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11/04/2025 | FRANCE | N°500698

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 11 avril 2025, 500698


Vu la procédure suivante :



Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " National organisation for the reform of marijuana laws France " demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à la modification des articles R. 235-5 et R. 235-6 du code de la route ;



2°) d'enjoindre au pouvoir réglementaire, dans un d

élai de quinze jours à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " National organisation for the reform of marijuana laws France " demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à la modification des articles R. 235-5 et R. 235-6 du code de la route ;

2°) d'enjoindre au pouvoir réglementaire, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, de modifier l'article R. 235-5 du code de la route pour prévoir le dosage des produits stupéfiants mis en évidence dans l'organisme du conducteur et l'article R. 235-6 du même code pour prévoir la possibilité pour le conducteur de se faire assister d'un avocat lorsqu'il lui est demandé s'il souhaite se réserver la possibilité de demander l'examen technique ou l'expertise prévus par l'article R. 235-11 ou la recherche de l'usage des médicaments psychoactifs prévue au même article ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la route ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Brillet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'association " National organisation for the reform of marijuana laws France " demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger ou de modifier, d'une part, l'article R. 235-5 du code de la route, en tant qu'il ne prévoit pas le dosage des produits stupéfiants mis en évidence dans l'organisme du conducteur et, d'autre part, l'article R. 235-6 du même code, en tant qu'il ne prévoit pas le droit du conducteur à être assisté par un avocat lorsque l'officier ou l'agent de police judiciaire lui demande s'il souhaite se réserver la possibilité de demander l'examen technique ou l'expertise prévus par l'article R. 235-11 ou la recherche de l'usage des médicaments psychoactifs prévue au même article. A l'appui de cette requête, l'association " National organisation for the reform of marijuana laws France " demande que soit renvoyée au Conseil constitutionnel les questions de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 235-1 du code de la route, de la première phrase du cinquième alinéa de l'article L. 235-2 et de l'article L. 224-2 du même code.

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. En premier lieu, les dispositions du I de l'article L. 235-1 du code de la route définissent le délit de conduite d'un véhicule sous l'emprise de substances ou plantes classées comme stupéfiants et les sanctions encourues. Par une décision n° 2011-204 QPC du 9 décembre 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions, dans leur rédaction issue de la loi n° 2007-292 du 5 mars 2007, ne méconnaissaient pas les droits et libertés garantis par la Constitution, aux motifs qu'il était loisible au législateur d'instituer une qualification pénale pour réprimer la conduite après usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants et de renvoyer au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge compétent, le soin de fixer, en l'état des connaissances scientifiques, médicales et techniques, les seuils minima de détection attestant de cet usage. Contrairement à ce que soutient l'association requérante, la modification apportée à ces dispositions par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, afin de prévoir la possibilité de recourir à une analyse salivaire pour établir le délit de conduite après usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants, qui n'a aucune incidence sur la définition même de l'infraction, ne constitue pas un changement de circonstances justifiant le réexamen des dispositions en cause par le Conseil constitutionnel.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 224-2 du code de la route : " Lorsque l'état alcoolique est établi au moyen d'un appareil homologué, comme il est dit au premier alinéa de l'article L. 224-1, ou lorsque les vérifications mentionnées aux articles L. 234-4 et L. 234-5 apportent la preuve de cet état, le représentant de l'Etat dans le département peut, dans les soixante-douze heures de la rétention du permis, prononcer la suspension du permis de conduire pour une durée qui ne peut excéder six mois. Il en est de même si le conducteur ou l'accompagnateur de l'élève conducteur a refusé de se soumettre aux épreuves et vérifications destinées à établir la preuve de l'état alcoolique. / A défaut de décision de suspension dans le délai de soixante-douze heures prévu par l'alinéa précédent, le permis de conduire est remis à la disposition de l'intéressé, sans préjudice de l'application ultérieure des articles L. 224-7 à L. 224-9. / Lorsqu'il est fait application des dispositions de l'article L. 235-2, les dispositions du présent article sont applicables au conducteur si les analyses et examens médicaux, cliniques et biologiques établissent qu'il conduisait après avoir fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants. Il en est de même si le conducteur ou l'accompagnateur de l'élève conducteur a refusé de se soumettre aux épreuves de vérification prévues par l'article L. 235-2. (...) " Aux termes de l'article L. 235-4 du même code : " I. - Toute personne coupable, en état de récidive au sens de l'article 132-10 du code pénal, de l'une des infractions prévues aux articles L. 235-1 et L. 235-3 du présent code encourt également les peines complémentaires suivantes : / 1° La confiscation obligatoire du véhicule dont le prévenu s'est servi pour commettre l'infraction, s'il en est propriétaire. La juridiction peut toutefois ne pas prononcer cette peine, par une décision spécialement motivée ; / 2° L'immobilisation, pendant une durée d'un an au plus, du véhicule dont le prévenu s'est servi pour commettre l'infraction, s'il en est propriétaire. / Le fait de détruire, détourner ou tenter de détruire ou de détourner un véhicule confisqué ou immobilisé en application des 1° et 2° est puni des peines prévues à l'article 434-41 du code pénal. / II. - Toute condamnation pour les délits prévus aux articles L. 235-1 et L. 235-3 commis en état de récidive au sens de l'article 132-10 du code pénal donne lieu de plein droit à l'annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis pendant trois ans au plus. "

