Vu la procédure suivante :
Le conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes a porté plainte contre M. A... B... devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Par une décision du 22 juin 2022, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté cette plainte.
Par une décision du 9 novembre 2023, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a, sur appel du conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes, annulé la décision de la chambre disciplinaire de première instance et interdit à M. B... d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant six mois, durée assortie du sursis.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 janvier et 16 avril 2024 et le 6 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;
2°) de mettre à la charge du conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de M. B... et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes a porté plainte contre M. A... B... devant la chambre disciplinaire de première instance de la région Auvergne-Rhône-Alpes de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Par une décision du 22 juin 2022, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté cette plainte. Par une décision du 9 novembre 2023, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a, sur appel du conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes, annulé la décision de la chambre disciplinaire de première instance et interdit à M. B... d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant six mois, durée assortie du sursis.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
3. Ces exigences impliquent qu'une personne faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'elle soit préalablement informée du droit qu'elle a de se taire. Il en va ainsi, même sans texte, lorsqu'elle est poursuivie devant une juridiction disciplinaire de l'ordre administratif. A ce titre, elle doit être avisée qu'elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l'instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d'appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information.
4. Il s'ensuit, d'une part, que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d'irrégularité si la personne poursuivie comparaît à l'audience sans avoir été au préalable informée du droit qu'elle a de se taire, sauf s'il est établi qu'elle n'y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier. D'autre part, pour retenir que la personne poursuivie a commis des manquements et lui infliger une sanction, la juridiction disciplinaire ne peut, sans méconnaître les exigences mentionnées aux points 2 et 3, se déterminer en se fondant sur les propos tenus par cette personne lors de son audition pendant l'instruction si elle n'avait pas été préalablement avisée du droit qu'elle avait de se taire à cette occasion.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 4126-1 du code de la santé publique : " Aucune peine disciplinaire ne peut être prononcée sans que le chirurgien-dentiste (...) en cause ait été entendu ou appelé à comparaître. " Aux termes des articles R. 4126-25 et R. 4126 26 de ce code, rendus applicables à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes par l'article R. 4126-43 : " (...) Les parties sont convoquées à l'audience (...) " et " Les affaires sont examinées en audience publique (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 4126-29 du même code, relatif aux mentions figurant sur la décision juridictionnelle rendue : " Mention y est faite que le rapporteur et, s'il y a lieu, les parties, les personnes qui les ont représentées ou assistées ainsi que toute personne convoquée à l'audience ont été entendues. "
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 que le chirurgien-dentiste poursuivi devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes doit être informé du droit qu'il a de se taire dans les conditions précisées au point 3.
7. Il résulte des mentions de la décision attaquée que M. B... a comparu devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes lors de l'audience s'étant tenue le 11 octobre 2023 et qu'il y a été entendu. Or il ne ressort ni des pièces de la procédure suivie en appel, ni d'ailleurs des mentions de cette décision qu'il ait été préalablement informé du droit qu'il avait de s'y taire. Il n'est pas davantage établi qu'il n'y aurait pas tenu des propos susceptibles de lui préjudicier. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que la décision qu'il attaque est entachée d'irrégularité.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes du 9 novembre 2023 qu'il attaque.
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes une somme à verser à M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes du 9 novembre 2023 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. B... et par le conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au conseil départemental du Rhône de l'ordre des chirurgiens-dentistes.
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.