Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 3 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association d'étude et de protection des poissons dans les départements des Bouches-du-Rhône et du Gard demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 122-11 du code de l'environnement, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 24 février 2025 de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et de la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de perturbation intentionnelle et de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- elle justifie d'un intérêt pour agir ;
- l'arrêté contesté est entachée d'illégalité dès lors qu'il n'a pas été précédé d'une évaluation des incidences des tirs de cormorans dans les sites Natura 2000 sur les espèces protégées mentionnées à l'annexe I de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 et de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2025, la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer, de la pêche, conclut au rejet de la requête. Elle soutient que, en premier lieu, l'association ne justifie pas d'un intérêt pour agir pour solliciter la suspension de l'exécution de l'arrêté en dehors des départements des Bouches-du-Rhône, du Gard, du Var, du Vaucluse, de l'Ardèche, de la Lozère, de l'Aveyron et de l'Hérault, en deuxième lieu, les conditions de l'article L. 122-11 du code de l'environnement ne sont pas satisfaites et, en dernier lieu, les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 21 mars 2025, la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques conclut, d'une part, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête et, d'autre part, à titre subsidiaire, au rejet de la requête. Elle soutient que son intervention est recevable et que l'association requérante ne justifie pas d'un intérêt pour agir.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Association d'étude et de protection des poissons dans les départements des Bouches-du-Rhône et du Gard et, d'autre part, la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 24 mars 2025, à 10 heures 30 :
- les représentants de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et de la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ;
- le représentant de la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 mars 2025, présentée par la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer, de la pêche ;
Considérant ce qui suit :
1. L'Association d'étude et de protection des poissons dans les départements des Bouches-du-Rhône et du Gard demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 122-11 du code de l'environnement, de suspendre l'exécution de l'arrêté de la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et de la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire du 24 février 2025 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de perturbation intentionnelle et de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans.
2. Eu égard à son objet, la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir en défense. Dès lors son intervention est recevable.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement du I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de l'article 12 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive " habitats " : " Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (...) d'espèces animales non domestiques (...) et de leurs habitats, sont interdits : 1° (...) la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ; 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes du I de l'article L. 411-2 du même code, pris pour la transposition de l'article 16 de la même directive : " Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (...) ainsi protégés ; 2° La durée et les modalités de mise en œuvre des interdictions prises en application du I de l'article L. 411-1 ; 3° La partie du territoire sur laquelle elles s'appliquent (...) ; 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ". Pour l'application de ces dernières dispositions, l'article R. 411-1 du code de l'environnement prévoit que la liste des espèces animales non domestiques faisant l'objet des interdictions définies à l'article L. 411-1 du même code est établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l'agriculture. L'article R. 411-6 du même code précise que : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / (...) ". Son article R. 411-13 prévoit que les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature " 1° Les modalités de présentation et la procédure d'instruction des demandes de dérogations ; (...) / 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 414-1 du code de l'environnement : " I.- Les zones spéciales de conservation sont des sites marins et terrestres à protéger comprenant : (...) / -soit des habitats abritant des espèces de faune ou de flore sauvages rares ou vulnérables ou menacées de disparition ; / -soit des espèces de faune ou de flore sauvages dignes d'une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat ou des effets de leur exploitation sur leur état de conservation ; (...) / IV.- Les sites désignés comme zones spéciales de conservation et zones de protection spéciale par décision de l'autorité administrative concourent, sous l'appellation commune de " sites Natura 2000 ", à la formation du réseau écologique européen Natura 2000. / V.