5. La question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de ces dispositions législatives, qui prévoient la possibilité de suspension administrative du permis de conduire en cas de conduite après avoir fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants et les peines complémentaires en cas de récidive, est sans incidence sur celle de la légalité des dispositions des articles R. 235-5 et R. 235-6 du code de la route, dont l'association requérante a demandé au Premier ministre la modification. Elles ne peuvent, dans ces conditions, être regardées comme applicables au litige, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

6. En troisième lieu, aux termes de la première phrase du cinquième alinéa de l'article L. 235-2 du code de la route : " Si les épreuves de dépistage se révèlent positives ou lorsque le conducteur refuse ou est dans l'impossibilité de les subir, les officiers ou agents de police judiciaire font procéder à des vérifications consistant en des analyses ou examens médicaux, cliniques et biologiques, en vue d'établir si la personne conduisait en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants. " Ces dispositions n'ayant pour objet de définir ni l'infraction de conduite après avoir fait usage de plantes ou substances classées comme stupéfiants, ni les modalités techniques des analyses des prélèvements salivaires et sanguins conduits en vue d'établir cette infraction, les moyens tirés de la méconnaissance des principes d'intentionnalité des infractions délictuelles, d'individualisation des peines, des droits de la défense, d'égalité avec les usagers de la route sous l'empire d'un état alcoolique, de la liberté individuelle, de la liberté d'aller et venir et de l'incompétence négative du législateur faute d'avoir prévu que le délit n'est constitué qu'en cas de présence d'un niveau suffisamment important de produit stupéfiant dans l'organisme du conducteur ne peuvent qu'être écartés comme inopérants. La question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution ne présente, dès lors, pas un caractère sérieux.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 6 qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par l'association " National organisation for the reform of marijuana laws France ".

Sur la légalité des décisions attaquées :

8. D'une part, l'article R. 235-5 du code de la route dispose : " Les vérifications mentionnées au cinquième alinéa de l'article L. 235-2 comportent une ou plusieurs des opérations suivantes : / - examen clinique en cas de prélèvement sanguin ; / - analyse biologique du prélèvement salivaire ou sanguin. " D'autre part, l'article R. 235-6 dispose : " I. - Le prélèvement salivaire est effectué par un officier ou agent de police judiciaire de la gendarmerie ou de la police nationales territorialement compétent à l'aide d'un nécessaire, en se conformant aux méthodes et conditions prescrites par l'arrêté prévu à l'article R. 235-4. / A la suite de ce prélèvement, l'officier ou l'agent de police judiciaire demande au conducteur s'il souhaite se réserver la possibilité de demander l'examen technique ou l'expertise prévus par l'article R. 235-11 ou la recherche de l'usage des médicaments psychoactifs prévus au même article. / Si la réponse est positive, il est procédé dans le plus court délai possible à un prélèvement sanguin dans les conditions fixées au II. (...) "

9. En premier lieu, l'association requérante ne peut utilement soutenir que les dispositions de l'article R. 235-5 du code de la route, qui se bornent à prévoir les vérifications mentionnées au cinquième alinéa de l'article L. 235-2 précité, méconnaissent les garanties prévues, d'une part par la Constitution, et d'autre part par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'elles ne prévoient pas la mesure du taux de stupéfiants détectés dans l'organisme du conducteur, dès lors qu'une telle mesure n'est pas nécessaire à la caractérisation de l'infraction définie et réprimée par l'article L. 235-1 du code de la route. Les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions constitutionnelles et des stipulations de l'article 14 de la convention ne peuvent, par suite, qu'être écartés.

10. En deuxième lieu, l'article R. 235-6 du code de la route prévoit que le conducteur qui a fait l'objet d'un prélèvement salivaire se voit proposer par l'officier ou l'agent de police judiciaire la possibilité de demander l'examen technique, l'expertise ou la recherche de l'usage des médicaments psychoactifs prévus par l'article R. 235-11 du code de la route. Aucun texte ni aucun principe n'impose qu'un tel choix ne puisse être exercé par le conducteur, qui n'est pas privé de liberté au moment où il lui est proposé, et eu égard aux enjeux qui en découlent, que si celui-ci a été mis à même d'obtenir la présence d'un avocat. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des garanties constitutionnelles du droit à la défense et de l'article 6 paragraphe 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent qu'être écartés comme inopérants.

11. Il résulte de ce qui précède que la requête de l'association " National organisation for the reform of marijuana laws France " doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par l'association " National organisation for the reform of marijuana laws France ".

Article 2 : La requête de l'association " National organisation for the reform of marijuana laws France " est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association " National organisation for the reform of marijuana laws France ".

Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et au Conseil constitutionnel.

Délibéré à l'issue de la séance du 4 avril 2025 où siégeaient : M. Alain Seban, conseiller d'Etat, présidant ; M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat et M. Bastien Brillet, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 17 avril 2025.

Le président :

Signé : M. Alain Seban

Le rapporteur :

Signé : M. Bastien Brillet

Le secrétaire :

Signé : M. Mickaël Lemasson


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 500698
Date de la décision : 11/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 avr. 2025, n° 500698
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bastien Brillet
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:500698.20250411
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