Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 17 février 2020 par laquelle l'inspectrice du travail de la section 13 de l'unité de contrôle 071-U02 de l'unité départementale de Saône-et-Loire a autorisé la société Française Gardy à le licencier. Par un jugement n°2001330 du 18 novembre 2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22LY00052 du 20 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 février, 22 mai et 11 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat et de la société Française Gardy la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. B... et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Française Gardy ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Française Gardy a demandé à l'inspectrice du travail de la section 13 de l'unité de contrôle 071-U02 de l'unité départementale de Saône-et-Loire l'autorisation de licencier M. B..., technicien maintenance production et salarié protégé, au motif que celui-ci a refusé, par un courrier du 15 octobre 2019, la modification de son contrat de travail résultant de l'application d'un accord de performance collective conclu le 4 juillet 2019 au sein de cette entreprise. Par une décision du 17 février 2020, l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement. Par un jugement du 18 novembre 2021, le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de M. B... tendant à l'annulation de cette décision. Par un arrêt du 20 décembre 2022, contre lequel M. B... se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement.
Sur le cadre juridique :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé.
3. Aux termes de l'article L. 2254-2 du code du travail : " I. - Afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l'emploi, un accord de performance collective peut : / - aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition ; / - aménager la rémunération au sens de l'article L. 3221-3 dans le respect des salaires minima hiérarchiques mentionnés au 1° du I de l'article L. 2253-1 ; / - déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise. / (...) III. - Les stipulations de l'accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise. / Le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l'application de l'accord. / IV. - Le salarié dispose d'un délai d'un mois pour faire connaître son refus par écrit à l'employeur à compter de la date à laquelle ce dernier a informé les salariés, par tout moyen conférant date certaine et précise, de l'existence et du contenu de l'accord, ainsi que du droit de chacun d'eux d'accepter ou de refuser l'application à son contrat de travail de cet accord. / V. - L'employeur dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement. Ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse. Ce licenciement est soumis aux seules modalités et conditions définies aux articles L. 1232-2 à L. 1232-14 ainsi qu'aux articles L. 1234-1 à L. 1234-11, L. 1234-14, L. 1234-18, L. 1234-19 et L. 1234-20. / (...) ".
4. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. " Aux termes de l'article L. 4624-3 du même code : " I.- Lorsque le médecin du travail constate la présence d'un risque pour la santé des travailleurs, il propose par un écrit motivé et circonstancié des mesures visant à la préserver. / L'employeur prend en considération ces propositions et, en cas de refus, fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. / (...) ". Aux termes de l'article L. 4624-6 de ce code : " L'employeur est tenu de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4. En cas de refus, l'employeur fait connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. "
5. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1226-10 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. " Aux termes de l'article L. 1226-12 du même code : " Lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement. / L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi. / (...) / S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III ".
6. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'acceptation par un salarié protégé de la modification de son contrat de travail résultant de l'application d'un accord de performance collective, dont les stipulations se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles de ce contrat, en application des dispositions du III de l'article L. 2254-2 du code du travail citées au point 3, n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de son obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ce salarié en application des dispositions mentionnées au point 4 et, à cet égard, notamment, de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions le cas échéant émis par le médecin du travail relativement à ce salarié.
7. Il en résulte également que si, en cas de refus par un salarié protégé de la modification de son contrat de travail résultant de l'application d'un accord de performance collective, son employeur peut, pour ce seul motif, engager une procédure de licenciement, ainsi que le prévoit l'article L. 2254-2 du code du travail, et, à ce titre, s'agissant d'un salarié protégé, demander à l'inspecteur du travail l'autorisation de procéder à un tel licenciement, ce dernier ne peut légalement faire droit à une telle demande si à la date à laquelle il se prononce, le salarié a fait l'objet d'un avis d'inaptitude émis par le médecin du travail, son licenciement, en un tel cas, ne pouvant en principe avoir d'autre fondement que l'inaptitude et étant, par suite, régi par les dispositions des articles L. 1226-10 du code du travail et suivants.
Sur le pourvoi :
8. En premier lieu, la cour administrative d'appel, saisie d'une argumentation par laquelle M. B... faisait valoir qu'il avait légitimement refusé la modification de son contrat de travail résultant de l'accord de performance collective parce que son état de santé était incompatible avec la nouvelle organisation du travail prévue par cet accord, a souverainement constaté, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, que l'intéressé n'avait pas fait l'objet d'un avis d'inaptitude du médecin du travail. Dès lors, c'est sans erreur de droit qu'elle a jugé que le refus par l'intéressé de la modification de son contrat de travail résultant de l'accord de performance collective constituait, à lui seul, une cause réelle et sérieuse de licenciement, en application des dispositions de l'article L. 2254-2 du code du travail. La cour a par ailleurs relevé que la circonstance alléguée par l'intéressé, relativement à son état de santé, ne faisait pas obstacle à ce qu'il accepte la modification de son contrat de travail, dès lors qu'une telle acceptation ne délivrait pas son employeur de l'obligation légale d'assurer sa sécurité et de protéger sa santé, le cas échéant en prenant en considération les avis ou propositions émis par le médecin du travail. En statuant ainsi, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
9. En second lieu, le requérant ne peut utilement soutenir que la cour, en jugeant que la décision de l'inspectrice du travail autorisant son licenciement n'était entachée d'aucune illégalité sans se prononcer sur la validité de l'accord de performance collective, ni sur la conformité de la procédure suivie par l'employeur aux dispositions des III à V de l'article L. 2254-2 du code du travail citées au point 3, aurait commis une erreur de droit, dès lors qu'il ne soulevait aucun moyen à cet égard en appel.
10. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Française Gardy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la société Française Gardy qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Française Gardy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la société Française Gardy et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.