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14/04/2025 | FRANCE | N°491770

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 14 avril 2025, 491770


Par une requête, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 14 février, 14 mai, et 28 octobre 2024 ainsi que le 14 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Canopée demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 novembre 2023 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire portant approbation du schéma régional de gestion sylvicole des particuliers de la région d'Ile-de-France ;



2°) à titre subsidiaire, de surse

oir à statuer jusqu'à la mise en œuvre des mesures de régularisation de l'évaluation envir...

Par une requête, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 14 février, 14 mai, et 28 octobre 2024 ainsi que le 14 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Canopée demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 novembre 2023 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire portant approbation du schéma régional de gestion sylvicole des particuliers de la région d'Ile-de-France ;

2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer jusqu'à la mise en œuvre des mesures de régularisation de l'évaluation environnementale et de participation du public, notamment l'organisation d'une nouvelle consultation du public ;

3°) à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté du 4 novembre 2023 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire portant approbation du schéma régional de gestion sylvicole (SRGS) des particuliers de la région d'Ile-de-France en tant qu'il :

- ne prescrit aucun bilan carbone prévisionnel ;

- prescrit une réduction des critères d'exploitabilité dans les documents de gestion durable par rapport au précédent SRGS sans justification objective ;

- ne prescrit aucun nombre d'arbres morts ou de volume surfacique de bois mort au sol en forêt privée minimal dans les documents de gestion durable ;

- limite la libre évolution dans les documents de gestion durable (10 % de la surface) alors même que cette prescription ne traduit aucun objectif de gestion durable fixé à l'article L. 121-1 du code forestier ; - autorise des dérogations injustifiées à la limitation de la pratique des coupes rases ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code forestier ;

- le code de justice administrative

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Brillet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 121-1 du code forestier : " La politique forestière relève de la compétence de l'Etat. Ses orientations, ses financements et ses investissements s'inscrivent dans le long terme et sont conformes aux principes mentionnés au présent article. / L'Etat, en concertation avec les collectivités territoriales et leurs groupements et en mobilisant les autres parties prenantes, veille : / 1° A l'adaptation des essences forestières au milieu, en prenant en compte la problématique du changement climatique afin de favoriser la résilience des forêts en mobilisant l'ensemble des techniques sylvicoles, notamment la diversification des essences, la migration assistée ou la régénération naturelle quand elles sont appropriées ; / 2° A l'optimisation du stockage de carbone dans les bois et forêts, le bois et les produits fabriqués à partir de bois, afin de contribuer à l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 énoncé à l'article L. 100-4 du code de l'énergie ; / 3° Au maintien de l'équilibre et de la diversité biologiques et à l'adaptation des forêts au changement climatique ; / 4° A la régénération des peuplements forestiers dans des conditions satisfaisantes d'équilibre sylvo-cynégétique, au sens du dernier alinéa de l'article L. 425-4 du code de l'environnement ; / 5° A la satisfaction des besoins des industries du bois, notamment par l'équilibre des classes d'âge des peuplements forestiers au niveau national ; / 6° Au renforcement de la compétitivité et de la durabilité des filières d'utilisation du bois, par la valorisation optimale des ressources forestières nationales et par l'accompagnement en formation des nouveaux métiers du bois ; / 7° Au développement des territoires ; 8° A la promotion de l'utilisation de bois d'œuvre provenant notamment de feuillus ; / 9° A l'impulsion et au financement de la recherche et à la diffusion des connaissances sur les écosystèmes forestiers, afin d'anticiper les risques et les crises ; / 10° A la promotion de l'utilisation de bois d'œuvre, en favorisant sa transformation industrielle sur le territoire de l'Union européenne afin d'optimiser le bénéfice de son stockage de carbone ; / 11° A la défense de la forêt contre les incendies. / La politique forestière a pour objet d'assurer la gestion durable et la vocation multifonctionnelle, à la fois écologique, sociale et économique, des bois et forêts. Elle concourt au développement de la qualification des emplois en vue de leur pérennisation. Elle vise à favoriser le regroupement technique et économique des propriétaires et l'organisation interprofessionnelle de la filière forestière pour en renforcer la compétitivité. Elle tend à satisfaire les demandes sociales relatives à la forêt. ". Aux termes de l'article L. 122-2 du même code : " Dans le cadre défini par les programmes régionaux de la forêt et du bois, le ministre chargé des forêts arrête, après avis de la commission régionale de la forêt et du bois et dans les conditions prévues à l'article L. 122-8 du code de l'environnement : (...) / 3° Les schémas régionaux de gestion sylvicole des bois et forêts des particuliers, après avis du Centre national de la propriété forestière mentionné à l'article L. 321-1 ".

