La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/03/2025 | FRANCE | N°471761

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 10 mars 2025, 471761


Vu la procédure suivante :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir la décision référencée " 48 SI " du 18 décembre 2020 du ministre de l'intérieur constatant l'invalidité de son permis de conduire pour solde de points nul et lui enjoignant de restituer son titre de conduite invalidé au préfet de son département de résidence. Par un jugement n° 2100470 du 28 décembre 2022, la magistrate désignée par la présidente de ce tribunal a rejeté sa demande.



Par un pourvoi so

mmaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 30 mai 2023 au secrétari...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir la décision référencée " 48 SI " du 18 décembre 2020 du ministre de l'intérieur constatant l'invalidité de son permis de conduire pour solde de points nul et lui enjoignant de restituer son titre de conduite invalidé au préfet de son département de résidence. Par un jugement n° 2100470 du 28 décembre 2022, la magistrate désignée par la présidente de ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 30 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 ;

- le code de la route ;

- l'arrêté du 8 février 1999 du ministre de l'équipement, des transports et du logement fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats appartenant à l'Union européenne et à l'Espace économique européen ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Corlay, avocat de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. A..., qui a échangé en 2018 son permis de conduire français contre un permis suédois, a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir la décision référencée " 48 SI " du 18 décembre 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a constaté la perte de validité de son permis de conduire pour solde de points nul à la suite d'infractions au code de la route commises sur le territoire national entre 2012 et 2019 et lui a enjoint de restituer ce permis au préfet de son département de résidence. M. A... se pourvoit en cassation contre le jugement du 28 décembre 2022 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif a rejeté sa demande au motif qu'il n'établissait pas que sa résidence normale serait établie en Suède.

2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 2 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire : " Les permis de conduire délivrés par les Etats membres sont mutuellement reconnus ". Selon l'article 11 de cette directive : " 1. Dans le cas où le titulaire d'un permis de conduire national valable délivré par un État membre a établi sa résidence normale dans un autre État membre, il peut demander l'échange de son permis de conduire contre un permis équivalent. (...) / 2. Sous réserve du respect du principe de territorialité des lois pénales et de police, l'État membre où est située la résidence normale peut appliquer au titulaire d'un permis de conduire délivré par un autre Etat membre ses dispositions nationales concernant la restriction, la suspension, le retrait ou l'annulation du droit de conduire et, si nécessaire, procéder à ces fins à l'échange de ce permis. (...) " En vertu de l'article 12 de la même directive : " Aux fins de l'application de la présente directive, on entend par "résidence normale" le lieu où une personne demeure habituellement, c'est-à-dire pendant au moins 185 jours par année civile, en raison d'attaches personnelles et professionnelles, ou, dans le cas d'une personne sans attaches professionnelles, en raison d'attaches personnelles révélant des liens étroits entre elle-même et l'endroit où elle demeure. / Toutefois, la résidence normale d'une personne dont les attaches professionnelles sont situées dans un lieu différent de celui de ses attaches personnelles et qui, de ce fait, est amenée à séjourner alternativement dans les lieux différents situés dans deux ou plusieurs États membres est censée se situer au lieu de ses attaches personnelles, à condition qu'elle y retourne régulièrement. "

3. L'article L. 223-5 du code de la route dispose que : " I.- En cas de retrait de la totalité des points, l'intéressé reçoit de l'autorité administrative l'injonction de remettre son permis de conduire au préfet de son département de résidence et perd le droit de conduire un véhicule. / II.- Il ne peut obtenir un nouveau permis de conduire avant l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de remise de son permis au préfet et sous réserve d'être reconnu apte après un examen ou une analyse médical, clinique, biologique et psychotechnique effectué à ses frais. Ce délai est porté à un an lorsqu'un nouveau retrait de la totalité des points intervient dans un délai de cinq ans suivant le précédent. (...) " Aux termes de l'article L. 223-10 du même code : " I.- Tout conducteur titulaire d'un permis de conduire délivré par une autorité étrangère circulant sur le territoire national se voit affecter un nombre de points. Ce nombre de points est réduit de plein droit si ce conducteur a commis sur le territoire national une infraction pour laquelle cette réduction est prévue. / II.- La réalité d'une infraction entraînant un retrait de points, conformément au I du présent article, est établie dans les conditions prévues à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 223-1. / Le retrait de points est réalisé dans les conditions prévues à l'article L. 223-2 et aux deux premiers alinéas de l'article L. 223-3. Il est porté à la connaissance de l'intéressé dans les conditions prévues au dernier alinéa du même article L. 223-3. / En cas de retrait de la totalité des points affectés au conducteur mentionné au I du présent article, l'intéressé se voit notifier par l'autorité administrative l'interdiction de circuler sur le territoire national pendant une durée d'un an. Au terme de cette durée, l'intéressé se voit affecter un nombre de points dans les conditions prévues au même I. / III.- Le fait de conduire un véhicule sur le territoire national malgré la notification de l'interdiction prévue au dernier alinéa du II du présent article est puni des peines prévues aux III et IV de l'article L. 223-5. (...) "