- Les sites Natura 2000 font l'objet de mesures destinées à conserver ou à rétablir dans un état favorable à leur maintien à long terme les habitats naturels et les populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié leur délimitation. Les sites Natura 2000 font également l'objet de mesures de prévention appropriées pour éviter la détérioration de ces mêmes habitats naturels et les perturbations de nature à affecter de façon significative ces mêmes espèces. / Ces mesures sont définies en concertation notamment avec les collectivités territoriales intéressées et leurs groupements concernés ainsi qu'avec des représentants de propriétaires, exploitants et utilisateurs des terrains et espaces inclus dans le site. / Elles tiennent compte des exigences économiques, sociales, culturelles et de défense, ainsi que des particularités régionales et locales. Elles sont adaptées aux menaces spécifiques qui pèsent sur ces habitats naturels et sur ces espèces. Elles ne conduisent pas à interdire les activités humaines dès lors qu'elles n'ont pas d'effets significatifs sur le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable de ces habitats naturels et de ces espèces ". Aux termes de l'article L. 414-2 du même code : " I. Pour chaque site Natura 2000, un document d'objectifs définit les orientations de gestion, les mesures prévues à l'article L. 414-1, les modalités de leur mise en œuvre et les dispositions financières d'accompagnement. / Le document d'objectifs est compatible ou rendu compatible, lors de son élaboration ou de sa révision, avec les objectifs environnementaux définis par le plan d'action pour le milieu marin prévu aux articles L. 219-9 à L. 219-18, lorsqu'ils concernent les espèces et les habitats justifiant la désignation du site (...) ". Aux termes de l'article L. 414-4 du même code, qui transpose les dispositions de l'article de la directive " habitats " " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après "Evaluation des incidences Natura 2000" : / 1° Les documents de planification qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations, sont applicables à leur réalisation ; / 2° Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations ; / 3° Les manifestations et interventions dans le milieu naturel ou le paysage (...)/ IV bis. ' Tout document de planification, programme ou projet ainsi que manifestation ou intervention susceptible d'affecter de manière significative un site Natura 2000 et qui ne figure pas sur les listes mentionnées aux III et IV fait l'objet d'une évaluation des incidences Natura 2000 sur décision motivée de l'autorité administrative. ". Aux termes du IX de ce même article : " L'article L. 122-11 est applicable aux décisions visées aux I à V prises sans qu'une évaluation des incidences Natura 2000 ait été faite ". Aux termes de l'article L. 122-11 du même code : " Si une requête déposée devant la juridiction administrative contre une décision d'approbation d'un plan, schéma, programme ou autre document de planification visé aux I et II de l'article L. 122-4 est fondée sur l'absence d'évaluation environnementale, le juge des référés, saisi d'une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence est constatée ".
5. Il ressort de son article 1er que l'arrêté litigieux a pour objet de fixer les conditions et limites des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle (effarouchements) et de destruction des grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) qui peuvent, sur le fondement des dispositions citées au point 3, être accordées par les préfets pour prévenir des dommages importants aux piscicultures en étang et à certaines espèces piscicoles. Il fixe notamment les périodes auxquelles ces opérations peuvent être autorisées, les plafonds de destruction ainsi que les modalités d'exécution des opérations d'effarouchement et de destruction. Il résulte des dispositions citées aux points 3 et 4 ainsi que de l'arrêté litigieux que toute opération d'effarouchement et de destruction des grands cormorans doit, dans le cadre ainsi établi, être autorisée par le préfet en tenant compte, pour chaque territoire concerné, à la fois des dommages causés par les grands cormorans et des effets de ces opérations sur les objectifs de protection des autres espèces animales. Si l'association requérante fait valoir de manière générale que ces opérations sont susceptibles de perturber la loutre et treize espèces d'oiseaux protégées présentes dans des milieux humides compris dans des zones Natura 2000 sur l'ensemble du territoire national, elle n'établit pas que l'arrêté litigieux, qui, ainsi qu'il vient d'être dit, n'autorise pas ces opérations, serait, par lui-même, susceptible d'affecter de manière significative un ou plusieurs sites Natura 2000. Elle n'est par suite, et en l'état de l'instruction, pas fondée à soutenir que l'arrêté litigieux devait faire l'objet, en application des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, d'une évaluation des incidences Natura 2000 ni, par voie de conséquence, à demander au juge des référés d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 122-11 du code de l'environnement, la suspension de son exécution au motif qu'il n'aurait pas été précédé d'une telle évaluation.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, que la requête de l'Association d'étude et de protection des poissons dans les départements des Bouches-du-Rhône et du Gard doit être rejetée.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques est admise.
Article 2 : La requête de l'Association d'étude et de protection des poissons dans les départements des Bouches-du-Rhône et du Gard est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association d'étude et de protection des poissons dans les départements des Bouches-du-Rhône et du Gard, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques.
Fait à Paris, le 28 mars 2025
Signé : Gilles Pellissier