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11/03/2025 | FRANCE | N°495971

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 11 mars 2025, 495971


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 15 juillet et 16 octobre 2024 et les 3 et 10 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Assemblée des directions de laboratoires demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-430 du 14 mai 2024 portant diverses dispositions relatives à la protection du potentiel scientifique et technique de la Nation ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du cod...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 15 juillet et 16 octobre 2024 et les 3 et 10 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Assemblée des directions de laboratoires demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-430 du 14 mai 2024 portant diverses dispositions relatives à la protection du potentiel scientifique et technique de la Nation ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénal ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le décret n° 2022-368 du 15 mars 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de l'association Assemblée des directions de laboratoires.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 413-7 du code pénal : " Est puni de six mois d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende le fait, dans les services, établissements ou entreprises, publics ou privés, intéressant la défense nationale, de s'introduire, sans autorisation, à l'intérieur des locaux et terrains clos dans lesquels la libre circulation est interdite et qui sont délimités pour assurer la protection des installations, du matériel ou du secret des recherches, études ou fabrications. / Un décret en Conseil d'Etat détermine, d'une part, les conditions dans lesquelles il est procédé à la délimitation des locaux et terrains visés à l'alinéa précédent et, d'autre part, les conditions dans lesquelles les autorisations d'y pénétrer peuvent être délivrées ".

2. Pour l'application des dispositions citées au point précédent, les articles R. 413-1 à R. 413-4 du code pénal précisent les modalités de délimitation des zones protégées qui y sont mentionnées. Le I de l'article R. 413-5-1 du même code dispose que parmi ces zones protégées : " Sont dites " zones à régime restrictif " celles (...) dont le besoin de protection tient à l'impératif qui s'attache à empêcher que des éléments essentiels du potentiel scientifique ou technique de la nation : 1° Fassent l'objet d'une captation de nature à affaiblir ses moyens de défense, à compromettre sa sécurité ou à porter préjudice à ses autres intérêts fondamentaux ; /2° Ou soient détournés à des fins de terrorisme, de prolifération d'armes de destruction massive et de leurs vecteurs ou de contribution à l'accroissement d'arsenaux militaires (...) ". L'association Assemblée des directions de laboratoires (ADL) demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 14 mai 2024 portant diverses dispositions relatives à la protection du potentiel scientifique et technique de la Nation ayant, d'une part, modifié les dispositions de l'article R. 413-5-1 en ce qui concerne la procédure d'autorisation d'accès aux zones à régime restrictif, notamment pour les personnes devant y effectuer un stage, y préparer un doctorat ou y participer à une activité de recherche, et, d'autre part, institué à l'article R. 413-5-2 du code pénal de nouvelles contraventions de la cinquième classe réprimant des manquements de nature à faire obstacle à l'application de ce régime, notamment la non communication aux autorités compétentes des informations requises des personnes ayant accès à une zone à régime restrictif. Elle soulève, à l'appui de sa requête, une question prioritaire de constitutionnalité.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. L'association ADL soutient qu'en adoptant les dispositions de l'article 413-7 du code pénal citées au point 1, le législateur est resté en-deçà de sa compétence et a, par suite, porté atteinte au principe de légalité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ainsi qu'au principe d'indépendance des enseignants-chercheurs.

5. En premier lieu, les dispositions contestées répriment le fait de s'introduire, sans autorisation, dans certains locaux ou terrains d'un établissement ou service, public ou privé, intéressant la défense nationale, délimités pour assurer la protection des installations, du matériel ou du secret des recherches, études ou fabrications. Si l'association ADL soutient que le pouvoir règlementaire aurait, sur le fondement de ces dispositions, procédé à la délimitation de zones au-delà des seuls intérêts de la protection de la défense nationale, cette circonstance, à la supposer avérée, est, par elle-même, sans incidence sur la constitutionnalité des dispositions législatives litigieuses qui ont énoncé des critères suffisamment précis pour permettre au pouvoir règlementaire de délimiter les zones devant ainsi faire l'objet d'une protection particulière. En particulier, contrairement à ce qui est soutenu, la notion de défense nationale est suffisamment claire en elle-même pour ne pas appeler d'autres précisions de la part du législateur. Par suite, les dispositions litigieuses qui ont défini les infractions susceptibles d'être sanctionnées et les peines encourues ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits et des peines.

6. En second lieu, la circonstance que les zones ainsi définies par la loi peuvent être le siège d'activité d'enseignants-chercheurs et que ceux-ci doivent, en conséquence, se soumettre à un régime d'autorisation pour y accéder ne saurait être regardée comme portant, par elle-même, atteinte à leur indépendance, principe fondamental reconnu par les lois de République.

7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée par l'association ADL, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens de la requête :

8. En premier lieu, il ressort de la copie de la minute de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat, produite par le Premier ministre, que le décret attaqué a bien été soumis à son examen et, d'autre part, qu'il ne comporte pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret ne peut qu'être écarté.

9. En deuxième lieu, s'agissant des conditions dans lesquelles peuvent être délivrées les autorisations de pénétrer dans une zone définie comme étant à régime restrictif, le décret litigieux indique que les autorisations sont délivrées par le chef de service, d'établissement ou d'entreprise concerné, après avis favorable du ministre ayant déterminé le besoin de protection, au besoin après une enquête de sécurité réalisée dans les conditions prévues par l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, fixe les délais laissés à ces autorités pour se prononcer, précise différents cas dans lesquels l'avis du ministre est réputé favorable et énonce que le bénéficiaire d'une autorisation d'accès est tenu d'informer l'autorité compétente de tout changement de situation susceptible d'affecter l'appréciation portée sur son droit d'accès, afin que celle-ci en informe sans délai le ministre concerné, lequel peut, s'il y a lieu, revenir sur son avis. Le décret a ainsi suffisamment déterminé les conditions de délivrance des autorisations d'accès à une zone à régime restrictif et il a pu renvoyer lui-même légalement à un arrêté du Premier ministre le soin de préciser, d'une part, les modalités de présentation de la demande d'autorisation d'accès et, d'autre part, la liste des informations que le bénéficiaire d'une telle autorisation est tenu de transmettre en cas de changement dans sa situation.

10. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 6, la circonstance que des enseignants-chercheurs qui exercent leur activité dans un laboratoire au sein duquel se déroulent des recherches sensibles pour la défense nationale doivent se soumettre à un régime d'autorisation pour y accéder ne saurait être regardée comme portant, par elle-même, atteinte à leur indépendance, principe fondamental reconnu par les lois de République. En prévoyant que le silence gardé par le ministre pendant une durée de deux mois suivant la réception de la demande vaut avis défavorable, que les décisions de refus ou de retrait de l'autorisation ne sont pas motivées et que le ministre dispose de la possibilité de revenir à tout moment sur le sens de son avis, les dispositions du décret litigieux ne peuvent davantage être regardées comme constitutives d'une telle atteinte, alors en particulier que l'avis rendu par le ministre a pour seul objet de vérifier, sous le contrôle, le cas échéant, du juge de l'excès de pouvoir, les risques que ces personnes pourraient présenter au regard d'une éventuelle ingérence étrangère ou menace terroriste et ne saurait reposer sur une appréciation des mérites scientifiques de leurs travaux.

11. En dernier lieu, en imposant à une personne ayant obtenu une autorisation d'accès à une zone à régime restrictif de signaler tout changement de situation susceptible d'affecter l'appréciation portée sur son droit d'accès, le décret poursuit les finalités d'intérêt public énoncées au point précédent. L'association requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions du décret du 15 mars 2022 autorisant la mise en œuvre d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Base interministérielle PPST ", pour soutenir que les informations qui doivent être ainsi transmises porteraient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, tel que garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, dès lors que la liste de ces informations ne résulte pas de ces dispositions mais, ainsi qu'il a été dit, au point 9, doit être fixé par un arrêté du Premier ministre.

12. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir soulevée en défense, la requête de l'association ADL doit être rejetée, y compris ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association ADL.

Article 2 : La requête de l'association ADL est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Assemblée des directions de laboratoires et au Premier ministre.

Copie en sera adressée au Conseil Constitutionnel, à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre des armées.


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 495971
Date de la décision : 11/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 mar. 2025, n° 495971
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sara-Lou Gerber
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:495971.20250311
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