4. Aux termes du II de l'article R. 221-1 du code de la route : " Toute personne sollicitant un permis de conduire, national ou international, doit justifier de sa résidence normale ainsi que, le cas échéant, de son droit au séjour en France. (...) " Aux termes du III du même article : " On entend par résidence normale le lieu où une personne demeure habituellement, c'est-à-dire pendant au moins 185 jours par année civile, en raison d'attaches personnelles et professionnelles, ou, dans le cas d'une personne sans attaches professionnelles, en raison d'attaches personnelles révélant des liens étroits entre elle-même et l'endroit où elle demeure. (...) " Aux termes de l'article R. 222-1 du même code : " Tout permis de conduire national délivré à une personne ayant sa résidence normale en France par un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, en cours de validité dans cet Etat, est reconnu en France sous réserve que son titulaire satisfasse aux conditions définies par arrêté du ministre chargé des transports, après avis du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des affaires étrangères. (...) " Aux termes de l'article R. 222-2 du même code : " Toute personne ayant sa résidence normale en France, titulaire d'un permis de conduire national délivré par un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, en cours de validité dans cet Etat, peut, sans qu'elle soit tenue de subir les examens prévus au premier alinéa de l'article D. 221-3, l'échanger contre le permis de conduire français selon les modalités définies par arrêté du ministre chargé des transports, pris après avis du ministre de la justice, du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des affaires étrangères. / L'échange d'un tel permis de conduire contre le permis français est obligatoire lorsque son titulaire a commis, sur le territoire français, une infraction au présent code ayant entraîné une mesure de restriction, de suspension, de retrait du droit de conduire ou de retrait de points. Cet échange doit être effectué selon les modalités définies par l'arrêté prévu à l'alinéa précédent, aux fins d'appliquer les mesures précitées. / Le fait de ne pas effectuer l'échange de son permis de conduire dans le cas prévu à l'alinéa précédent est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. "

5. Aux termes du second alinéa de l'article 1er de l'arrêté du 8 février 1999 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats appartenant à l'Union européenne et à l'Espace économique européen : " Une personne ne peut être titulaire de plus d'un permis de conduire délivré par un Etat membre de l'Union européenne ou par un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen. " Enfin, l'article 4 du même arrêté dispose que : " 4.1. Les titulaires d'un permis de conduire obtenu dans un Etat appartenant à l'Union européenne ou à l'Espace économique européen, ayant fixé leur résidence normale sur le territoire français, peuvent demander l'échange de leur permis de conduire contre un permis français équivalent. (...) / 4.2. L'échange d'un tel permis contre un permis de conduire français est obligatoirement effectué si le conducteur a commis, sur le territoire français, une infraction ayant entraîné une mesure de restriction, de suspension, de retrait, d'annulation du droit de conduire, ou une infraction devenue définitive au sens de l'article L. 223-1 et entraînant de plein droit le retrait de points. (...) "

6. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, si le titulaire d'un permis de conduire délivré par l'un des Etats membres de l'Union européenne ou appartenant à l'Espace économique européen, ayant fixé sa résidence normale sur le territoire français, n'est, en principe, pas tenu de procéder à l'échange de ce permis pour conduire en France, cet échange devient en revanche obligatoire s'il a commis sur le territoire national au moins une infraction de nature à entraîner une mesure de restriction, de suspension, de retrait ou d'annulation du droit de conduire ou de retrait de points. Lorsque le titulaire d'un tel permis n'a pas procédé à l'échange auquel il était tenu, et sans préjudice de la sanction pénale prévue au troisième alinéa de l'article R. 222-2 du code de la route cité au point 4, l'administration lui fait application des dispositions de l'article L. 223-10 du code de la route, citées au point 3, en lui affectant un capital de points sur lequel s'imputent les mesures qu'appellent les infractions commises et, si le solde de points devient nul, lui notifie une interdiction de circuler sur le territoire national pendant une durée d'un an. En revanche, elle ne peut le regarder comme titulaire d'un permis français tant qu'il n'a pas procédé à l'échange de son permis étranger contre un tel permis.

