Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 avril et 28 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêté du 10 avril 2025 par lequel le préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime l'a déclaré démissionnaire d'office de son mandat de conseiller régional de Normandie ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
- la Charte européenne de l'autonomie locale ;
- le code électoral, notamment ses articles L. 199, L. 340 et L. 341 ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale, notamment son article 471 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025 du Conseil constitutionnel ;
- le jugement n° 15083000886 du 31 mars 2025 de la 1ère section de la 11eme chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 juin 2025, présentée par M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que, par un jugement du 31 mars 2025, le tribunal judiciaire de Paris a condamné M. B... A... à une peine d'un an d'emprisonnement dont six mois assortis du sursis, à une amende délictuelle de 8 000 euros et à la peine complémentaire d'inéligibilité pour une durée de trois ans avec exécution provisoire. Par un arrêté du 10 avril 2025, le préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime a, sur le fondement de l'article L. 341 du code électoral, déclaré M. A... démissionnaire d'office de son mandat de conseiller régional de Normandie. M. A... demande au Conseil d'Etat l'annulation de cet arrêté.
Sur le cadre juridique applicable :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 341 du code électoral : " Tout conseiller régional qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un cas d'inéligibilité prévu à l'article L. 340 ou se trouve frappé d'une des incapacités qui font perdre la qualité d'électeur, est déclaré démissionnaire d'office par arrêté du représentant de l'Etat dans la région, sauf recours au Conseil d'Etat dans les dix jours de la notification. Lorsqu'un conseiller régional est déclaré démissionnaire d'office à la suite d'une condamnation pénale définitive prononcée à son encontre et entraînant de ce fait la perte de ses droits civiques et électoraux, le recours éventuel contre l'arrêté du représentant de l'Etat dans la région n'est pas suspensif ". Le dernier alinéa de l'article L. 340 de ce code rend, notamment, l'article L. 199 du même code applicable à l'élection des conseillers régionaux. Aux termes de cet article L. 199 du code électoral : " Sont inéligibles les personnes désignées à l'article L. 6 et celles privées de leur droit d'éligibilité par décision judiciaire en application des lois qui autorisent cette privation ".
3. D'autre part, aux termes du quatrième alinéa de l'article 471 du code de procédure pénale : " Les sanctions pénales prononcées en application des articles 131-4-1 à 131-11 et 132-25 à 132-70 du code pénal peuvent être déclarées exécutoires par provision ". En vertu des articles 131-10 et 131-26 du code pénal, l'interdiction de tout ou partie des droits civiques, parmi lesquels l'éligibilité, peut être prononcée à titre de peine complémentaire lorsque la loi le prévoit.
4. Il résulte de ces dispositions que, dès lors qu'un conseiller régional se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d'une condamnation devenue définitive ou d'une condamnation dont le juge pénal a décidé l'exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer immédiatement démissionnaire d'office.
Sur la requête :
En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité :
5. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
6. En premier lieu, à l'appui de sa requête, M. A... soutient que les dispositions combinées des articles L. 199, L. 340 et L. 341 du code électoral, d'une part, et de l'article 471 du code de procédure pénale, d'autre part, lorsqu'il en est fait application à la suite d'une condamnation à une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi à raison d'une différence de traitement entre membres du Parlement et conseillers régionaux.
7. Le principe d'égalité, garanti par l'article 6 de la Déclaration du 26 août 1789, ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
8. Selon les articles LO. 136 et LO. 296 du code électoral, est déchu de plein droit de la qualité de membre du Parlement celui dont l'inéligibilité se révèle après la proclamation des résultats et l'expiration du délai pendant lequel elle peut être contestée ou qui, pendant la durée de son mandat, se trouve dans l'un des cas d'inéligibilité prévus par le même code. Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que cette déchéance n'est constatée qu'en cas de condamnation pénale définitive à une peine d'inéligibilité, et non lorsque la peine d'inéligibilité n'est qu'assortie de l'exécution provisoire.
9. Par sa décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025, le Conseil constitutionnel a, dans ses motifs et son dispositif, déclaré conforme à la Constitution les dispositions combinées de l'article L. 236 du code électoral et du 1° de l'article L. 230 du même code, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, et en application desquelles le préfet est tenu de déclarer immédiatement démissionnaire d'office un conseiller municipal, non seulement en cas de condamnation de ce dernier à une peine d'inéligibilité devenue définitive, mais aussi lorsque la condamnation à une peine d'inéligibilité est assortie de l'exécution provisoire. Le Conseil constitutionnel a en effet estimé que, s'il en résulte une différence de traitement entre les membres du Parlement et les conseillers municipaux quant aux effets, sur l'exercice d'un mandat en cours, d'une condamnation pénale assortie de l'exécution provisoire, compte tenu de ce que, ainsi qu'il a été dit au point 8, la déchéance du mandat d'un membre du Parlement n'est constatée qu'en cas de condamnation pénale définitive à une peine d'inéligibilité et non lorsque la peine d'inéligibilité n'est qu'assortie de l'exécution provisoire, les membres du Parlement se trouvent dans une situation différente de celle des conseillers municipaux au regard de leur situation particulière et des prérogatives qu'ils tiennent de la Constitution, dès lors que les parlementaires, d'une part, participent à l'exercice de la souveraineté nationale et, d'autre part, votent la loi et contrôlent l'action du Gouvernement. Relevant que cette différence de traitement, fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l'objet de la loi, il a en conséquence écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi par ces dispositions du code électoral applicables aux conseillers municipaux.
10. Les dispositions du code électoral applicables aux conseillers régionaux et citées au point 2 sont analogues à celles du même code mentionnées ci-dessus et applicables aux conseillers municipaux, que le Conseil constitutionnel a donc déclarées conformes à la Constitution au motif notamment qu'elles ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi à raison d'une différence de traitement avec les membres du Parlement. Il s'ensuit que, les conseillers régionaux se trouvant dans la même différence de situation que les conseillers municipaux par rapport aux membres du Parlement, le grief tiré de ce que les dispositions des articles L. 199, L. 340 et L. 341 du code électoral, lorsqu'il en est fait application à la suite d'une condamnation d'un conseiller régional à une peine d'inéligibilité assortie d'une exécution provisoire, méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi à raison d'une différence de traitement avec les membres du Parlement ne présente pas un caractère sérieux.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ". Le législateur est compétent, en vertu de l'article 34 de la Constitution, pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales ainsi que les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Il ne saurait priver un citoyen du droit d'éligibilité dont il jouit en vertu de l'article 6 de la Déclaration du 26 août 1789 que dans la mesure nécessaire au respect du principe d'égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l'électeur.
12. Par sa décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025 déjà citée, le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions relatives à la démission d'office d'un conseiller municipal condamné à une peine d'inéligibilité, telles qu'interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, visent à garantir l'effectivité de la décision de justice afin d'assurer, en cas de recours, l'efficacité de la peine et de prévenir la récidive et que, ce faisant, elles mettent en œuvre l'exigence constitutionnelle qui s'attache à l'exécution des décisions de justice en matière pénale, contribuent à renforcer l'exigence de probité et d'exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants, mettant ainsi en œuvre l'objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Le Conseil constitutionnel a ensuite relevé que la démission d'office ne peut intervenir qu'en cas de condamnation à une peine d'inéligibilité expressément prononcée par le juge pénal, à qui il revient d'en moduler la durée ou de décider de ne pas la prononcer en fonction des circonstances de chaque espèce. Il revient également au juge pénal de décider si la peine doit être assortie de l'exécution provisoire, après débat contradictoire, en appréciant le caractère proportionné de l'atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l'exercice d'un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l'électeur. Il a en conséquence écarté le grief tiré de la méconnaissance du droit d'éligibilité par ces dispositions.
