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18/04/2025 | FRANCE | N°501551

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 18 avril 2025, 501551


Vu la procédure suivante :



M. B... A..., à l'appui des conclusions de sa requête tendant à ce que la cour administrative d'appel de Paris annule le jugement n° 2416819 du 22 octobre 2024 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 12 avril 2024 du ministre de l'intérieur et des outre-mer prononçant à son encontre une interdiction administrative du territoire, a produit un mémoire, enregistré le 9 janvier 2025 au greffe de la cour, en application de l'article 23-1 de l'o

rdonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une questio...

Vu la procédure suivante :

M. B... A..., à l'appui des conclusions de sa requête tendant à ce que la cour administrative d'appel de Paris annule le jugement n° 2416819 du 22 octobre 2024 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 12 avril 2024 du ministre de l'intérieur et des outre-mer prononçant à son encontre une interdiction administrative du territoire, a produit un mémoire, enregistré le 9 janvier 2025 au greffe de la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 24PA05312 du 12 février 2025, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cinquième chambre de la cour administrative d'appel de Paris, avant qu'il soit statué sur la requête de M. A..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article L. 773-11 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alexandra Poirson, auditrice,

- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du Conseil national des barreaux ;

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Sur les interventions :

2. Eu égard au caractère accessoire, par rapport au litige principal, d'une question prioritaire de constitutionnalité, une intervention, aussi bien en demande qu'en défense, n'est recevable à l'appui du mémoire par lequel il est demandé au Conseil d'Etat de renvoyer une telle question au Conseil constitutionnel qu'à la condition que son auteur soit également intervenu dans le cadre de l'action principale.

En ce qui concerne l'intervention du Conseil national des barreaux :

3. Le Conseil national des barreaux a déposé une intervention devant la cour administrative d'appel de Paris, par un mémoire enregistré le 7 avril 2025 au greffe de cette cour, au soutien du recours en annulation formé par M. A.... Il justifie, par ses missions légales et son action, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de cette demande. Dès lors, son intervention devant le Conseil d'Etat au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... à l'appui de sa demande doit être admise pour l'examen de cette question.

En ce qui concerne l'intervention du Syndicat des avocats de France :

4. Le Syndicat des avocats de France n'a pas déposé d'intervention devant le juge du fond au soutien du recours en annulation formé par M. A.... Dès lors, son intervention devant le Conseil d'Etat au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... à l'appui de sa demande n'est pas recevable.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. Le II de l'article L. 773-11 du code de justice administrative dispose que : " Lorsque des considérations relevant de la sûreté de l'État s'opposent à la communication d'informations ou d'éléments sur lesquels reposent les motifs de l'une des décisions mentionnées au I du présent article, soit parce que cette communication serait de nature à compromettre une opération de renseignement, soit parce qu'elle conduirait à dévoiler des méthodes opérationnelles des services mentionnés aux articles L. 811-2 ou L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, l'administration peut, lorsque la protection de ces informations ou de ces éléments ne peut être assurée par d'autres moyens, les transmettre à la juridiction par un mémoire séparé en exposant les raisons impérieuses qui s'opposent à ce qu'elles soient versées au débat contradictoire. / Dans ce cas, la juridiction, qui peut alors relever d'office tout moyen et procéder à toute mesure d'instruction complémentaire en lien avec ces informations ou ces pièces, statue sur le litige sans soumettre les éléments qui lui ont été communiqués au débat contradictoire ni en révéler l'existence et la teneur dans sa décision. Lorsque les éléments ainsi communiqués sont sans lien avec les objectifs énoncés au premier alinéa du présent II, le juge informe l'administration qu'il ne peut en tenir compte sans qu'ils aient été versés au débat contradictoire. L'administration décide alors de les communiquer ou non. ". En vertu du I du même article : " Le présent article est applicable au contentieux des décisions administratives prononcées sur le fondement des articles L. 212-1, L. 224-1, L. 225-1 à L. 225-8, L. 227-1 et L. 228-1 à L. 228-7 du code de la sécurité intérieure, de l'article L. 562-2 du code monétaire et financier, des articles L. 222-1, L. 312-1 et L. 312-3, L. 321-1, L. 332-1, L. 432-1 et L. 432-4, L. 511-7, L. 512-2 à L. 512-4, L. 631-1 à L. 631-4, L. 731-3 et L. 731-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des articles 21-4 et 21-27 du code civil, dès lors qu'elles sont fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme. "

6. A l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité qu'il soulève, M. A... soutient qu'en prévoyant, au II de l'article L. 773-11 du code de justice administrative, une procédure permettant à l'administration de communiquer au juge, saisi de la légalité d'une mesure administrative fondée sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme, des informations ou éléments qui ne seront pas soumis au débat contradictoire, le législateur a méconnu les principes du contradictoire, de l'égalité des armes et du respect des droits de la défense, qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, et s'est abstenu d'exercer pleinement la compétence qu'il tire de l'article 34 de la Constitution. Il soutient également que les dispositions contestées portent atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi et au principe d'égalité, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

7. En premier lieu, les dispositions du II de l'article L. 773-11 du code de justice administrative dans le champ desquelles entre le contentieux des mesures prises sur le fondement de l'article L. 321-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vertu du I du même article, sont applicables au litige dont est saisie la cour administrative d'appel de Paris.

8. En deuxième lieu, ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

9. Enfin, le moyen tiré de ce que ces dispositions, en ce qu'elles permettent au juge administratif de fonder sa décision sur des informations communiquées par l'administration dont l'existence même n'a pas été portée à la connaissance de l'autre partie, portent une atteinte disproportionnée aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe du respect des droits de la défense, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention du Conseil national des barreaux est admise.

Article 2 : L'intervention du Syndicat des avocats de France n'est pas admise.

Article 3 : La question de la conformité à la Constitution du II de l'article L. 773-11 du code de justice administrative est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 501551
Date de la décision : 18/04/2025
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 18 avr. 2025, n° 501551
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Alexandra Poirson
Rapporteur public ?: M. Frédéric Puigserver
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:501551.20250418
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