7. Il suit de là qu'en jugeant que le ministre de l'intérieur était fondé, d'une part, à regarder M. A..., titulaire d'un permis de conduire suédois, dont il estimait qu'il résidait normalement en France et qui avait commis, sur le territoire national, plusieurs infractions entraînant retrait de points, comme exclusivement titulaire d'un permis français et, d'autre part, à lui notifier une décision référencée " 48 SI " constatant l'invalidité de ce permis de conduire français et lui enjoignant, pour ce motif, de remettre son titre de conduite au préfet de la Dordogne, le tribunal administratif de Bordeaux a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens du pourvoi, M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. Il résulte de ce qui est dit aux points 6 et 7 que, s'il appartenait au ministre de l'intérieur, dès lors que le nombre de points affectés par l'administration française au capital de M. A..., titulaire d'un permis de conduire suédois, était devenu nul, de notifier à l'intéressé une interdiction de conduire sur le territoire national pour une durée d'un an, ce ministre ne pouvait légalement prendre une décision constatant l'invalidité du permis de conduire français dont il estimait l'intéressé titulaire, lui enjoignant pour ce motif de remettre son titre de conduite au préfet de la Dordogne et le privant de tout droit de conduire un véhicule. Il suit de là que M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision référencée " 48 SI " du 10 novembre 2020 qu'il attaque.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour l'ensemble de la procédure.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 28 décembre 2022 est annulé.

Article 2 : La décision référencée " 48 SI " du ministre de l'intérieur du 10 décembre 2020 est annulée.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 février 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 mars 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Christophe Barthélemy

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 471761
Date de la décision : 10/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-04-01-04 POLICE. - POLICE GÉNÉRALE. - CIRCULATION ET STATIONNEMENT. - PERMIS DE CONDUIRE. - ECHANGE D'UN PERMIS ÉTRANGER CONTRE UN PERMIS FRANÇAIS – OBLIGATION DE PROCÉDER À UN TEL ÉCHANGE LORSQUE LE TITULAIRE RÉSIDE EN FRANCE ET A COMMIS UNE INFRACTION AU CODE DE LA ROUTE – 1) EXISTENCE – 2) CAS OÙ CETTE OBLIGATION N’A PAS ÉTÉ RESPECTÉE – AFFECTATION PAR L’ADMINISTRATION D’UN CAPITAL DE POINTS – MODALITÉS [RJ1].

49-04-01-04 1) Il résulte du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 11 de la directive 2006/126 CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006, des articles L. 223-5, L. 223-10, R. 221-1, R. 222-1 et R. 222-2 du code de la route ainsi que du second alinéa de l’article 1er de l’arrêté du 8 février 1999, que si le titulaire d’un permis de conduire délivré par l’un des Etats membres de l’Union européenne ou appartenant à l’Espace économique européen, ayant fixé sa résidence normale sur le territoire français, n’est, en principe, pas tenu de procéder à l’échange de ce permis pour conduire en France, cet échange devient en revanche obligatoire s’il a commis sur le territoire national au moins une infraction de nature à entraîner une mesure de restriction, de suspension, de retrait ou d'annulation du droit de conduire ou de retrait de points. ...2) Lorsque le titulaire d’un tel permis n’a pas procédé à l’échange auquel il était tenu, et sans préjudice de la sanction pénale prévue au troisième alinéa de l’article R. 222-2 du code de la route, l’administration lui fait application des dispositions de l’article L. 223-10 du code de la route, en lui affectant un capital de points sur lequel s’imputent les mesures qu’appellent les infractions commises et, si le solde de points devient nul, lui notifie une interdiction de circuler sur le territoire national pendant une durée d'un an. En revanche, elle ne peut le regarder comme titulaire d’un permis français tant qu’il n’a pas procédé à l’échange de son permis étranger contre un tel permis.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 mar. 2025, n° 471761
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Christophe Barthélemy
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : CORLAY

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:471761.20250310
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award