Vu la procédure suivante :
Mme A... B..., à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 11 octobre 2023 par laquelle le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion a retiré sa décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours hiérarchique de la société Pacific Hôtel Gobelins contre la décision du 3 avril 2023 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale de Paris a refusé d'autoriser son licenciement, annulé cette décision et autorisé son licenciement pour motif disciplinaire, a produit un mémoire, enregistré le 14 février 2025 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 2328289/3-2 du 21 mars 2025, enregistrée le 27 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la vice-présidente de la 3ème section du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande de Mme B..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4 et L. 1332-2 du code du travail.
Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et par trois mémoires, enregistrés les 25 et 28 avril et le 13 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... soutient que les dispositions des articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4 et L. 1332-2 du code du travail méconnaissent l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, à laquelle renvoie le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 25 avril et 14 mai 2025, la société Pacific Hôtel Gobelins conclut à ce que la question prioritaire de constitutionnalité ne soit pas renvoyée au Conseil constitutionnel et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que les dispositions des articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4 et L. 1332-2 du code du travail ne sont pas applicables au litige et que la question posée n'est pas nouvelle et ne présente pas de caractère sérieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2025, la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles conclut à ce que la question prioritaire de constitutionnalité ne soit pas renvoyée au Conseil constitutionnel. Elle soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que la question posée n'est pas nouvelle et ne présente pas de caractère sérieux.
La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée au Premier ministre, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Descorps-Declère, avocat de Mme B... et à Me Galy Isabelle, avocat de la société Pacific Hôtel Gobelins ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. D'une part, s'agissant de l'entretien préalable au licenciement pour motif personnel d'un salarié, l'article L. 1232-2 du code du travail dispose : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. / La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation. / L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation. " En outre, l'article L. 1232-3 du même code prévoit : " Au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié. " Enfin, l'article L. 1232-4 de ce code énonce : " Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. / Lorsqu'il n'y a pas d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, le salarié peut se faire assister soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise, soit par un conseiller du salarié choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative. / La lettre de convocation à l'entretien préalable adressée au salarié mentionne la possibilité de recourir à un conseiller du salarié et précise l'adresse des services dans lesquels la liste de ces conseillers est tenue à sa disposition. "
3. D'autre part, s'agissant de l'entretien préalable à l'éventuel prononcé d'une sanction disciplinaire à l'encontre d'un salarié par son employeur, l'article L. 1332-2 du code du travail dispose : " Lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié. / Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. / Au cours de l'entretien, l'employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié. / La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé. "
4. Mme B... soutient que les dispositions précédemment citées méconnaissent le droit de se taire, résultant de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, à laquelle renvoie le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, qui dispose que " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ", en ce qu'elles ne prévoient pas que, lorsque l'employeur envisage de licencier un salarié pour motif disciplinaire, celui-ci doit être informé, préalablement à son audition, du droit qu'il aurait de se taire au cours de l'entretien préalable.
5. En premier lieu, les dispositions des articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4 et L. 1332-2 du code du travail sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
6. En deuxième lieu, les dispositions de l'article L. 1332-2 du code du travail n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. En outre, si le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 90-284 DC du 16 janvier 1991, les dispositions de l'article 2 de la loi du 18 janvier 1991 relative au conseiller du salarié, qui ont modifié et complété les dispositions de l'ancien article L. 122-14 du code du travail, dont sont issues des dispositions figurant aujourd'hui aux articles L. 1232-2, L. 1232-3 et L. 1232-4 du même code, la décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023, par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que les exigences attachées au principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, résultant de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, dont découle le droit de se taire, s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition, constitue en tout état de cause un changement des circonstances justifiant que le Conseil constitutionnel puisse à nouveau se prononcer sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 1232-2, L. 1232-3 et L. 1232-4 du code du travail.
7. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
8. La présente décision se borne à statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Les conclusions présentées par la société Pacific Hôtel Gobelins au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être portées que devant le juge saisi du litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée. Par suite, elles sont irrecevables devant le Conseil d'Etat statuant sur la seule demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité et ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4 et L. 1332-2 du code du travail est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Les conclusions de la société Pacific Hôtel Gobelins présentées devant le Conseil d'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B..., à la société Pacific Hôtel Gobelins, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et au Premier ministre.
Copie en sera adressée au tribunal administratif de Paris.