Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 14 février 2024 par laquelle le directeur général de l'Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile et de lui reconnaitre la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire. Par une ordonnance n° 24016970 du 19 avril 2024, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 19 novembre 2024 et 20 février et 2 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de l'OFPRA la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un mémoire, enregistré le 21 février 2025, M. B... demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article L. 532-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des deuxième et troisième phrases de l'article 9-4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967, relatifs au statut des réfugiés ;
- la convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... se pourvoit en cassation contre l'ordonnance n° 24016970 du 19 avril 2024 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a rejeté, pour tardiveté, sa demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle le directeur général de l'OFPRA a rejeté sa demande d'asile et à ce que lui soit reconnue la qualité de réfugié ou, à défaut, accordé le bénéfice de la protection subsidiaire.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. En vertu du second alinéa de l'article L. 532-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les recours devant la Cour nationale du droit d'asile contre les décisions de l'OFPRA doivent, " à peine d'irrecevabilité ", " être exercés dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision de l'office, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article 9-4 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Devant la Cour nationale du droit d'asile, le bénéfice de l'aide juridictionnelle est de plein droit, sauf si le recours est manifestement irrecevable. L'aide juridictionnelle est sollicitée dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Lorsqu'une demande d'aide juridictionnelle est adressée au bureau d'aide juridictionnelle de la cour, le délai prévu au second alinéa de l'article L. 532-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est suspendu et un nouveau délai court, pour la durée restante, à compter de la notification de la décision relative à l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Ces délais sont notifiés avec la décision de l'office. Le bureau d'aide juridictionnelle de la cour s'efforce de notifier sa décision dans un délai de quinze jours suivant l'enregistrement de la demande ". La question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 532-1 précité et des deuxième et troisième phrases de l'article 9-4. En vertu de ces dispositions, le nouveau délai, qui court à compter de la notification de la décision relative à l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, correspond à la durée restant à courir sur le délai d'un mois, débutant à compter de la date de la notification de la décision de l'OFPRA, et diminué de la durée écoulée entre cette même notification et la date de la demande adressée au bureau d'aide juridictionnelle.
4. En premier lieu, si M. B... soutient que le délai de recours résultant de ces dispositions est trop court et fait valoir, en particulier, que le délai effectivement disponible après la notification de la décision relative à l'admission à l'aide juridictionnelle peut se trouver réduit à quinze jours, hypothèse qui n'est d'ailleurs susceptible de se produire que si le requérant attend le terme du délai imparti pour demander l'aide juridictionnelle, les dispositions contestées visent à assurer un traitement rapide des contestations en matière d'asile, répondant ainsi, eu égard à la nature du contentieux en cause, à l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice. Elles ne portent ainsi pas d'atteinte au droit à un recours effectif.
5. En deuxième lieu, il résulte des termes mêmes de l'article 9-4 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique cité au point 3 que le nouveau délai commence à courir à compter de la notification de la décision relative à l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, laquelle est adressée au requérant et à l'auxiliaire de justice. Dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il pourrait se trouver, dans l'exercice de son droit au recours, privé de l'assistance d'un avocat. En outre, dans le cas exceptionnel où l'auxiliaire de justice justifierait avoir été informé de sa désignation non, comme c'est en principe le cas, à la date de la notification au requérant de la décision relative à l'admission à l'aide juridictionnelle, mais à une date plus tardive, rendant en pratique impossible l'introduction du recours avant l'expiration du nouveau délai correspondant à la durée restant à courir tel qu'indiqué au point 3, le recours introduit, dans ce même nouveau délai, mais qui ne commencerait à courir qu'à compter de l'information, par l'auxiliaire de justice, de sa désignation, ne pourrait être regardé comme tardif .
6. En troisième lieu, si le requérant fait grief aux dispositions contestées de ne pas prévoir que l'OFPRA, en notifiant sa décision, doit mentionner que la demande d'aide juridictionnelle a un effet suspensif, et non interruptif, sur le délai de recours, l'édiction d'une telle exigence relève, en tout état de cause, du pouvoir réglementaire.
7. En quatrième lieu, si M. B... invoque le fait que la notion de " durée restante " figurant dans la troisième phrase de l'article 9-4 cité au point 3 serait contraire à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, la méconnaissance de cet objectif, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, et qui impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques, ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution. Par ailleurs, si le requérant soutient que l'imprécision de cette notion de " durée restante " porterait atteinte à son droit au recours, il découle de ses termes mêmes qu'elle correspond, ainsi qu'il a été dit au point 3, à la durée restant à courir sur le délai d'un mois, débutant à compter de la date de la notification de la décision de l'OFPRA, et diminué de la durée écoulée entre cette même notification et la date de la demande adressée au bureau d'aide juridictionnelle.
8. En cinquième lieu, pour les raisons exposées aux points précédents, le grief tiré d'une méconnaissance du droit d'asile garanti par la Constitution doit être écarté.
9. En sixième et dernier lieu, les réfugiés et les apatrides répondent à des définitions et à des situations différentes. Les recours contre les décisions de l'OFPRA, statuant sur les demandes de reconnaissance de la qualité d'apatride, sont des recours pour excès de pouvoir qui doivent être portés devant la juridiction administrative de droit commun. Eu égard à ces différences de situation, la différence de traitement, quant aux délais de recours, entre les deux catégories ne constitue pas une rupture du principe d'égalité devant la loi.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Sur les autres moyens du pourvoi :
11. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".
12. Pour demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque, M. B... soutient, en outre, qu'elle est entachée :
- d'erreur de droit en ce que la Cour nationale du droit d'asile a pris pour référence, dans la computation du délai de recours, le mois de la notification de la décision de l'OFPRA et non le mois de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ;
- d'erreur de droit en ce que la Cour a fait application des articles L. 532-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 9-4 de la loi du 10 juillet 1991, qui sont contraires au droit au procès équitable, au droit à un recours effectif et au droit à un délai raisonnable, garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la directive du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale.
13. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....
Article 2 : Le pourvoi de M. B... n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au Premier ministre, au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à l'Office français des réfugiés et apatrides.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.