Vu la procédure suivante :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés des 8 février 2016 et 20 février 2020 par lesquels le maire de Saint-Restitut (Drôme) a accordé à M. A... D... un permis de construire et un permis de construire modificatif pour la réhabilitation d'une ancienne ferme. Par un jugement n° 1902222, 20002230 du 23 mars 2021, le tribunal administratif a annulé ces deux arrêtés.
Par un arrêt n° 21LY01670 du 24 janvier 2023, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par M. D... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 mars et 20 juin 2023 le 24 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la cour a :
- entaché son arrêt d'irrégularité en ne visant pas sa demande tendant à ce que soit ordonnée une expertise des métadonnées de la photographie qu'il avait produite pour justifier de la date d'affichage du permis de construire litigieux sur le terrain du projet, omis de statuer sur cette demande et méconnu son office en n'y faisant pas droit ;
- commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en ce qu'elle retient que les pièces qu'il produit ne peuvent démontrer un affichage continu du permis de construire litigieux à compter du 28 janvier 2019 et par suite, que le recours formé le 1er avril 2019 par M. C... contre ce permis de construire n'est pas tardif ;
- commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en ce qu'elle retient que le permis de construire litigieux ne pouvait lui être accordé sur le fondement de l'article L. 111-23 du code de l'urbanisme au motif que le bâtiment qu'il entend réhabiliter ne dispose plus de l'essentiel de ses murs porteurs et ne présente pas d'intérêt architectural ou patrimonial ;
- commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en ce qu'elle retient que le permis de construire litigieux ne pouvait être accordé sur le fondement de l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme au motif que le bâtiment en cause est à l'état de ruine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 avril 2024, M. C... conclut au rejet du pourvoi et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que les moyens du pourvoi ne sont pas fondés.
Le pourvoi a été communiqué à la commune de Saint-Restitut, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de M. D..., à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. C..., et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, Feliers, avocat de la commune de Saint-Restitut ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés des 8 février 2016 et 20 février 2020 par lesquels le maire de Saint-Restitut (Drôme) a accordé à M. D... un permis de construire et un permis de construire modificatif pour la réhabilitation à l'identique d'une ancienne ferme. Par un jugement du 23 mars 2021, le tribunal administratif a annulé ces deux arrêtés. M. D... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 24 janvier 2023 par lequel la cour administrative de Lyon a rejeté son appel formé contre ce jugement.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. "
3. En application de ces dispositions, la cour n'était pas tenue, à peine d'irrégularité de son arrêt, de viser la demande du requérant tendant à ce qu'elle ordonne, si elle l'estimait nécessaire, une expertise afin de faire analyser les métadonnées numériques des photographies qu'il produisait pour démontrer l'affichage du permis de construire. Il résulte, par ailleurs, des termes de sa décision qu'en écartant la fin de non-recevoir opposée par le requérant à la demande de première instance, la cour a implicitement écarté le prononcé d'une telle expertise. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêt de la cour administrative d'appel qu'il attaque est insuffisamment motivé sur ce point.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme : " Le délai de recours contentieux à l'encontre d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir court à l'égard des tiers à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l'article R. 424-15. " Aux termes de l'article R. 424-15 du même code : " Mention du permis explicite ou tacite ou de la déclaration préalable doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l'extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l'arrêté ou dès la date à laquelle le permis tacite ou la décision de non-opposition à la déclaration préalable est acquis et pendant toute la durée du chantier (...) ". Il incombe au bénéficiaire d'un permis de construire de justifier qu'il a bien accompli les formalités d'affichage prescrites par les dispositions précitées.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le permis de construire délivré par le maire de Saint-Restitut à M. D... le 8 février 2016 a été rétabli suite à l'annulation de l'arrêté du 3 mai 2016 par lequel le maire avait prononcé son retrait, par un jugement du 31 décembre 2018 du tribunal administratif de Grenoble devenu définitif. Le délai de recours contentieux à l'encontre de ce permis courait à l'égard des tiers à compter de la plus tardive des deux dates relatives au premier jour d'une période continue d'affichage, postérieure à cette annulation, en mairie ou sur le terrain. Pour justifier l'affichage du permis de construire sur le terrain à compter du 28 janvier 2019, et pour soutenir que, par suite, le recours introduit par M. C... contre ce permis le 1er avril 2019 était tardif et donc irrecevable, M. D... s'est borné à produire des photographies du panneau d'affichage qu'il avait lui-même prises en soutenant que les métadonnées numériques associées à ces photographies attestaient de leur date de prise de vue, ainsi qu'une attestation peu circonstanciée d'un voisin et celle d'un tiers faisant état d'un affichage les 2 et 3 mars 2019. Compte tenu des possibilités techniques de modifier ces métadonnées numériques, c'est sans commettre d'erreur de droit que la cour a jugé que la date de ces photographies ne pouvait être regardée comme présentant des garanties d'authenticité suffisantes. C'est ensuite par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a retenu, sans qu'il ait été besoin pour elle d'ordonner l'expertise demandée par le requérant, que les éléments qu'il produisait ne suffisaient pas à démontrer un affichage du permis de construire à compter du 28 janvier 2019 et a écarté la fin de non-recevoir opposée par M. D..., tirée de la tardiveté du recours formé par M. C... contre l'arrêté du 8 février 2016.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 111-23 du code de l'urbanisme : " La restauration d'un bâtiment dont il reste l'essentiel des murs porteurs peut être autorisée, sauf dispositions contraires des documents d'urbanisme et sous réserve des dispositions de l'article L. 111-11, lorsque son intérêt architectural ou patrimonial en justifie le maintien et sous réserve de respecter les principales caractéristiques de ce bâtiment. "
7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, d'une part, le bâtiment pour la réhabilitation duquel M. D... a obtenu le permis de construire litigieux ne comporte plus aucun mur porteur intérieur et seulement trois des murs porteurs extérieurs, fragilisés et en mauvais état, outre l'absence de toiture, de plancher et de sol que la cour relève par ailleurs. D'autre part, pour démontrer l'existence d'un intérêt architectural ou patrimonial, M. D... se bornait à faire état de l'inscription de ce bâtiment au cadastre napoléonien du 15 août 1810 et à invoquer le premier avis rendu le 1er juillet 2015 par l'architecte des bâtiments de France, dans le cadre de l'instruction de sa demande de permis de construire. Toutefois, si cet avis soulignait l'enjeu patrimonial de ce projet, en présence d'un dossier qui ne précisait pas alors les matériaux utilisés, les techniques mises en œuvre et les traitements de finition, ni cet avis ni celui ultérieurement émis l'architecte des bâtiments de France le 3 décembre 2015 n'atteste d'un intérêt architectural ou patrimonial justifiant la reconstruction du bâtiment. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit et par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a retenu que la réhabilitation projetée ne pouvait être autorisée sur le fondement des dispositions de l'article L. 111-23 du code de l'urbanisme précité.
8. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un bâtiment régulièrement édifié vient à être détruit ou démoli, sa reconstruction à l'identique est autorisée dans un délai de dix ans nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale, le plan local d'urbanisme ou le plan de prévention des risques naturels prévisibles en dispose autrement. " Ce droit à reconstruction ne peut être mis en œuvre que si la destruction ou la démolition intervient dans le délai de dix ans ouvert par les dispositions précitées et sous réserve que, précédemment à cet ultime évènement, le bâtiment en cause ne se trouvait pas déjà en état de ruine.
9. Il ressort des énonciations même de l'arrêt attaqué qu'après avoir relevé que le bâtiment dont la réhabilitation était envisagée constitue une ruine, la cour s'est fondée, pour juger que le projet du requérant ne pouvait être autorisé sur le fondement des dispositions de l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme précité, sur l'absence d'éléments démontrant que cet état résultait d'une démolition ou d'une destruction survenue dans les dix ans précédant la date de l'arrêté contesté. Ce faisant, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation.
10. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... la somme de 3 000 euros à verser, à ce titre, à M. C....
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. D... est rejeté.
Article 2 : M. D... versera à M. C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... D..., à M. B... C... et à la commune de Saint-Restitut.