Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 503663, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 avril et 28 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 10 avril 2025 par lequel le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris l'a déclaré démissionnaire d'office de son mandat de conseiller régional d'Ile-de-France ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 503929, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 28 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 29 avril 2025 par lequel le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris l'a déclaré démissionnaire d'office de son mandat de conseiller régional d'Ile-de-France ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- la Charte européenne de l'autonomie locale ;
- le code électoral, notamment ses articles L. 199, L. 340 et L. 341 ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale, notamment son article 471 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025 du Conseil constitutionnel ;
- l'arrêt n° 23-82.194 du 19 juin 2024 de la chambre criminelle de la Cour de cassation ;
- le jugement n° 15083000886 du 31 mars 2025 de la 1ère section de la 11eme chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 juin 2025 sous le n° 503663, présentée par M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que, par un jugement du 31 mars 2025, le tribunal judiciaire de Paris a condamné M. A... C... à une peine de trois ans d'emprisonnement dont deux ans assortis du sursis, à une amende délictuelle de 50 000 euros et à la peine complémentaire d'inéligibilité pour une durée de trois ans avec exécution provisoire. Par un arrêté du 10 avril 2025, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris a, sur le fondement de l'article L. 341 du code électoral, déclaré M. C... démissionnaire d'office de son mandat de conseiller régional d'Ile-de-France. Sous le n° 503663, M. C... demande au Conseil d'Etat l'annulation de cet arrêté.
2. Il résulte également de l'instruction que, par un arrêt du 19 juin 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. C... contre l'arrêt du 15 mars 2023 de la cour d'appel de Paris l'ayant condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à la peine complémentaire de deux ans d'inéligibilité. Par un arrêté du 29 avril 2025, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris a, sur le fondement de l'article L. 341 du code électoral, déclaré M. C... démissionnaire d'office de son mandat de conseiller régional d'Ile-de-France. Sous le n° 503929, M. C... demande au Conseil d'Etat l'annulation de cet arrêté.
3. Les requêtes présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.
Sur le cadre juridique applicable :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 341 du code électoral : " Tout conseiller régional qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un cas d'inéligibilité prévu à l'article L. 340 ou se trouve frappé d'une des incapacités qui font perdre la qualité d'électeur, est déclaré démissionnaire d'office par arrêté du représentant de l'Etat dans la région, sauf recours au Conseil d'Etat dans les dix jours de la notification. Lorsqu'un conseiller régional est déclaré démissionnaire d'office à la suite d'une condamnation pénale définitive prononcée à son encontre et entraînant de ce fait la perte de ses droits civiques et électoraux, le recours éventuel contre l'arrêté du représentant de l'Etat dans la région n'est pas suspensif ". Le dernier alinéa de l'article L. 340 de ce code rend, notamment, l'article L. 199 du même code applicable à l'élection des conseillers régionaux. Aux termes de cet article L. 199 du code électoral : " Sont inéligibles les personnes désignées à l'article L. 6 et celles privées de leur droit d'éligibilité par décision judiciaire en application des lois qui autorisent cette privation ".
5. D'autre part, aux termes du quatrième alinéa de l'article 471 du code de procédure pénale : " Les sanctions pénales prononcées en application des articles 131-4-1 à 131-11 et 132-25 à 132-70 du code pénal peuvent être déclarées exécutoires par provision ". En vertu des articles 131-10 et 131-26 du code pénal, l'interdiction de tout ou partie des droits civiques, parmi lesquels l'éligibilité, peut être prononcée à titre de peine complémentaire lorsque la loi le prévoit.
6. Il résulte de ces dispositions que, dès lors qu'un conseiller régional se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d'une condamnation devenue définitive ou d'une condamnation dont le juge pénal a décidé l'exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer immédiatement démissionnaire d'office.
