La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/06/2025 | FRANCE | N°494626

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 05 juin 2025, 494626


Vu les procédures suivantes :



Le syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie a demandé au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 10 février 2017 de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer établissant les modalités de répartition du quota de thon rouge (Thunnus thynnus) accordé à la France pour la zone " océan Atlantique à l'est de la longitude 45° Ouest et Méditerranée " pour l'année 2017. Par une décision n° 409701 du 30 mars 2018, le Conseil d'Etat a attribué le jugement de cette dema

nde au tribunal administratif de Montpellier.



Par un jugement n°...

Vu les procédures suivantes :

Le syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie a demandé au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 10 février 2017 de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer établissant les modalités de répartition du quota de thon rouge (Thunnus thynnus) accordé à la France pour la zone " océan Atlantique à l'est de la longitude 45° Ouest et Méditerranée " pour l'année 2017. Par une décision n° 409701 du 30 mars 2018, le Conseil d'Etat a attribué le jugement de cette demande au tribunal administratif de Montpellier.

Par un jugement n° 1801790 du 15 juillet 2021, ce tribunal a annulé l'arrêté du 10 février 2017.

Par un arrêt n° 21TL03940 du 28 mars 2024, la cour administrative d'appel de Toulouse a admis l'intervention de la société coopérative maritime des pêcheurs de Sète-Mole, dite Sathoan, contre ce jugement et rejeté l'appel formé par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation contre ce jugement.

1° Sous le n° 494626, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 mai et 28 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société coopérative maritime des pêcheurs de Sète-Mole, dite Sathoan, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel d'une question portant sur l'interprétation du règlement n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;

3°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

4°) de mettre à la charge du syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 494641, par un pourvoi, enregistré le 29 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le même arrêt de la cour administrative d'appel de Toulouse ;

2°) à défaut, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à la portée de l'article 17 du règlement n° 1380/2013 du 11 décembre 2013.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Levasseur, auditeur,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société coopérative maritime des pêcheurs de Sète-Mole, dite Sathoan ;

Considérant ce qui suit :

1. Le syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 10 février 2017 de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer établissant les modalités de répartition du quota de thon rouge (Thunnus thynnus) accordé à la France pour la zone " océan Atlantique à l'est de la longitude 45° Ouest et Méditerranée " pour l'année 2017. Par un jugement du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Montpellier a annulé cet arrêté. Par deux pourvois, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, d'une part, et la société coopérative maritime des pêcheurs de Sète-Mole, dite Sathoan, d'autre part, demandent l'annulation de l'arrêt du 28 mars 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Toulouse, après avoir admis l'intervention de la Sathoan, a rejeté l'appel du ministre contre ce jugement.

2. D'une part, le paragraphe 6 de l'article 16 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche dispose que " chaque État membre arrête la méthode d'attribution aux navires battant son pavillon des possibilités de pêche qui lui ont été allouées et qui ne sont pas soumises à un système de concessions de pêche transférables, par exemple en créant des possibilités de pêche individuelles. Il informe la Commission de la méthode d'attribution retenue ". Aux termes de l'article 17 du même règlement, " lors de l'attribution des possibilités de pêche dont ils disposent visées à l'article 16, les États membres utilisent des critères transparents et objectifs, y compris les critères à caractère environnemental, social et économique. Les critères à utiliser peuvent notamment porter sur l'impact de la pêcherie sur l'environnement, les antécédents en matière de respect des prescriptions, la contribution à l'économie locale et le relevé des captures. Les États membres s'efforcent, dans le cadre des possibilités de pêche qui leur ont été allouées, de proposer des incitations destinées aux navires de pêche qui déploient des engins sélectifs ou qui utilisent des techniques de pêche ayant des incidences réduites sur l'environnement, notamment une faible consommation d'énergie et des dommages limités aux habitats ".

3. D'autre part, l'article L. 921-2 du code rural et de la pêche maritime prévoit que " les autorisations (...) sont délivrées par l'autorité administrative ou sous son contrôle, pour une durée déterminée, en tenant compte des trois critères suivants : / - l'antériorité des producteurs ; / - les orientations du marché ; / - les équilibres économiques (...) ". Aux termes de l'article R. 921-35 du même code : " I. - Les quotas de captures et les quotas d'effort de pêche peuvent être répartis annuellement par le ministre chargé des pêches maritimes et de l'aquaculture marine en sous-quotas, entre les organisations de producteurs, les groupements de navires ou les navires n'appartenant ni à un groupement de navires, ni à une organisation de producteurs. / (...) III. - Le calcul de chaque sous-quota est effectué en tenant compte de trois composantes : / 1° L'antériorité des producteurs, calculée selon les modalités définies aux articles R. 921-38 et R. 921-39 ; / 2° L'orientation du marché, déterminée selon les modalités définies à l'article R 921-49 ; / 3° Les équilibres socio-économiques appréciés selon les modalités définies à l'article R. 921-50 ". L'article R. 921-48 du même code crée une " réserve nationale des antériorités " alimentée notamment par une part des " antériorités " des navires ayant cessé leur activité ou ayant changé de producteur. Aux termes du II de cet article : " II. - Cette réserve nationale peut être affectée : / 1° Aux producteurs, en fonction de critères à caractère environnemental, social et économique : ces critères peuvent notamment porter sur l'impact de la pêcherie sur l'environnement, les antécédents en matière de respect des prescriptions, la contribution à l'économie locale et le relevé des captures ; l'affectation des antériorités de la réserve nationale présente un caractère incitatif pour les navires qui déploient des engins sélectifs ou qui utilisent des techniques de pêche ayant des incidences réduites sur l'environnement, notamment une faible consommation d'énergie et des impacts limités sur les habitats ; / (...) ".

4. Il résulte des dispositions du code rural et de la pêche maritime citées au point 3 que si la France a retenu une méthode de répartition des quotas de captures et d'effort de pêche qui lui ont été alloués reposant principalement sur les critères de l'antériorité des producteurs, des orientations du marché et des équilibres socio-économiques, comme le prévoit l'article R. 921-35, cette répartition est complétée, en vertu de l'article R. 921-48, par l'affectation aux producteurs d'une partie de la réserve nationale des antériorités, effectuée en fonction de critères à caractère environnemental tenant compte de l'impact de la pêcherie sur l'environnement, selon une méthode présentant un caractère incitatif pour les navires qui déploient des engins sélectifs ou qui utilisent des techniques de pêche ayant des incidences réduites sur l'environnement, notamment une faible consommation d'énergie et des impacts limités sur les habitats. Dès lors, et à supposer que les dispositions du règlement du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche citées au point 2 exigent des Etats membres qu'ils intègrent un critère à caractère environnemental dans les critères transparents et objectifs qu'ils sont tenus d'adopter pour attribuer les possibilités de pêche dont ils disposent, la cour administrative d'appel de Toulouse a commis une erreur de droit en jugeant que l'arrêté litigieux était privé de base légale au motif que l'article R. 921-35 du code rural et de la pêche maritime lui servant de fondement, faute de prendre en compte un tel critère, méconnaîtrait cette exigence. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois et sans qu'il y ait lieu de saisir à titre préjudiciel la Cour de justice de l'Union européenne, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et la Sathoan sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie la somme de 3 000 euros à verser à la société coopérative maritime des pêcheurs de Sète-Mole, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Toulouse du 28 mars 2024 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Toulouse.

Article 3 : Le syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie versera à la société coopérative maritime des pêcheurs de Sète-Mole une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, à la société coopérative maritime des pêcheurs de Sète-Mole et au syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie.

Copie en sera adressée à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 mai 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Catherine Fischer-Hirtz, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, conseillers d'Etat et M. Paul Levasseur, auditeur-rapporteur.

Rendu le 5 juin 2025.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Paul Levasseur

La secrétaire :

Signé : Mme Elisabeth Ravanne


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 494626
Date de la décision : 05/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 jui. 2025, n° 494626
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Paul Levasseur
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:494626.20250605
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award