13. Les dispositions contestées du code électoral relatives à la démission d'office des conseillers régionaux condamnés à une peine d'inéligibilité étant analogues à celles du même code relatives à la démission d'office des conseillers municipaux condamnés à une peine d'inéligibilité, le même grief tiré de ce qu'elles porteraient atteinte au droit d'éligibilité, auquel doivent être rattachées la liberté des candidatures et la liberté de l'électeur invoquées par le requérant, ne peut être regardé comme sérieux.
14. En troisième lieu, l'acte par lequel le préfet de région déclare démissionnaire d'office, en application de l'article L. 341 du code électoral, un conseiller régional condamné à une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire se bornant à tirer les conséquences de la condamnation prononcée par le juge pénal, le requérant ne saurait, en tout état de cause, utilement soutenir que ces dispositions méconnaîtraient, faute de prévoir le recueil préalable des observations du conseiller régional concerné par l'acte prononçant sa démission d'office, le principe des droits de la défense et le principe invoqué du caractère contradictoire de la procédure, qui en est le corollaire.
15. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Il découle du principe de nécessité des délits et des peines qu'une même personne ne peut faire l'objet de plusieurs poursuites tendant à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux.
16. Dès lors que l'acte par lequel le préfet déclare démissionnaire d'office un conseiller régional condamné à une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire se borne, ainsi qu'il a été dit, à tirer les conséquences de cette condamnation en constatant la fin du mandat en cause, cet acte ne saurait être regardé comme une sanction. Par suite, le requérant ne peut utilement soutenir que ces dispositions de l'article L. 341 du code électoral, lorsqu'il en est fait application à la suite d'une condamnation à une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire, méconnaîtraient, en imposant au préfet de prononcer une " sanction administrative " se cumulant avec une sanction pénale infligée à raison des mêmes faits, le principe de non-cumul des sanctions.
17. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
18. D'une part, l'acte par lequel le préfet déclare démissionnaire d'office un conseiller régional condamné à une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire, qui, ainsi qu'il a été dit, se borne à tirer les conséquences de la condamnation prononcée par le juge pénal, est sans incidence sur l'exercice des voies de recours ouvertes contre la décision de condamnation. Au surplus, l'intéressé peut former contre l'arrêté prononçant la démission d'office un recours devant le Conseil d'État, qui a pour effet de suspendre l'exécution de l'arrêté, sauf en cas de démission d'office notifiée à la suite d'une condamnation pénale définitive.
19. D'autre part, s'il résulte, ainsi qu'il a été dit, de la réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025 que le choix du juge pénal d'assortir une peine d'inéligibilité de l'exécution provisoire doit faire l'objet d'une motivation spécifique quant au caractère proportionné de l'atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l'exercice d'un mandat en cours et à la liberté de l'électeur, un tel choix s'inscrit dans le cadre global du prononcé d'une condamnation pénale, laquelle peut faire l'objet d'un recours devant le juge judiciaire. Dès lors, la circonstance qu'un élu condamné à une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire ne dispose pas d'une voie de recours spécifique lui permettant de contester, en urgence, cette unique partie d'un jugement pénal rendu en première instance ou en appel pour en obtenir la suspension ne saurait être regardée comme portant atteinte, à elle seule, au droit à un recours juridictionnel effectif.
20. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de ce que les dispositions contestées, lorsqu'il en est fait application à la suite d'une condamnation à une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire, méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne présente pas un caractère sérieux.
21. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, par suite, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
En ce qui concerne la légalité externe :
22. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, lorsqu'un conseiller régional se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d'une condamnation à une peine d'inéligibilité devenue définitive ou d'une condamnation à une peine d'inéligibilité dont le juge pénal a décidé l'exécution provisoire, l'acte par lequel le préfet, qui se trouve en situation de compétence liée, le déclare, en application de l'article L. 341 du code électoral, démissionnaire d'office se borne à tirer les conséquences de la condamnation prononcée par le juge pénal. Par suite, et alors même que l'arrêté en cause, par lequel le préfet de la région Normandie a déclaré M. A... démissionnaire d'office de son mandat de conseiller régional de Normandie à la suite de sa condamnation à une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire par le jugement du 31 mars 2025 du tribunal judiciaire de Paris, a affecté défavorablement sa situation, le moyen tiré de ce qu'il aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute de recueil des observations préalables de l'intéressé, en méconnaissance des stipulations de l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, doit être écarté comme inopérant.
