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17/03/2025 | FRANCE | N°490773

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 17 mars 2025, 490773


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le n° 490773, par une décision du 10 avril 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la société Union Technique du Bâtiment (UTB) dirigées contre l'arrêt n° 20VE03370 du 9 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Versailles en tant qu'il s'est prononcé sur les intérêts moratoires.



Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2025, la région Ile-de-France conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer

sur le pourvoi, à titre subsidiaire, au rejet du pourvoi et, en toute hypothèse, à ce qu'il...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 490773, par une décision du 10 avril 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la société Union Technique du Bâtiment (UTB) dirigées contre l'arrêt n° 20VE03370 du 9 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Versailles en tant qu'il s'est prononcé sur les intérêts moratoires.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2025, la région Ile-de-France conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer sur le pourvoi, à titre subsidiaire, au rejet du pourvoi et, en toute hypothèse, à ce qu'il soit mis à la charge de la société UTB une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 490786, par une décision du 3 juillet 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la région Ile-de-France dirigées contre le même arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en tant qu'il s'est prononcé sur les intérêts moratoires.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 novembre 2024, la société UTB conclut au rejet du pourvoi et à ce qu'il soit mis à la charge de la région Ile-de-France une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 ;

- le décret n° 2008-407 du 28 avril 2008 ;

- le décret n° 2008-1355 du 19 décembre 2008 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Union Technique du Bâtiment et à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de la région Ile-de-France ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois de la société UTB et de la région Ile-de-France sont dirigés contre le même arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la région Ile-de-France a conduit de 2009 à 2017 une opération de restructuration et d'extension du lycée de Prony, à Asnières-sur-Seine, dont le macro-lot n° 3 " plomberie sanitaire, chauffage-ventilation, aspiration des copeaux et poussière de bois " a été attribué à la société Union Technique du Bâtiment (UTB), pour un montant initial global et forfaitaire de 2 055 370,50euros hors taxes. La fin de la phase 3 a été décalée à six reprises par des ordres de service. Ainsi, alors que le marché initial prévoyait une durée globale d'exécution de 41 mois à compter d'octobre 2009, les travaux de la phase 3 sur le site " Bretagne " du lycée n'ont été réceptionnés que le 24 septembre 2017. La société UTB a, postérieurement à la délivrance de chacun de ces six ordres de service, adressé au mandataire du maître d'ouvrage des devis chiffrant les surcoûts résultant selon elle de ces allongements. Le 27 octobre 2017, la société UTB a adressé son projet de décompte final, comprenant une réclamation à hauteur de 2 125 864,81 euros hors taxes. Le décompte général, excluant toute prise en compte de cette demande, lui a été notifié le 14 mars 2018. La société requérante a adressé, le 22 mars 2018, un mémoire en réclamation puis saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui a rejeté sa demande de condamnation de la région Ile-de-France à lui verser la somme de 2 125 864,81 euros hors taxes, majorée des intérêts moratoires, en indemnisation des préjudices nés des retards du chantier. Par un arrêt du 9 novembre 2023, rectifié par un arrêt du 2 mai 2024, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la société UTB, annulé ce jugement, condamné la région Ile-de-France à verser à la société UTB la somme de 264 699,84 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts moratoires capitalisés au taux légal augmenté de deux points, à compter du 5 mai 2013 pour la somme 208 239,02 euros, et à compter du 14 octobre 2013 pour la somme de 56 460,83 euros et rejeté le surplus de l'appel formé par cette société contre ce jugement. Par deux décisions du 10 avril et du 3 juillet 2024, le Conseil d'Etat n'a admis les conclusions des deux pourvois formés respectivement par la société UTB et la région Ile-de-France contre cet arrêt qu'en tant qu'il s'est prononcé sur les intérêts moratoires.

Sur l'exception de non-lieu opposée par la région Ile-de-France :

3. L'intervention de l'arrêt rectificatif n° 23VE02629 du 2 mai 2024 de la cour administrative d'appel de Versailles, qui n'a pas modifié l'arrêt du 9 novembre 2023 sur la question du point de départ des intérêts moratoires, n'a pas privé d'objet le pourvoi de la société UTB. Par suite, la région Ile-de-France n'est pas fondée à soutenir qu'il n'y aurait plus lieu de statuer sur ce pourvoi.

Sur les pourvois :

4. Aux termes de l'article 98 du code des marchés publics, dans sa rédaction résultant du décret du 19 décembre 2008 de mise en œuvre du plan de relance économique dans les marchés publics : " Le délai global de paiement d'un marché public ne peut excéder : / (...) 2° 45 jours pour les collectivités territoriales et les établissements publics locaux autres que ceux mentionnés au 3°. / Ce délai est ramené à : / a) Quarante jours à compter du 1er janvier 2009 (...) ". L'article 45 du décret du 19 décembre 2008 dispose que le délai prévu au a) du 2° de l'article 98 du code des marchés publics, qui vient d'être cité, est applicable aux marchés dont la procédure de consultation est engagée ou l'avis d'appel public à la concurrence est envoyé à la publication à compter du 1er janvier 2009 et jusqu'au 31 décembre 2009.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt rectifié de la cour administrative d'appel que l'avis d'appel public à la concurrence relatif au marché litigieux a été publié le 7 janvier 2009. Par suite, en faisant application, pour fixer le point de départ des intérêts moratoires, du délai global de paiement de 45 jours prévu par le 2° de l'article 98 du code des marchés publics dans sa rédaction résultant du décret du 28 avril 2008 modifiant l'article 98 du code des marchés publics, alors qu'était applicable au marché litigieux le délai de 40 jours fixé par les dispositions du décret du 19 décembre 2008 citées au point précédent, la cour a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que la société UTB est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il s'est prononcé sur les intérêts moratoires applicables à la somme de 264 699,85 euros que la cour a condamné la région Ile-de-France à verser à la société ainsi que sur la capitalisation de ces intérêts. Il n'y a, dès lors, pas lieu de statuer sur les conclusions admises du pourvoi de la région Ile-de-France, qui tendent aux mêmes fins.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation prononcée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur le règlement de l'affaire s'agissant des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts :

8. Aux termes du I de l'article 1er du décret du 21 février 2002 relatif à la mise en œuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics, désormais repris en substance aux articles R. 2192-12 à R. 2192-17 du code de la commande publique : " Le point de départ du délai global de paiement prévu aux articles 54 et 55 de la loi du 15 mai 2001 susvisée et à l'article 98 du code des marchés publics est la date de réception de la demande de paiement par les services de la personne publique contractante ou, si le marché le prévoit, par le maître d'œuvre ou tout autre prestataire habilité à cet effet. Le marché indique les conditions administratives et techniques auxquelles sont subordonnés les mandatements et le paiement. / Toutefois : / -le point de départ du délai global de paiement est la date d'exécution des prestations lorsqu'elle est postérieure à la date de réception de la demande de paiement ; / -pour les marchés de travaux, le point de départ du délai global de paiement du solde est la date de réception du décompte général et définitif par le maître de l'ouvrage ; / -pour les marchés industriels ou de prestations intellectuelles du ministère de la défense d'une durée d'exécution supérieure à six mois, le point de départ du délai global de paiement du solde ou des paiements partiels définitifs est la date de la notification de la date d'effet de la décision de réception ou d'admission, si cette date est postérieure à la date de réception de la demande de paiement, arrêtées selon les modalités du marché. / La date de réception de la demande de paiement et la date d'exécution des prestations sont constatées par les services de la personne publique contractante. A défaut, c'est la date de la demande de paiement augmentée de deux jours qui fait foi. En cas de litige, il appartient au titulaire de la commande d'administrer la preuve de cette date ". Selon l'article 5 de ce décret, désormais repris en substance à l'article L. 2192 13 du code de la commande publique : " I.- Le défaut de paiement dans les délais prévus par l'article 98 du code des marchés publics fait courir de plein droit, et sans autre formalité, des intérêts moratoires au bénéfice du titulaire ou du sous-traitant payé directement. / Les intérêts moratoires courent à partir du jour suivant l'expiration du délai global jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse. / (...) II. - 1° Le taux des intérêts moratoires est référencé dans le marché. / 2° Pour les organismes soumis aux délais de paiement mentionnés aux 1° et 2° de l'article 98 du code des marchés publics, qu'il soit ou non indiqué dans le marché, le taux des intérêts moratoires est égal au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de sept points (...) ".

9. En premier lieu, si la société UTB soutient que les devis qu'elle a transmis au maître d'œuvre le 20 mars et le 29 août 2013 constitueraient le point de départ du délai de paiement des sommes que la région Ile-de-France a été condamnée à lui verser, ces devis, qui se bornaient à évaluer les surcoûts résultant selon elle de l'allongement de la durée des travaux décidé par ordres de service du maître d'ouvrage, ne peuvent être regardés comme des demandes de paiement au sens des dispositions citées au point 8.

10. Par suite, et en l'absence de demande de paiement antérieure, le délai de paiement doit être regardé comme ayant commencé à courir à compter de la réception par le maître d'ouvrage de la réclamation formée contre le décompte général.

11. A cet égard, il résulte de l'instruction que la société UTB a transmis le 22 mars 2018 au maître d'ouvrage un mémoire en réclamation contre le décompte général. En l'absence d'élément au dossier attestant la date de réception de ce mémoire par le maître d'ouvrage, le point de départ du délai global de paiement doit être fixé à la date de la demande de paiement augmentée de deux jours, soit le 24 mars 2018. Ainsi qu'il a été dit au point 5, le délai de paiement applicable en l'espèce était de 40 jours. Il y a lieu, par suite, de fixer au 3 mai 2018 le point de départ des intérêts moratoires sur la somme que la cour administrative d'appel de Versailles a condamné la région Ile-de-France à verser à la société UTB. Ces intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts au 3 mai 2019 et à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date.

12. En second lieu, il résulte de la combinaison des dispositions citées aux points 4 et 8 que le taux des intérêts moratoires est égal au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, soit le 1er janvier 2018, majoré de sept points.

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties aux titres de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt rectifié du 9 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur les intérêts moratoires et la capitalisation de ces intérêts.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions admises du pourvoi de la région Ile-de-France.

Article 3 : La somme de 264 699,84 euros toutes taxes comprises que la cour administrative d'appel de Versailles a condamné la région Ile-de-France à verser à la société UTB est assortie des intérêts moratoires à compter du 3 mai 2018, au taux d'intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le 1er janvier 2018, majoré de sept points. Ces intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts au 3 mai 2019 et à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date.

Article 4 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Union technique du bâtiment (UTB) et à la région Ile-de-France.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 490773
Date de la décision : 17/03/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 mar. 2025, n° 490773
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alexandre Denieul
Rapporteur public ?: M. Nicolas Labrune
Avocat(s) : SCP BUK LAMENT - ROBILLOT ; SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:490773.20250317
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