2. Aux termes de l'article L. 122-3 du code forestier : " Les documents de gestion, établis conformément aux directives et schémas régionaux, sont : (...) 2° Pour les bois et forêts des particuliers : / a) Les plans simples de gestion ; / b) Les règlements types de gestion ; / c) Les codes des bonnes pratiques sylvicoles. " Aux termes de l'article L. 121-4 : " Les documents de politique forestière mentionnés à l'article L. 122-2 traduisent, de manière adaptée aux spécificités respectives des bois et forêts relevant du régime forestier ou appartenant à des particuliers, les objectifs d'une gestion durable des bois et forêts, définis à l'article L. 121-1 ". Aux termes de l'article L. 121-5 : " Les documents de politique forestière mentionnés aux articles L. 122-2 et L. 122-3 (...) modulent l'importance accordée aux fonctions économique, écologique et sociale de la forêt selon les enjeux régionaux et locaux, au nombre desquels les contraintes naturelles et les spécificités d'exploitation des forêts montagnarde, méditerranéenne et tropicale, ainsi que selon les objectifs prioritaires des propriétaires. " Enfin, aux termes de l'article L. 122-2-1 du même code : " Le schéma régional de gestion sylvicole des bois et forêts des particuliers, mentionné au 3° de l'article L. 122-2, comprend, par région ou par groupe de régions naturelles : 1° L'étude des aptitudes forestières, la description des types de bois et de forêts existants ainsi que l'analyse des principaux éléments à prendre en compte pour leur gestion, notamment celle de leur production actuelle de biens et de services et de leurs débouchés ;/ 2° L'indication des objectifs de gestion et de production durables de biens et de services dans le cadre de l'économie régionale et de ses perspectives de développement ainsi que l'exposé des méthodes de gestion préconisées pour les différents types de bois et de forêts ; 3° L'indication des essences recommandées, le cas échéant, par grand type de milieu, et des possibilités de diversification de ces essences ; 4° L'indication des enjeux de préservation de la biodiversité et de qualité des sols et de l'eau ; (...) ".

3. Par un arrêté du 4 novembre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a arrêté le schéma régional de gestion sylvicole des particuliers de la région d'Ile-de-France. L'association Canopée demande l'annulation de cet arrêté.

4. En premier lieu, le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige aurait été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière en raison d'une insuffisante prise en compte des observations du public n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article D. 122-9 du code forestier : " Le schéma régional de gestion sylvicole fait l'objet d'une évaluation environnementale réalisée dans les conditions prévues à la section 2 du chapitre II du titre II du livre Ier du code de l'environnement. (...) ". Aux termes de l'article R. 122-20 du code de l'environnement : " I. - L'évaluation environnementale est proportionnée à l'importance du (...) schéma (...), aux effets de sa mise en œuvre ainsi qu'aux enjeux environnementaux de la zone considérée. / II. - Le rapport environnemental, qui rend compte de la démarche d'évaluation environnementale, comprend un résumé non technique des informations prévues ci-dessous : / 1° Une présentation générale indiquant, de manière résumée, les objectifs du (...) schéma (...) et son contenu, son articulation avec d'autres plans, schémas, programmes ou documents de planification et, le cas échéant, si ces derniers ont fait, feront ou pourront eux-mêmes faire l'objet d'une évaluation environnementale ; / 2° Une description de l'état initial de l'environnement sur le territoire concerné, les perspectives de son évolution probable si le (...) schéma (...) n'est pas mis en œuvre, les principaux enjeux environnementaux de la zone dans laquelle s'appliquera le (...) schéma (...) et les caractéristiques environnementales des zones qui sont susceptibles d'être touchées par la mise en œuvre du (...) schéma (...). (...) / 5° L'exposé : / a) Des incidences notables probables de la mise en œuvre du (...) schéma (...) sur l'environnement, et notamment, s'il y a lieu, sur la santé humaine, la population, la diversité biologique, la faune, la flore, les sols, les eaux, l'air, le bruit, le climat, le patrimoine culturel architectural et archéologique et les paysages. (...) ".