En ce qui concerne la légalité interne :
23. En premier lieu, d'une part, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 341 du code électoral que tout conseiller régional qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un cas d'inéligibilité prévu à l'article L. 340 est déclaré démissionnaire d'office par arrêté du représentant de l'Etat dans la région. D'autre part, la cause de l'inéligibilité, au sens et pour l'application de ces dispositions de l'article L. 341 du code électoral, réside, non pas, comme le soutient le requérant, dans les faits à l'origine de la décision par laquelle le juge pénal prononce une peine d'inéligibilité, mais dans cette décision de justice elle-même.
24. En l'espèce, il est constant que le jugement du 31 mars 2025 du tribunal judiciaire de Paris par lequel M. A... a été condamné à une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire est postérieur à l'élection de l'intéressé, le 27 juin 2021, au conseil régional de Normandie. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la circonstance que les faits pour lesquels il a été condamné par ce jugement soient antérieurs à cette élection est inopérante et ne pouvait faire obstacle à l'édiction, sur le fondement de l'article L. 341 du code électoral, de l'arrêté litigieux.
25. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit, les dispositions de l'article L. 341 du code électoral, en vertu desquelles le préfet est tenu de déclarer démissionnaire d'office un conseiller régional privé de son droit d'éligibilité par décision judiciaire postérieure à son élection, sont applicables, contrairement à ce que soutiennent les requérants, non seulement en cas de condamnation à une peine d'inéligibilité devenue définitive, mais aussi lorsqu'une telle condamnation est assortie par le juge pénal de l'exécution provisoire. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 341 du code électoral seraient inapplicables au cas où un conseiller régional a été condamné à une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire doit être écarté.
26. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article 25 du pacte international relatif aux droits civils et politiques : " Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables : / a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ; / b) De voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs ; / c) D'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays ".
27. Les dispositions de l'article L. 341 du code électoral, qui ont pour objet de tirer les conséquences, sur l'exercice d'un mandat en cours, d'une condamnation à une peine d'inéligibilité devenue définitive ou assortie par le juge pénal de l'exécution provisoire, n'ont pas pour effet de porter au droit d'être élu une restriction déraisonnable au sens de l'article 25 du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 341 du code électoral, en ce qu'elles porteraient atteinte au libre choix des électeurs, méconnaîtraient ces stipulations doit être écarté.
28. D'autre part, aux termes de l'article 3 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ".
29. Le requérant ne saurait utilement soutenir que les dispositions de l'article L. 341 du code électoral méconnaîtraient le droit d'éligibilité, garanti par ces stipulations, celles-ci n'étant pas applicables aux élections pour la désignation des membres des conseils régionaux, faute pour ces élections de pouvoir être regardées, eu égard aux compétences des régions en France, comme portant sur le choix du " corps législatif " au sens des stipulations invoquées.
30. En quatrième et dernier lieu, si, aux termes des stipulations du paragraphe 1 de l'article 7 de la Charte européenne de l'autonomie locale, régulièrement approuvée, et publiée au Journal officiel de la République française du 5 mai 2007 par le décret du 3 mai 2007 : " Le statut des élus locaux doit assurer le libre exercice de leur mandat ", ces stipulations n'ont, en tout état de cause, ni pour objet ni pour effet de protéger les élus locaux des conséquences, sur l'exercice d'un mandat en cours, d'une condamnation pénale à une peine d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir, par la voie de l'exception, que les dispositions de l'article L. 341 du code électoral seraient, en ce qu'elles porteraient atteinte au libre exercice du mandat local, incompatibles avec ces stipulations.
31. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 10 avril 2025 par lequel le préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime l'a déclaré démissionnaire d'office de son mandat de conseiller régional de Normandie. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A....
Article 2 : La requête de M. A... est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au président du conseil régional de Normandie.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 juin 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 25 juin 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. David Gaudillère
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain