alinéa du I de l'article L. 612-3, qu'il ait ou non formulé des vœux d'inscription ou accepté une proposition d'admission dans le cadre de la phase principale de la procédure nationale de préinscription, de se porter candidat dans des formations qui disposent de places vacantes. / Par exception au premier alinéa, le candidat dont les études en France sont soumises à l'obtention d'un visa en raison de sa nationalité ne peut présenter de candidature dans le cadre de la phase complémentaire s'il ne dispose pas de ce visa à la date à laquelle il présente un vœu. Ces dispositions ne s'appliquent pas au candidat qui a obtenu ou prépare le baccalauréat français. ". Aux termes de l'article D. 612-1-18 du même code : " Les formations qui ne relèvent pas du VI de l'article L. 612-3 sont proposées aux candidats lors de la phase complémentaire uniquement lorsqu'elles disposent de places vacantes. " Aux termes du premier alinéa de l'article D. 612-1-19 de ce code : " Le nombre total de vœux d'inscription est limité à dix par candidat. Ces vœux s'ajoutent à ceux qui, le cas échéant, ont été formulés dans le cadre de la phase principale. Aucun vœu formulé en phase complémentaire ne peut porter sur une formation sélective pour laquelle le candidat a déjà formulé un vœu en phase principale et n'a été ni retenu ni placé sur liste d'attente. "
8. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article D. 612-1-19 du code de l'éducation, créés par le 3° de l'article 1er du décret du 6 février 2024 attaqué : " Un arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur peut, pour assurer le bon déroulement de la procédure, limiter, compte tenu des caractéristiques des formations et de leurs capacités d'accueil, le nombre de vœux d'inscription ou de sous-vœux pouvant être formulés par les candidats dont les études en France sont soumises à l'obtention d'un visa et qui n'ont pas obtenu et ne préparent pas le baccalauréat français ou un diplôme ou titre admis en équivalence de ce grade. / Pour les mêmes motifs, le ministre chargé de l'enseignement supérieur peut également prévoir que les candidats mentionnés à l'alinéa précédent ne peuvent pas formuler de vœux d'inscription dans certaines formations. "
9. Enfin, aux termes de l'article 2-1 de l'arrêté du 28 février 2020, créé par l'article 1er de l'arrêté du 6 février 2024 attaqué, pris en application des dispositions citées aux points 6 et 8 : " Pour les candidats mentionnés à l'article D. 612-1-12 et au deuxième alinéa de l'article D. 612-1-19 du code de l'éducation : / 1° Le nombre de vœux d'inscription pour un établissement de formation donné est limité à trois dans les formations suivantes : / - les formations préparant au diplôme de brevet de technicien supérieur, de brevet de technicien supérieur agricole, de brevet de technicien supérieur maritime ; / - les formations préparant au diplôme de comptabilité et de gestion conférant le grade de licence mentionnées à l'article D. 612-32-2 du code de l'éducation ; / - les formations de mise à niveau hôtellerie restauration ; / - les formations préparant aux diplômes propres aux établissements qui bénéficient d'un des labels mentionnés aux articles D. 613-25-1 et D. 613-25-2 du code de l'éducation [soit respectivement les labels " diplôme de spécialisation professionnelle " et " passeport pour réussir et s'orienter " dit A...] ; / - les formations préparant au diplôme mentionné à l'article D. 337-139 du code de l'éducation [soit le certificat de spécialisation] ; / - les formations complémentaires d'initiative locale prévues par l'arrêté du 14 février 1985 susvisé ; / 2° Le nombre de vœux multiples à dossier unique portant sur les formations préparant au diplôme d'Etat d'infirmier est limité à trois. Le nombre de sous-vœux qui peuvent être formulés pour chaque vœu multiple à dossier unique portant sur ces formations est également limité à trois. "
Sur la requête :
10. Ni le principe d'égal accès à l'instruction, que garantit le treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère celui de la Constitution du 4 octobre 1958, ni le principe d'égalité, qui ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier, ne font obstacle à ce que le pouvoir règlementaire limite, compte tenu des caractéristiques des formations et de leurs capacités d'accueil, le nombre de vœux et de sous-vœux d'inscription dans une formation initiale du premier cycle de l'enseignement supérieur en France susceptibles d'être formulés, via le téléservice national dénommé Parcoursup, par les candidats dont les études en France sont subordonnées à l'obtention préalable d'un visa et qui n'ont pas obtenu et ne préparent pas le baccalauréat français ou un diplôme ou titre admis en équivalence de ce grade.
11. Il s'ensuit que les moyens tirés de ce que les dispositions litigieuses auraient été édictées en méconnaissance du treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, du principe d'égalité, et de ce que, par voie de conséquence, elles méconnaîtraient des principes fondamentaux de l'enseignement supérieur énoncés par les articles L. 121-1, L. 123-2 et L. 123-4 du code de l'éducation, ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés.
12. Il résulte de ce qui précède que la requête de la Fédération nationale des étudiant.e.s en sciences infirmières et de la Fédération des associations générales étudiantes doit être rejetée, y compris en ce qu'elle présente des conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Fédération nationale des étudiant.e.s en sciences infirmières et de la Fédération des associations générales étudiantes est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des étudiant.e.s en sciences infirmières, à la Fédération des associations générales étudiantes, à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et au Premier ministre.