Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 2312478 du 14 mars 2024, enregistré le 15 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée au greffe de ce tribunal le 30 mai 2023, présentée par M. A... B....
Par cette requête, M. B... doit être regardé comme demandant au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir ou de retirer le décret du 1er février 1967, publié au Journal officiel le 12 février 1967 en tant qu'il porte libération de ses liens d'allégeance envers la France ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 19 septembre 2022 par laquelle le chef de section consulaire de l'ambassade de France en Pologne a refusé de procéder au renouvellement de son passeport et de sa carte d'identité, ensemble la décision du 31 mars 2023 rejetant son recours gracieux contre cette décision ;
3°) d'enjoindre au chef de section consulaire de l'ambassade de France en Pologne de lui délivrer un passeport français et une carte d'identité française, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de jugement à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la nationalité française ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;
- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 29 janvier 1952 à Léningrad, dans l'Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), a déposé une demande de renouvellement de son passeport français et de sa carte d'identité française auprès des services consulaires de l'ambassade de France en Pologne. Par une décision du 19 septembre 2022, ces services ont sursis au renouvellement des titres d'identité sollicités. M. B... a formé un recours gracieux contre cette décision, lequel a été rejeté le 31 mars 2023. M. B... demande d'une part, l'annulation de ces deux décisions et d'autre part, l'annulation ou le retrait du décret du 1er février 1967 le libérant de ses liens d'allégeance envers la France.
Sur les conclusions dirigées contre le décret du 1er février 1967 :
2. Aux termes de l'article 91 du code de la nationalité française, en vigueur à la date du décret attaqué : " Perd la nationalité française, le Français, même mineur, qui, ayant une nationalité étrangère, est autorisé, sur sa demande, par le Gouvernement français, à perdre la qualité de Français. / Cette autorisation est accordée par décret. / Le mineur doit, le cas échéant, être autorisé ou représenté dans les conditions prévues aux articles 53 et 54. ". Aux termes de l'article 54 du même code : " Si l'enfant est âgé de moins de seize ans, la personne visée aux alinéas 2 et 3 de l'article précédent peut, à titre de représentant légal, déclarer qu'elle réclame au nom du mineur la qualité de Français (...) ". Enfin, l'alinéa 2 de l'article 53 du même code dispose que : " S'il est âgé de seize ans mais n'a pas atteint l'âge de dix-huit ans, le mineur ne peut réclamer la nationalité française que s'il est autorisé par celui de ses père et mère qui a l'exercice de la puissance paternelle ou, à défaut, par son tuteur, après avis conforme du conseil de famille. "
3. Il ressort des pièces du dossier que par une lettre du 12 janvier 1966, le père de M. A... B... a demandé l'autorisation de perdre la qualité de Français, pour lui-même ainsi que pour sa femme et son fils mineur. Par un décret du 1er février 1967, dont la circonstance qu'il mentionne le prénom du requérant sous une orthographe différente ainsi qu'une erreur sur la date de naissance de l'intéressé sont insuffisantes au regard de l'ensemble des pièces du dossier, notamment de la demande de libération des liens d'allégeance pour le faire regarder comme relatif à une autre personne, M. B..., alors âgé de quinze ans, a été libéré de ses liens d'allégeance à l'égard de la France. Or, il résulte des dispositions des articles cités au point 2 dans leur version applicable à l'espèce que le mineur âgé de moins de seize ans peut perdre la nationalité française à la demande de celui de ses parents qui a l'exercice de la puissance paternelle. Par suite, et dès lors qu'il ne conteste pas que son père aurait été titulaire d'une telle autorité, M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 1er février 1967 en tant qu'il le libère de ses liens d'allégeance à l'égard de la France. Aucune procédure de retrait d'un tel décret n'étant à ce jour organisée par le code civil, les conclusions présentées à cette fin par M. B... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions dirigées contre les décisions du 19 septembre 2022 et du 31 mars 2023 :
4. En premier lieu, les décisions du 19 septembre 2022 et du 31 mars 2023 comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, elles satisfont aux exigences de motivation prévues par les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
5. En second lieu, en vertu de l'article 2 du décret du 22 octobre 1955 instituant une carte nationale d'identité et de l'article 4 du décret du 30 décembre 2005 relatif aux passeports, la carte nationale d'identité et le passeport sont délivrés, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande. Il résulte des dispositions du II de l'article 4 du décret du 22 octobre 1955 et du II de l'article 5 du décret du 30 décembre 2005 que la preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil ou, lorsque l'extrait d'acte de naissance ne suffit pas à établir la nationalité française du demandeur, par la production de l'une des pièces justificatives mentionnées aux articles 34 ou 52 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, ou à défaut par la justification d'une possession d'état de Français de plus de dix ans ou, lorsque ne peut être produite aucune de ces pièces, par la production d'un certificat de nationalité française. Pour l'application de ces dispositions, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de passeport ou de carte d'identité sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur, seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé pouvant justifier le refus de délivrance ou de renouvellement de passeport ou de carte d'identité. Alors que M. B... n'avait présenté à l'appui de sa demande qu'un certificat de nationalité française délivré par le tribunal d'instance de Puteaux le 25 février 1976, en estimant qu'eu égard à la perte de la nationalité française résultant du décret du 1er février 1967, un doute suffisant existait sur la nationalité de l'intéressé, à qui il appartenait de présenter tous éléments utiles à l'appui de sa demande, justifiant le rejet de celle-ci, les services consulaires n'ont pas fait une inexacte application des dispositions mentionnées ci-dessus.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre des affaires étrangères, que les demandes de M. B... ne sont pas fondées.
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au ministre de l'Europe, ministre des affaires étrangères et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 juin 2025 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 26 juin 2025.
Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie-Caroline de Margerie
La secrétaire :
Signé : Mme Sandrine Mendy