Sur la requête n° 503929 de M. C... dirigée contre l'arrêté du 29 avril 2025 :
En ce qui concerne la légalité externe :
7. Ainsi qu'il a été dit au point 6, lorsqu'un conseiller régional se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d'une condamnation à une peine d'inéligibilité devenue définitive ou d'une condamnation à une peine d'inéligibilité dont le juge pénal a décidé l'exécution provisoire, l'acte par lequel le préfet, qui se trouve en situation de compétence liée, le déclare, en application de l'article L. 341 du code électoral, démissionnaire d'office se borne à tirer les conséquences de la condamnation prononcée par le juge pénal. Par suite, et alors même que l'arrêté en cause, par lequel le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris a déclaré M. C... démissionnaire d'office de son mandat de conseiller régional d'Ile-de-France à la suite de l'arrêt du 19 juin 2024 par lequel la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. C... contre l'arrêt du 15 mars 2023 de la cour d'appel de Paris qui l'avait condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et deux ans d'inéligibilité, rendant ainsi définitive cette condamnation à une peine d'inéligibilité, a affecté défavorablement sa situation, le moyen tiré de ce qu'il aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute de recueil des observations préalables de l'intéressé, en méconnaissance des stipulations de l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, doit être écarté comme inopérant.
En ce qui concerne la légalité interne :
8. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 341 du code électoral que tout conseiller régional qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un cas d'inéligibilité prévu à l'article L. 340 est déclaré démissionnaire d'office par arrêté du représentant de l'Etat dans la région. La cause de l'inéligibilité, au sens et pour l'application de ces dispositions de l'article L. 341 du code électoral, réside, non pas, comme le soutient le requérant, dans les faits à l'origine de la décision par laquelle le juge pénal prononce une peine d'inéligibilité, mais dans cette décision de justice elle-même.
9. En l'espèce, il est constant que l'arrêt du 19 juin 2024 de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a rendu définitive la peine de deux ans d'inéligibilité prononcée à l'encontre de M. C... par la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 15 mars 2023, est postérieur à l'élection de l'intéressé, le 27 juin 2021, au conseil régional d'Ile-de-France. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la circonstance que les faits pour lesquels il a été condamné par ce jugement soient antérieurs à cette élection est inopérante et ne pouvait faire obstacle à l'édiction, sur le fondement de l'article L. 341 du code électoral, de l'arrêté litigieux.
10. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article 25 du pacte international relatif aux droits civils et politiques : " Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables : / a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ; / b) De voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs ; / c) D'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays ".
11. Les dispositions de l'article L. 341 du code électoral, qui ont pour objet de tirer les conséquences, sur l'exercice d'un mandat en cours, d'une condamnation à une peine d'inéligibilité devenue définitive ou assortie par le juge pénal de l'exécution provisoire, n'ont pas pour effet de porter au droit d'être élu une restriction déraisonnable au sens de l'article 25 du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 341 du code électoral, en ce qu'elles porteraient atteinte au libre choix des électeurs, méconnaîtraient ces stipulations doit être écarté.
12. D'autre part, aux termes de l'article 3 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ".
13. Le requérant ne saurait utilement soutenir que les dispositions de l'article L. 341 du code électoral méconnaîtraient le droit d'éligibilité, garanti par ces stipulations, celles-ci n'étant pas applicables aux élections pour la désignation des membres des conseils régionaux, faute pour ces élections de pouvoir être regardées, eu égard aux compétences des régions en France, comme portant sur le choix du " corps législatif " au sens des stipulations invoquées.
14. En troisième lieu, si, aux termes des stipulations du paragraphe 1 de l'article 7 de la Charte européenne de l'autonomie locale, régulièrement approuvée, et publiée au Journal officiel de la République française du 5 mai 2007 par le décret du 3 mai 2007 : " Le statut des élus locaux doit assurer le libre exercice de leur mandat ", ces stipulations n'ont, en tout état de cause, ni pour objet ni pour effet de protéger les élus locaux des conséquences, sur l'exercice d'un mandat en cours, d'une condamnation pénale à une peine d'inéligibilité devenue définitive ou assortie de l'exécution provisoire. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir, par la voie de l'exception, que les dispositions de l'article L. 341 du code électoral seraient, en ce qu'elles porteraient atteinte au libre exercice du mandat local, incompatibles avec ces stipulations.
