Vu la procédure suivante :
La société Leroy Merlin France a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2019 et 2020 dans les rôles de la commune de Grande-Synthe (Nord). Par un jugement n° 2105267 du 22 mars 2024, le magistrat désigné par le président de ce tribunal a fait droit à sa demande.
I. Sous le n° 494433, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 mai et 19 juin 2024 et le 13 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler ce jugement.
II. Sous le n° 494466, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 mai, 23 août et 24 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté urbaine de Dunkerque demande au Conseil d'Etat, à titre principal :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de la société Leroy Merlin France ;
3°) de mettre à la charge de la société Leroy Merlin France la somme de
5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
A titre subsidiaire, la communauté urbaine de Dunkerque demande au Conseil d'Etat de dire son intervention recevable et de faire droit au pourvoi n° 494433.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Serge Gouès, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la société Leroy Merlin France et à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de la communauté Urbaine de Dunkerque ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces des dossiers soumis au juge du fond que la société Leroy Merlin France a été assujettie à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères au titre des années 2019 et 2020 dans les rôles de la commune de Grande-Synthe (Nord), dans le ressort de la communauté urbaine de Dunkerque. Par un jugement du 22 mars 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a déchargé la société Leroy Merlin France des cotisations en litige. Par deux pourvois qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, d'une part, et la communauté urbaine de Dunkerque, d'autre part, demandent au Conseil d'Etat d'annuler ce jugement.
Sur le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :
2. Aux termes du I de l'article 1520 du code général des impôts : " I. - Les communes qui assurent au moins la collecte des déchets des ménages peuvent instituer une taxe destinée à pourvoir aux dépenses du service de collecte et de traitement des déchets (...), dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n'ayant pas le caractère fiscal. / Les dépenses du service de collecte et de traitement des déchets mentionnées au premier alinéa du présent I comprennent : / 1° Les dépenses réelles de fonctionnement ; / 2° Les dépenses d'ordre de fonctionnement au titre des dotations aux amortissements des immobilisations lorsque, pour un investissement, la taxe n'a pas pourvu aux dépenses réelles d'investissement correspondantes, au titre de la même année ou d'une année antérieure ; / 3° Les dépenses réelles d'investissement lorsque, pour un investissement, la taxe n'a pas pourvu aux dépenses d'ordre de fonctionnement constituées des dotations aux amortissements des immobilisations correspondantes, au titre de la même année ou d'une année antérieure (...) ". La taxe d'enlèvement des ordures ménagères susceptible d'être instituée sur le fondement de ces dispositions n'a pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune ou l'établissement de coopération intercommunale compétent pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales et non couvertes par des recettes non fiscales affectées à ces opérations. Il s'ensuit que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant des dépenses exposées pour ce service, déduction faite, le cas échéant, du montant des recettes non fiscales de la section de fonctionnement, telles qu'elles sont définies par les articles
L. 2331-2 et L. 2331-4 du code général des collectivités territoriales, relatives à ces opérations. Les dépenses susceptibles d'être prises en compte sont constituées de la somme, telle qu'elle peut être estimée à la date du vote de la délibération fixant le taux de la taxe, de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées lorsque la taxe n'a pas pourvu aux dépenses réelles d'investissement correspondantes ou des dépenses réelles d'investissement lorsque la taxe n'a pas pourvu aux dotations aux amortissements.
3. En se bornant, pour retrancher des dépenses de fonctionnement exposées pour le service d'enlèvement et de traitement des ordures ménagères les sommes de
1 649 099 euros et 1 569 946,66 euros pour les années 2019 et 2020 respectivement, à se fonder sur la seule circonstance que ces sommes auraient été identifiées comme des opérations d'ordre de transfert entre sections correspondant en réalité à des dépenses engagées au profit de la section d'investissement, sans rechercher si elles ne pouvaient pas relever des dispositions du 2° du I de l'article 1520 du code général des impôts citées ci-dessus, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
Sur le pourvoi de la communauté urbaine de Dunkerque :
4. Eu égard à ce qui vient d'être dit au point 3, les conclusions de la communauté urbaine de Dunkerque tendant à l'annulation du jugement qu'elle attaque sont, en tout état de cause, devenues sans objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat et de la communauté urbaine de Dunkerque, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, les sommes demandées par la société Leroy Merlin France. Il n'y a par ailleurs pas lieu, en tout état de cause, de faire droit aux conclusions présentées par la communauté urbaine de Dunkerque au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du 22 mars 2024 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Lille.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi de la communauté urbaine de Dunkerque tendant à l'annulation du jugement du 22 mars 2024 du tribunal administratif de Lille.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Leroy Merlin France et la communauté urbaine de Dunkerque au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ministre chargée des comptes publics, à la communauté urbaine de Dunkerque et à la société Leroy Merlin France.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 février 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et M. Serge Gouès, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 11 mars 2025.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Serge Gouès
Le secrétaire :
Signé : M. Gilles Ho
La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :