Vu la procédure suivante :
M. C... B... A... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 22 août 2022 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à son statut de réfugié en application de l'article L. 511-7, 2°, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de lui rétablir le bénéfice de ce statut.
Par une décision n° 22051877 du 4 juillet 2023, la Cour nationale du droit d'asile a annulé la décision de l'OFPRA et maintenu à M. B... A... le statut de réfugié.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 septembre et 30 novembre 2023 et le 5 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OFPRA demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de renvoyer l'affaire, en vue de son règlement, devant la Cour nationale du droit d'asile.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'OFPRA et à Me Haas, avocat de M. B... A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... A..., ressortissant de la République démocratique du Congo né en 1990, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 7 février 2013. M. B... A... a été condamné par le tribunal correctionnel tribunal de Paris, par un jugement du 15 avril 2015, à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis, révoqué par un jugement du juge d'application des peines d'Orléans du 23 février 2017, pour des faits commis le 13 février 2015 d'exhibition sexuelle, d'agression sexuelle et d'agression sexuelle imposée à un mineur de 15 ans. Le tribunal correctionnel de Paris a de nouveau condamné M. B... A..., par un jugement du 8 août 2017, à une peine de dix mois d'emprisonnement pour des faits commis le 10 avril 2017 d'agression sexuelle en récidive. Par une décision du 22 août 2022, prise sur le fondement du 2° de l'article L. 511-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'OFPRA a mis fin au statut de réfugié dont bénéficiait M. B... A.... Par une décision du 4 juillet 2023, contre laquelle l'OFPRA se pourvoit en cassation, la Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision et a rétabli à M. B... A... le bénéfice du statut de réfugié.
2. L'article L. 511-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Le statut de réfugié peut être refusé ou il peut être mis fin à ce statut lorsque : / (...) / 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société ". Il résulte de ces dispositions que la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d'y mettre fin, qui est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié dès lors qu'il en remplit les conditions, est subordonnée à deux conditions cumulatives. Il appartient à l'OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile, d'une part, de vérifier si l'intéressé a fait l'objet de l'une des condamnations que visent les dispositions précitées et, d'autre part, d'apprécier si sa présence sur le territoire français est de nature à constituer, à la date de leur décision, une menace grave pour la société au sens des dispositions précitées, c'est-à-dire si elle est de nature à affecter un intérêt fondamental de la société, compte tenu des infractions pénales commises - lesquelles ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision refusant le statut de réfugié ou y mettant fin - et des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, mais aussi du temps qui s'est écoulé et de l'ensemble du comportement de l'intéressé depuis la commission des infractions ainsi que de toutes les circonstances pertinentes à la date à laquelle ils statuent.
3. Pour annuler la décision de l'OFPRA, la Cour nationale du droit d'asile, après avoir relevé que la première des deux conditions fixées par le 2° de l'article L. 511-7, tenant à l'existence d'une condamnation en dernier ressort pour un délit puni de dix ans d'emprisonnement, était en l'espèce remplie, a estimé que la présence en France de M. B... A... ne constituait pas une menace grave pour la société.
4. Si, ainsi qu'il a été dit au point 2, les infractions pénales commises par un réfugié ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision mettant fin au statut de réfugié, il appartient à l'OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile, d'examiner la gravité de la menace que constitue la présence de l'intéressé en France en tenant compte, parmi d'autres éléments, de la nature des infractions commises, des atteintes aux intérêts fondamentaux de la société auxquels la réitération de ces infractions exposerait celle-ci et du risque d'une telle réitération. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour nationale du droit d'asile, notamment des propres déclarations de l'intéressé que les faits d'agression sexuelle pour lesquels il a été condamnés ne sont pas les seuls qu'il a commis et qu'il ne s'est décidé à envisager une démarche de soins, alors même que l'obligation lui en avait été faite par le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 15 avril 2015, qu'à la perspective de perdre son statut de réfugié et sur le conseil de son avocat. Dans son jugement du 8 août 2017, le tribunal correctionnel de Paris relève que M. B... A... " ne semble pas considérer avec sérieux le caractère préjudiciable pour autrui de son comportement ". Enfin, si l'avis du Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) du 24 septembre 2021 conclut à l'existence d'interrogations sur le comportement de l'intéressé insuffisantes pour avoir des raisons sérieuses de penser que sa présence sur le territoire national constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la société française, il fait état d'un comportement potentiellement dangereux pour autrui, notamment pour certaines personnes vulnérables comme les mineurs et d'un déficit de contrôle pulsionnel attesté par un rapport psychiatrique établi le 11 avril 2017. Eu égard à la réitération de faits d'agressions sexuelles par M. B... A... et à la méconnaissance de l'obligation de soins qui lui a été faite, les seules circonstances que l'intéressé a finalement entamé un suivi psychologique et justifie d'une activité professionnelle exercée à raison d'un contrat à durée indéterminée ne permettent pas de tenir pour acquis que sa présence en France ne constituait plus, à la date de la décision attaquée, une menace grave pour la société française. L'OFPRA est, par suite, fondé à soutenir que la Cour nationale du droit d'asile a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'OFPRA est fondé à demander l'annulation de la décision de la Cour nationale du droit d'asile qu'il attaque.
6. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'OFPRA, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la Cour nationale du droit d'asile du 4 juillet 2023 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : Les conclusions de M. B... A... présentées au titre du deuxième alinea de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. C... B... A....