6. D'une part, il ne résulte pas des dispositions précitées de l'article R. 122-20 du code de l'environnement ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire qu'un bilan de la mise en œuvre du précédent schéma et un bilan carbone prévisionnel sont au nombre des éléments devant figurer, en tant que tels, dans le rapport environnemental. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier de l'avis de l'autorité environnementale n° 2022-30 du 21 juillet 2022, que l'état initial de l'environnement ou que les incidences notables probables de la mise en œuvre du schéma ont été insuffisamment évalués. Par suite, l'association Canopée n'est pas fondée à soutenir que le schéma en litige a été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière.

7. En troisième lieu, l'ensemble des dispositions citées aux points 1 et 2 ci-dessus, confère au ministre chargé de la forêt un large pouvoir d'appréciation pour arrêter, sous forme de prescriptions normatives, de recommandations, d'objectifs chiffrés ou d'indicateurs de suivi, le schéma régional de gestion sylvicole, en conformité duquel, selon les termes de l'article L. 122-3 du code forestier, doivent être élaborés les documents de gestion pour les bois et forêts des particuliers, et notamment les documents d'aménagement ou les plans simples de gestion, les règlements types de gestion ou les codes des bonnes pratiques sylvicoles. Ce schéma a pour objet de définir, à l'échelle régionale, le cadre dans lequel l'exploitation par les propriétaires privés des bois et forêts répond à des objectifs de gestion durable issus de la Conférence sur la protection des forêts d'Helsinki de 1993 et énoncés à l'article L. 121-1 du code forestier, laquelle doit permettre l'exploitation des bois et forêts dans le respect de tous leurs usages ainsi de leur préservation, afin d'assurer notamment " l'optimisation du stockage de carbone ", le " maintien de l'équilibre et de la diversité biologiques et l'adaptation des forêts au changement climatique " et la " préservation de la biodiversité ".

8. Il ressort des pièces du dossier, comme le relève l'avis de l'autorité environnementale du 21 juillet 2022, que le schéma régional de gestion sylvicole de la région d'Ile-de-France a effectivement analysé et pris en compte l'ensemble des objectifs énoncés à l'article L. 121-1 du code forestier, et notamment les enjeux relatifs à la biodiversité et à la protection des milieux d'intérêt écologique, pour chacune des méthodes de gestion sylvicoles qu'il préconise, concernant respectivement les essences recommandées, les coupes, les travaux, la création et l'entretien des dessertes forestières, les régimes et traitements applicables ainsi que les itinéraires sylvicoles.

9. S'agissant des éléments de ces méthodes de gestion spécifiquement contestées par l'association requérante, il ressort du schéma régional de gestion de la région Ile-de-France que celui-ci limite le seuil de surface d'une coupe rase de renouvellement à cinq hectares, sous réserve des exceptions qu'il définit, ainsi que les diamètres minimaux d'exploitabilité des principales essences et énonce des recommandations pour le choix des essences lors du renouvellement, afin, en particulier, " (d')éviter la dispersion des essences exotiques à caractère invasif ", pour le maintien de " gros bois morts ou sénescents sans valeur économique " et d'arbres " porteurs de dendromicrohabitats ", ainsi que pour " les parcelles laissées volontairement sans intervention ". Ces recommandations ont, en particulier, pour objet de renforcer la fonction de puits de carbone des bois et forêts, laquelle fait, en outre l'objet de l'ensemble des recommandations prévues à l'annexe 5 du schéma. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu des équilibres qu'il appartient au schéma de respecter entre les différents objectifs énoncés par l'article L. 121-1 du code forestier et de la latitude dont il dispose, le ministre aurait méconnu les dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-4 du code forestier ainsi que de celles du 4° de l'article L. 122-2-1 de ce code ni commis une erreur manifeste d'appréciation, notamment dans la détermination du seuil des coupes rases, des exceptions admises à ce seuil ainsi que des diamètres d'exploitabilité ou en ne donnant pas un caractère impératif aux recommandations susmentionnées.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête de l'association Canopée, que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué. Les conclusions qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, en conséquence, être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'association Canopée est rejetée. .

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Canopée et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 mars 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Christophe Pourreau, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Bastien Brillet, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 14 avril 2025.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Bastien Brillet

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 491770
Date de la décision : 14/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 avr. 2025, n° 491770
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bastien Brillet
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:491770.20250414
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