15. En quatrième et dernier lieu, s'il résulte des dispositions de l'article L. 341 du code électoral que le recours dirigé contre l'arrêté par lequel le préfet de région déclare démissionnaire d'office un conseiller régional condamné à une peine d'inéligibilité devenue définitive n'est pas suspensif, tel est en revanche le cas du recours dirigé contre l'arrêté par lequel le préfet déclare démissionnaire d'office un conseiller régional condamné à une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire.
16. Il ressort, d'une part, des motifs de l'arrêté du 10 avril 2025 du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris que celui-ci, ainsi qu'il a été dit au point 1, a été pris pour tirer les conséquences du jugement du 31 mars 2025 par lequel le tribunal judiciaire de Paris a prononcé à l'encontre de M. C... une peine d'inéligibilité d'une durée de trois ans avec exécution provisoire. Il ressort, d'autre part, des motifs de l'arrêté du 29 avril 2025 du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris que celui-ci, ainsi qu'il a été dit au point 2, a été pris pour tirer les conséquences de l'arrêt du 19 juin 2024 par lequel la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. C... contre l'arrêt du 15 mars 2023 de la cour d'appel de Paris qui l'avait condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et deux ans d'inéligibilité, rendant ainsi définitive cette condamnation à une peine d'inéligibilité.
17. Il résulte de ce qui a été dit au point 15 que le recours formé par M. C... devant le Conseil d'Etat, dans le délai de dix jours prévu par les dispositions précitées de l'article L. 341 du code électoral, contre l'arrêté du 10 avril 2025 le déclarant démissionnaire d'office de son mandat de conseiller régional d'Ile-de-France à la suite de sa condamnation à une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire, a eu pour effet de suspendre l'exécution de cet arrêté, de sorte que l'intéressé était toujours, à la date de l'intervention de l'arrêté du 29 avril 2025, titulaire de ce mandat. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet ne pouvait légalement prendre l'arrêté litigieux du 29 avril 2025, au motif que M. C... aurait déjà été démis à cette date de son mandat de conseiller régional par l'arrêté du 10 avril 2025, doit être écarté.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 29 avril 2025 par lequel le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris l'a déclaré démissionnaire d'office de son mandat de conseiller régional d'Ile-de-France.
Sur la requête n° 503663 de M. C... dirigée contre l'arrêté du 10 avril 2025 :
19. Ainsi qu'il a été dit au point 15, si le recours formé devant le Conseil d'Etat par M. C... contre l'arrêté du 10 avril 2025 le déclarant démissionnaire d'office de son mandat de conseiller régional d'Ile-de-France a eu pour effet de suspendre l'exécution de cet arrêté, le recours formé devant le Conseil d'Etat par M. C... contre l'arrêté du 29 avril 2025, lequel a été pris pour tirer les conséquences de sa condamnation à une peine d'inéligibilité devenue définitive, n'a pas présenté de caractère suspensif. Il s'ensuit que ce second arrêté a eu pour effet immédiat de démettre l'intéressé de son mandat de conseiller régional d'Ile-de-France. Dès lors, en adoptant l'arrêté litigieux du 29 avril 2025, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris doit être regardé comme ayant implicitement mais nécessairement abrogé l'arrêté antérieur du 10 avril 2025, qui avait entre-temps été suspendu. Par suite, les conclusions de la requête n° 503663, tendant à l'annulation de cet arrêté du 10 avril 2025, sont devenues sans objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
20. Par voie de conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C... à l'appui de sa requête n° 503663.
21. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation présentées sous le n° 503663 par M. C... et que la requête n° 503929 M. C... doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les mêmes conclusions présentées par M C... sous le n° 503663.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation présentées par M. C... sous le n° 503663.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. C....
Article 3 : La requête n° 503929 de M. C... ainsi que les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par M. C... sous le n° 503663 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et à la présidente du conseil régional d'Ile-de-France.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 juin 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 25 juin 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. David Gaudillère
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain