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09/04/2025 | FRANCE | N°488079

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 09 avril 2025, 488079


Vu la procédure suivante :



Mme B... C..., assistée de son curateur M. A... C..., a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, d'annuler la décision du 5 août 2015 par laquelle le président du conseil départemental de la Haute-Garonne a décidé de faire application, à compter du 1er septembre 2015, des dispositions des articles D. 344-35 et D. 344-36 du code de l'action sociale et des familles pour la détermination du minimum de ressources laissées à la disposition des résidents de l'établissement d'hébergement " L'Occitan ", en tant

que cette décision emporte diminution des ressources laissées à sa disposit...

Vu la procédure suivante :

Mme B... C..., assistée de son curateur M. A... C..., a demandé au tribunal administratif de Toulouse, d'une part, d'annuler la décision du 5 août 2015 par laquelle le président du conseil départemental de la Haute-Garonne a décidé de faire application, à compter du 1er septembre 2015, des dispositions des articles D. 344-35 et D. 344-36 du code de l'action sociale et des familles pour la détermination du minimum de ressources laissées à la disposition des résidents de l'établissement d'hébergement " L'Occitan ", en tant que cette décision emporte diminution des ressources laissées à sa disposition de 125 % à 70 % du montant mensuel de l'allocation aux adultes handicapés, d'autre part, d'enjoindre au président du conseil départemental de la Haute-Garonne de la rétablir dans ses droits à compter du 1er septembre 2015 et, enfin, de le condamner à lui verser les sommes dues depuis cette date. Par un jugement n° 2206780 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Toulouse a fixé à 90 % du montant mensuel de l'allocation aux adultes handicapés le montant des ressources devant être laissées chaque mois à la disposition de Mme C... à compter du 1er septembre 2015, a réformé en ce sens la décision par laquelle le président du conseil départemental de la Haute-Garonne a fixé le reste à vivre de Mme C..., a enjoint au conseil départemental de la Haute-Garonne de la rétablir dans ses droits et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 septembre et 27 novembre 2023 et le 22 juillet 2024 au secrétariat du contentieux, le département de la Haute-Garonne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter le pourvoi incident de Mme C... ;

3°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Toulouse.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du département de la Haute-Garonne et à la SCP Guérin, Gougeon, avocat de Mme C... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'établissement " L'Occitan " bénéficie d'une autorisation de fonctionnement en qualité de foyer d'hébergement, délivrée par un arrêté du 21 mars 1980 du préfet de la Haute-Garonne. Les résidents de cet établissement ont été informés par un courrier du 27 août 2014 de son association gestionnaire de ce que la totalité des prestations (frais d'alimentation, hormis les déjeuners, produits d'entretien et lessive pour le linge ainsi qu'une partie des loisirs) devant être intégrée dans le prix de journée à compter du 1er septembre 2014, celui-ci devrait désormais fonctionner conformément à son agrément, et non comme un foyer-logement. Après un moratoire sur la mise en œuvre de cette décision, le président du conseil départemental de la Haute-Garonne a, par courrier du 5 août 2015, informé les résidents de cet établissement de ce que ce moratoire prendrait fin le 1er septembre 2015, le minimum de ressources laissé à chaque résident devant alors être fixé conformément aux dispositions des articles D. 344-35 et D. 344-36 du code de l'action sociale et des familles, et non plus à celles de l'article D. 344-37 du même code. Mme C..., adulte handicapée sous curatelle travaillant en établissements et services d'accompagnement par le travail, qui bénéficie, en vertu d'un arrêté du 21 janvier 2013 du président du conseil départemental de la Haute-Garonne, de la prise en charge de ses frais d'hébergement et qui est hébergée au sein de l'établissement " L'Occitan " depuis le 18 juin 2012, a demandé au tribunal administratif de Toulouse, après que la commission départementale d'aide sociale de la Haute-Garonne, la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale et le tribunal judiciaire de Toulouse se sont déclarés incompétents, d'annuler cette décision en tant qu'elle emporte diminution du minimum des ressources laissées à sa disposition de 125 % à 70 % de l'allocation aux adultes handicapés. Par un jugement du 7 juillet 2023 contre lequel le département de la Haute-Garonne se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cette décision en tant qu'elle fixe le minimum de ressources laissé à la disposition de Mme C... à 70 % du montant mensuel de l'allocation aux adultes handicapés et l'a porté à 90 % de ce montant, et a enjoint au département de la Haute-Garonne de la rétablir dans ses droits et de lui verser les sommes dont elle avait été privée. Mme C..., par la voie du pourvoi incident, demande l'annulation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à ses conclusions tendant à ce que le minimum de ressources laissé à sa disposition soit fixé, comme précédemment, à 125 % du montant mensuel de l'allocation aux adultes handicapés.

Sur le cadre juridique du litige :

2. D'une part, aux termes du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles : " Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d'une personnalité morale propre, énumérés ci-après : (...) / 7° Les établissements et les services, y compris les foyers d'accueil médicalisé, qui accueillent des personnes adultes handicapées, quel que soit leur degré de handicap ou leur âge, ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale ou bien qui leur assurent un accompagnement médico-social en milieu ouvert (...) ".

3. D'autre part, aux termes des dispositions de l'article L. 132-3 du code de l'action sociale et des familles : " Les ressources de quelque nature qu'elles soient à l'exception des prestations familiales, dont sont bénéficiaires les personnes placées dans un établissement au titre de l'aide aux personnes âgées ou de l'aide aux personnes handicapées, sont affectées au remboursement de leurs frais d'hébergement et d'entretien dans la limite de 90 %. Toutefois les modalités de calcul de la somme mensuelle minimum laissée à la disposition du bénéficiaire de l'aide sociale sont déterminées par décret. (...) ". L'article L. 344-5 du même code prévoit que : " Les frais d'hébergement et d'entretien des personnes handicapées accueillies, quel que soit leur âge, dans les établissements mentionnés (...) au 7° du I de l'article L. 312-1 (...) sont à la charge : / 1° A titre principal, de l'intéressé lui-même sans toutefois que la contribution qui lui est réclamée puisse faire descendre ses ressources au-dessous d'un minimum fixé par décret et par référence à l'allocation aux handicapés adultes, différent selon qu'il travaille ou non (...) ". Aux termes des dispositions de l'article R. 344-29 du même code : " Toute personne handicapée qui est accueillie de façon permanente ou temporaire, à la charge de l'aide sociale, dans un établissement de rééducation professionnelle fonctionnant en internat, dans un foyer-logement ou dans tout autre établissement d'hébergement pour personnes handicapées doit s'acquitter d'une contribution qu'elle verse à l'établissement ou qu'elle donne pouvoir à celui-ci d'encaisser. / Cette contribution, qui a pour seul objet de couvrir tout ou partie des frais d'hébergement et d'entretien de la personne handicapée, est fixée par le président du conseil départemental (...), au moment de la décision de prise en charge, compte tenu des ressources du pensionnaire, de telle sorte que celui-ci puisse conserver le minimum fixé en application du 1° de l'article L. 344-5 (...) ".

4. Le minimum de ressources qui doit être laissé à la disposition des personnes handicapées lorsqu'elles sont accueillies dans des établissements pour personnes handicapées est fixé par les articles D. 344-35 et suivants du code de l'action sociale et des familles. Au terme de l'article D. 344-35 de ce code : " Lorsque l'établissement assure un hébergement et un entretien complet, y compris la totalité des repas, le pensionnaire doit pouvoir disposer librement chaque mois : (...) 2° S'il travaille, (...) du tiers des ressources garanties résultant de sa situation ainsi que de 10 % de ses autres ressources, sans que ce minimum puisse être inférieur à 50 % du montant mensuel de l'allocation aux adultes handicapés ". Il résulte de l'article D. 344-36 du même code que ce minimum est porté à 70 % du montant mensuel de l'allocation aux adultes handicapés lorsque le pensionnaire prend régulièrement à l'extérieur de l'établissement au moins cinq des principaux repas au cours d'une semaine et de l'article D. 344-37 du même code qu'il est porté à 125 % du montant mensuel de l'allocation aux adultes handicapés pour les pensionnaires d'un foyer-logement pour personnes handicapées, lorsqu'ils travaillent.

Sur le pourvoi principal :

5. En premier lieu, il résulte des dispositions combinées des articles L. 344-5 et D. 344-35 et suivants du code de l'action sociale et des familles qu'un établissement assure un entretien complet lorsqu'il prend en charge les dépenses correspondant à la réalisation des prestations correspondantes, telles notamment que les achats alimentaires et d'entretien, les repas, l'entretien du linge et le ménage, la circonstance que les résidents de l'établissement participent le cas échéant de façon autonome à tout ou partie de la réalisation de ces prestations demeurant sans incidence à cet égard, sous réserve que cela n'entraîne pas de frais supplémentaires pour les résidents, de telles dépenses devant trouver leur contrepartie dans le tarif de l'établissement. Par suite, en jugeant que l'établissement " L'Occitan " n'assurait pas à ses résidents, en plus de l'hébergement, un entretien complet, au motif que les résidents réalisaient de manière autonome les achats alimentaires et d'entretien, la préparation des repas et le ménage, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

6. En second lieu, en outre, s'il résulte des dispositions de l'article L. 344-5 du code de l'action sociale et des familles que la contribution qui est réclamée à une personne handicapée lorsqu'elle est accueillie dans un établissement pour personnes handicapées ne peut pas faire descendre les ressources laissées à sa libre disposition au-dessous d'un minimum fixé par les dispositions des articles D. 344-35 et suivants du même code et par référence à l'allocation aux adultes handicapés, différent selon qu'elle travaille ou non, ces dispositions n'interdisent pas au département d'édicter des règles plus favorables conduisant à réclamer à l'intéressé une contribution laissant à sa libre disposition des ressources supérieures. En l'absence de mise en œuvre par le département de la faculté qui lui demeure ainsi ouverte, l'office de plein contentieux du juge administratif ne saurait l'autoriser à moduler lui-même ce taux. Par suite, en portant le montant laissé à la libre disposition de Mme C..., sans que le règlement départemental d'aide sociale de la Haute-Garonne ne l'ait prévu, à 90 % du montant mensuel de l'allocation aux adultes handicapés, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de ce pourvoi, que le département de la Haute-Garonne est fondé à demander pour ces motifs l'annulation du jugement qu'il attaque en tant qu'il annule sa décision du 5 août 2015 en ce qu'elle fixe le minimum de ressources laissées à la disposition de Mme C... à 70 % du montant mensuel de l'allocation aux adultes handicapés conformément à l'article D. 344-36 du code de l'action sociale et des familles pour le porter à 90 % de ce montant.

Sur le pourvoi incident :

8. Aux termes des dispositions de l'article L. 633-1 du code de la construction et de l'habitation : " Un logement-foyer, au sens du présent chapitre, est un établissement destiné au logement collectif à titre de résidence principale de personnes dans des immeubles comportant à la fois des locaux privatifs meublés ou non et des locaux communs affectés à la vie collective. / Il accueille notamment des personnes âgées, des personnes handicapées, des jeunes travailleurs, des étudiants, des travailleurs migrants ou des personnes défavorisées. (...) ".

9. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la circonstance que les achats alimentaires et d'entretien, la préparation des repas et le ménage soient effectuées, de manière autonome, par les résidents de l'établissement " L'Occitan " ne fait pas obstacle à ce que cet établissement relève des dispositions des articles D. 344-35 et D. 344-36 du code de l'action sociale et des familles dès lors qu'il prend intégralement en charge les frais correspondants à ces prestations. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir, en tout état de cause, que cet établissement devait être qualifié de foyer-logement et que le minimum de ressources devant être laissé à la disposition des personnes handicapées y résidant devait être fixé à 125 % du montant mensuel de l'allocation aux adultes handicapés, s'agissant des pensionnaires d'un foyer-logement pour personnes handicapées, lorsqu'ils travaillent, conformément aux dispositions de l'article D. 344-37 du même code.

10. Il en résulte que Mme C... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif qu'elle attaque dans la mesure de son pourvoi incident rappelé au point 1.

Sur le règlement du litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation prononcée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

12. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que l'établissement " L'Occitan " assure un hébergement et un entretien complet à ses pensionnaires. Par suite, le minimum de ressources dont ceux-ci doivent pouvoir disposer librement chaque mois est déterminé conformément aux dispositions des articles D. 344-35 et D. 344-36 du code de l'action sociale et des familles. En fixant, par la décision du 5 août 2015 en litige, à 70 % du montant de l'allocation aux adultes handicapés le montant de ressources devant être laissé à la libre disposition de Mme C..., qui prend ses déjeuners à l'extérieur cinq jours par semaine au moins, le président du conseil départemental de la Haute-Garonne n'a pas fait une inexacte application de ces dispositions. Il s'ensuit que Mme C... n'est pas fondée à en demander l'annulation. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent par suite qu'être également rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par Mme C....

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Toulouse est annulé en tant qu'il porte à 90 % du montant mensuel de l'allocation aux adultes handicapés le montant des ressources laissées chaque mois à la disposition de Mme C... à compter du 1er septembre 2015 et qu'il réforme en ce sens la décision par laquelle le président du conseil départemental de la Haute-Garonne a fixé le reste à vivre de Mme C....

Article 2 : Le pourvoi incident et la requête de Mme C... sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au département de la Haute-Garonne et à Mme B... C....

Délibéré à l'issue de la séance du 26 mars 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat ; Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 9 avril 2025.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Anne Redondo

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 488079
Date de la décision : 09/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 09 avr. 2025, n° 488079
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Anne Redondo
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE ; SCP GUÉRIN - GOUGEON

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:488079.20250409
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