Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 13 septembre 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Laboratoires BLC Thalgo Cosmetic SA à le licencier pour faute.
Par un jugement n° 2000688 du 27 mai 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2022, sous le n° 22MA02055, M. E..., représenté par Me Pothet, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 27 mai 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 13 septembre 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa qualité d'élu local de la commune de Roquebrune-sur-Argens n'a pas été prise en compte dans la procédure disciplinaire et dans la procédure engagée par l'inspection du travail ;
- la procédure n'a pas été respectée en l'état de la chronologie mise en œuvre par l'employeur ;
- l'employeur a mis en œuvre une mesure conservatoire partielle le 1er février 2019 mais l'a maintenue dans l'entreprise, alors même qu'il devait envisager un licenciement pour motif personnel et pour faute grave ;
- il a, en violation de ses prérogatives, décidé de le convoquer au mépris des conditions d'établissement de l'ordre du jour au visa de l'article L. 2315-3 du code du travail ;
- les conditions de majorité au sein du comité social et économique n'ont pas été respectées ;
- le président employeur a participé aux votes en violation des dispositions de l'article L. 2315-33 du code du travail ;
- la consultation des membres du CSE ne vise pas expressément une consultation à bulletin secret, ce qui entraîne l'irrégularité de la procédure ;
- l'employeur doit rapporter la preuve que les consultations du CSE ont été adressées au salarié protégé dans le délai de trois jours francs au moins avant la séance ;
- il n'a pas été pris à son encontre une mesure de mise à pied conservatoire ;
- en faisant état dans la lettre de convocation à l'entretien préalable de ce qu'il était contraint d'envisager son licenciement pour faute grave, l'employeur méconnaît la jurisprudence ;
- les faits sont prescrits ;
- son licenciement résulte d'une organisation collective visant à se séparer d'un salarié trop rémunéré pour des faits dont la preuve n'a pas été rapportée et administrée par les salariées prétendument victimes ;
- les demandes de formation non remplies sont étrangères à un fait d'harcèlement ;
- s'il a pu être défaillant dans son management, il n'a jamais eu l'intention de se comporter en harceleur ;
- il dément avoir tenu des propos de dénigrement à l'égard de ses collaboratrices ;
- la direction a exercé une pression sur l'une d'elle ;
- le climat au sein de l'entreprise employeur est délétère.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2022, la société Laboratoires BLC Thalgo Cosmetic SA, représentée par Me Guerre, conclut au rejet de la requête de M. E... et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... a été recruté à compter du 21 octobre 2002 par la société Laboratoires BLC Thalgo Cosmetic SA. Il a été promu " responsable achats développements et packaging " à partir du 1er avril 2007, fonctions d'abord exercées pour le compte de la société, puis progressivement étendues à deux autres sociétés du groupe. Il a été élu membre titulaire du comité social et économique (CSE) de l'entreprise à l'issue des élections professionnelles qui se sont déroulées en décembre 2018. Par une lettre du 25 mai 2019, la société Laboratoires BLC Thalgo Cosmetic SA l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 6 juin 2019. Par un courrier du 12 juillet 2019, la société Laboratoires BLC Thalgo Cosmetic SA a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de le licencier pour faute. Par une décision du 13 septembre 2019, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de M. E.... Ce dernier a formé, le 14 novembre 2019, un recours gracieux à l'encontre de cette décision qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. E... relève appel du jugement du 27 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 13 septembre 2019. Le requérant doit être regardé comme demandant également l'annulation de la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la non prise en compte du mandat d'élu de M. E... :
2. Aux termes de l'article L. 2123-9 du code général des collectivités territoriales, dans sa version en vigueur à la date des décisions contestées : " Les maires, d'une part, ainsi que les adjoints au maire des communes de 10 000 habitants au moins, d'autre part, qui, pour l'exercice de leur mandat, ont cessé d'exercer leur activité professionnelle, bénéficient, s'ils sont salariés, des dispositions des articles L. 3142-83 à L. 3142-87 du code du travail relatives aux droits des salariés élus membres de l'Assemblée nationale et du Sénat. (...) / Lorsqu'ils n'ont pas cessé d'exercer leur activité professionnelle, les élus mentionnés au premier alinéa du présent article sont considérés comme des salariés protégés au sens du livre IV de la deuxième partie du code du travail. ".
3. En vertu du livre IV de la deuxième partie du code du travail et des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 2123-9 du code général des collectivités territoriales alors en vigueur, le licenciement de salariés qui détiennent un mandat de maire, d'une part, ou d'adjoint au maire de communes de 10 000 habitants au moins, d'autre part, bénéficient d'une protection exceptionnelle en vue de la protection des mandats politiques qu'ils exercent. Leur licenciement ne peut ainsi intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Cette autorisation est requise si le salarié bénéficie de la protection attachée à son mandat à la date de l'envoi par l'employeur de sa convocation à l'entretien préalable au licenciement. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions électives exercées par l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre du travail, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
4. Si M. E... soutient que sa qualité d'élu local de la commune de Roquebrune-sur-Argens n'a pas été prise en compte dans la procédure disciplinaire et dans celle engagée par l'inspection du travail, il ne précise pas quel mandat il détenait ni quelle disposition de la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 aurait été méconnue. En tout état de cause, le requérant n'établit pas avoir informé son employeur et l'inspecteur du travail, notamment au cours de l'enquête contradictoire, de l'existence de ce mandat au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement.
En ce qui concerne la consultation du comité social et économique (CSE) :
5. Aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique ou d'un représentant de proximité est soumis au comité social et économique, qui donne un avis sur le projet de licenciement dans les conditions prévues à la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III. (...) ". Selon l'article R. 2421-8 du code précité : " L'entretien préalable au licenciement a lieu avant la consultation du comité social et économique faite en application de l'article L. 2421-3. (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que le 10 janvier 2019, trois collaboratrices du service packaging ont été reçues en urgence par la responsable des ressources humaines (RH) de la société Laboratoires BLC Thalgo Cosmetic SA. Lors de ces entretiens, elles ont révélé une souffrance au travail liée à des faits et agissements imputés à leur responsable hiérarchique, M. E.... Si ce dernier se prévaut d'une attestation du 25 avril 2019 de la trésorière adjointe du CSE qui déclare avoir été convoquée dans le bureau du marketing, début décembre 2018, suite à l'affichage de la liste du 1er tour de l'élection au comité social et économique (CSE), afin de rassurer des personnes du marketing qui craignaient de ne pas pouvoir faire licencier M. E... si celui-ci devenait salarié protégé, cette attestation n'est pas de nature à établir que l'employeur aurait eu connaissance des faits reprochés depuis 2018. Le 29 janvier 2019, le requérant a été reçu par la responsable des ressources humaines qui lui a fait part de ces faits susceptibles de traduire une situation de harcèlement moral. Le même jour, elle lui a adressé un courrier l'informant de ce qu'une enquête allait être ouverte, de la convocation du CSE sur les modalités de cette enquête et de ce qu'à titre conservatoire, le management de ces collaboratrices allait être confié à son N+2. Puis le CSE a été convoqué à une réunion extraordinaire le 11 février 2019 lors de laquelle ses membres ont été informés des faits reprochés à M. E... et interrogés sur les modalités de la procédure d'enquête. Le CSE a alors émis un avis favorable à l'unanimité sur la constitution de la commission d'enquête. A ce stade, l'employeur n'avait pas à mettre en œuvre la procédure applicable en matière de licenciement pour faute laquelle s'est déroulée ultérieurement, M. E... ayant été convoqué le 25 mai 2019 à un entretien préalable de licenciement qui a eu lieu le 6 juin 2019 donc après que les conclusions de la commission d'enquête aient été rendues le 16 mai 2019, le CSE ayant été réuni le 20 juin 2019 sur ce projet de licenciement, soit après l'entretien préalable conformément aux dispositions des articles L. 2421-3 et R. 2421-8 du code du travail. Par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la procédure de licenciement n'a pas été respectée.
7. Si M. E... a été maintenu dans l'entreprise, la société Laboratoires BLC Thalgo Cosmetic SA a néanmoins pris une mesure conservatoire le 29 janvier 2019 en confiant le management de ses collaboratrices à son N+2. Comme l'a estimé à juste titre le tribunal, cette mesure était justifiée, eu égard à la gravité des faits rapportés impliquant qu'une mesure de protection soit prise dans l'intérêt des personnes les ayant dénoncés, et proportionnée, compte tenu de la nécessité de diligenter, avant la prise de toute décision, une enquête afin d'en vérifier la véracité.
8. Si le requérant soutient que la consultation des membres du CSE ne vise pas expressément une consultation à bulletin secret, ce qui entraîne l'irrégularité de la procédure, il ressort du compte rendu de la réunion du 20 juin 2019 du CSE que ses membres ont voté à bulletin secret sur le projet de licenciement de M. E....
9. Aux termes de l'article L. 2315-3 du code du travail : " Les membres de la délégation du personnel du comité social et économique sont tenus au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication. / Les membres de la délégation du personnel du comité social et économique et les représentants syndicaux sont tenus à une obligation de discrétion à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l'employeur. ".
10. Contrairement à ce que soutient M. E..., ces dispositions ne prévoient aucune condition d'établissement de l'ordre du jour. Celui concernant la réunion du CSE du 11 février 2019 mentionnait qu'il était strictement confidentiel en application de l'article L. 2315-3 du code du travail tout comme la note d'information adressée aux membres du CSE. Par ailleurs, M. E... qui était le secrétaire du CSE a reçu sa convocation à la réunion du 11 février 2019 précitée par un courrier remis en main propre. Ce dernier n'est dès lors pas fondé à soutenir que l'employeur a, en violation de ses prérogatives de secrétaire, décidé de le convoquer, le 11 février 2019, au mépris des conditions d'établissement de l'ordre du jour au visa de l'article L. 2315-3 du code du travail.
11. Aux termes de l'article L. 2315-30 du code du travail : " L'ordre du jour des réunions du comité social et économique est communiqué par le président aux membres du comité, à l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 ainsi qu'à l'agent des services de prévention des organismes de sécurité sociale trois jours au moins avant la réunion. ".
12. En l'espèce, par un courriel du 13 juin 2019, la responsable des ressource humaines a adressé aux membres du CSE, dont M. E..., la convocation à une future réunion extraordinaire du 20 juin 2019. Le requérant l'a reçue le 13 juin 2019 comme l'atteste l'accusé de réception numérique produit par la société intimée laquelle verse également au débat l'avis de réception de la lettre recommandée relative à cette convocation, distribué à M. E... le 15 juin 2019, soit plus de trois jours francs avant la séance du 20 juin du CSE.
13. Aux termes de l'article L. 2315-32 du code du travail : " Les résolutions du comité social et économique sont prises à la majorité des membres présents. / Le président du comité social et économique ne participe pas au vote lorsqu'il consulte les membres élus du comité en tant que délégation du personnel. (...) ".
14. Comme l'a estimé à bon droit le tribunal, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que la résolution de licenciement d'un salarié protégé soit prise à l'unanimité des membres élus du comité social et économique.
15. L'article L. 2315-32 du code du travail dispose que : " (...) / Le président du comité social et économique ne participe pas au vote lorsqu'il consulte les membres élus du comité en tant que délégation du personnel. (...) ". Selon l'article L. 2315-33 du code précité : " Le comité social et économique peut décider que certaines de ses délibérations seront transmises à l'autorité administrative. ".
16. Les dispositions de l'article L. 2315-33 du code du travail n'interdisent pas la participation du président employeur aux votes du CSE. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que le président du CSE aurait pris part au vote dès lors que lors de la réunion du 20 juin 2019 du CSE, il y a eu 4 voix favorables au projet de licenciement, 3 défavorables et 3 abstentions, donc 10 votes correspondant aux 10 élus titulaires présents, à l'exclusion du président du CSE.
En ce qui concerne l'absence du prononcé d'une mesure de mise à pied conservatoire :
17. Aux termes de l'article L. 2421-1 du code du travail : " (...) / En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé dans l'attente de la décision définitive. / Cette décision est, à peine de nullité, motivée et notifiée à l'inspecteur du travail dans le délai de quarante-huit heures à compter de sa prise d'effet. (...) ". L'article L. 1332-3 du même code prévoit que : " Lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure prévue à l'article L. 1332-2 ait été respectée. ".
18. Il résulte des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 2421-1 du code du travail qu'en cas de faute grave, la mise à pied immédiate de l'intéressé dans l'attente de la décision définitive ne constitue qu'une simple faculté dont dispose l'employeur. Par suite, malgré la gravité des faits qui lui étaient reprochés, l'employeur de M. E... n'était pas tenu de prononcer cette mesure conservatoire.
En ce qui concerne la lettre de convocation à l'entretien préalable :
19. Aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. / La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation. (...) ".
20. Il ressort des pièces du dossier que par une lettre du 24 mai 2019, la société Laboratoires BLC Thalgo Cosmetic SA a informé M. E... de ce qu'elle était conduite à envisager son licenciement pour faute grave et qu'en application des dispositions de l'article L. 1232-2 du code du travail, elle le priait de bien vouloir se présenter le 6 juin 2019, à 10 h au siège social, pour un entretien préalable au cours duquel lui seront exposés les motifs de cette éventuelle mesure et où seront recueillies ses observations éventuelles. Cette convocation est donc bien conforme aux dispositions de l'article L. 1232-2 du code du travail, lesquelles imposent à l'employeur de mentionner l'objet de la convocation, à savoir que l'employeur envisage le licenciement pour faute grave du salarié.
En ce qui concerne la prescription des faits :
21. En vertu des dispositions du premier alinéa de l'article L. 122-44 du code du travail alors applicables, reprises à l'article L. 1332-4, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. Dans le cas où des investigations complémentaires ont été diligentées par l'employeur, elles ne sont de nature à justifier un report du déclenchement de ce délai que si elles sont nécessaires à la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié. Il appartient au juge du fond d'apprécier cette nécessité et, dans le cas où il estime ces investigations inutiles, de déclarer la poursuite pour motif disciplinaire prescrite.
22. Ainsi qu'il a été dit au point 6, il ressort des pièces du dossier que le 10 janvier 2019, trois collaboratrices du services packaging ont été reçues en urgence par la responsable des ressources humaines de la société Laboratoires BLC Thalgo Cosmetic SA. Lors de ces entretiens, elles ont révélé une souffrance au travail liée à des faits et agissements imputés à leur responsable hiérarchique, M. E.... Puis le CSE a été convoqué à une réunion extraordinaire le 11 février 2019 lors de laquelle ses membres ont été informés des faits reprochés à l'appelant et interrogés sur les modalités de la procédure d'enquête. Le CSE a émis un avis favorable à l'unanimité sur la constitution de la commission d'enquête. Cette dernière a finalement rendu son rapport le 16 mai 2019 lequel a permis à l'employeur d'avoir une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à M. E... permettant ainsi d'en tirer les conséquences et de le convoquer le 25 mai 2019 à un entretien préalable relatif à un projet de licenciement, respectant ainsi le délai de prescription.
En ce qui concerne la matérialité des faits reprochés :
23. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
24. Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".
25. Il résulte des dispositions mêmes de l'article L. 1152-1 du code du travail mentionnées ci-dessus que le harcèlement moral se caractérise par des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Il s'en déduit que, pour apprécier si des agissements sont constitutifs d'un harcèlement moral, l'inspecteur du travail doit, sous le contrôle du juge administratif, tenir compte des comportements respectifs du salarié auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et du salarié susceptible d'en être victime, indépendamment du comportement de l'employeur. Il appartient, en revanche, à l'inspecteur du travail, lorsqu'il estime, par l'appréciation ainsi portée, qu'un comportement de harcèlement moral est caractérisé, de prendre en compte le comportement de l'employeur pour apprécier si la faute résultant d'un tel comportement est d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.
26. Il ressort de la décision contestée que pour autoriser le licenciement pour faute de M. E..., l'inspecteur du travail s'est fondé sur les témoignages de cinq salariées qui ont déclaré avoir subi, de la part du requérant, notamment, un comportement humiliant, des propos dénigrants, des insultes, des demandes d'effectuer des taches dévalorisantes comme du rangement dans son bureau ou dans sa vitrine, générant un sentiment de mal être au travail, d'angoisse et d'isolement. Il a ainsi estimé que les faits de harcèlement moral étaient matériellement établis et que, pris dans leur ensemble pour quatre de ces collaboratrices, ils étaient suffisamment graves pour justifier une sanction disciplinaire. L'inspecteur du travail a, en revanche, écarté cette qualification concernant le cas de Mme B. qui témoigne davantage d'une carence en matière de management et d'un aveuglement de celle-ci qui était la supérieure hiérarchique du requérant, ainsi que pour d'autres salariés de l'entreprise et certains fournisseurs en raison d'un doute sur leur matérialité.
27. En l'espèce, le rapport de la commission d'enquête du 14 mai 2019 révèle que " au moins 19 collaborateurs de la société [ont fait] les frais où se plaignent du comportement de D... E... (...) " et que " les éléments en sa possession révèlent que suite à la mesure conservatoire notifiée, D... E... témoignait de comportements similaires à ceux dénoncés de manière concordante par les collaborateurs (comportements manipulateurs / intimidants, etc.), pour tenter de contourner cette mesure, d'impressionner ses interlocuteurs, d'interférer sur l'enquête (...) " et a considéré, " au vu de l'ensemble des éléments en présence, que, en dépit de ses dénégations, D... E... : - a témoigné d'un comportement ayant pour objet ou pour effet d'asseoir et de maintenir une emprise malsaine et nocive sur ses collaboratrices, par différents moyens, de nature à traduire l'existence d'une situation de harcèlement moral (plus particulièrement à l'encontre de M. B. et J. C.) ; - a (...) témoigné de comportements inappropriés, de nature à traduire une situation de harcèlement moral à l'encontre de Mademoiselle L. B. ; - exercé consciemment ou inconsciemment une pression morale continue vis-à-vis de Madame B. B. ; - témoigne plus généralement, au-delà des comportements observés vis-à-vis des collaboratrices (...) - ne se remet pas en question rejetant sans cesse la responsabilité sur les autres, est dans le déni et en décalage complet avec la perception qu'ont les autres de son comportement ". Par ailleurs, la commission a souligné que ce comportement avait dégradé les conditions de travail des membres de l'équipe de M. E... avec des incidences manifestes sur leur état de santé physique et mental, provoquant des arrêts maladies chez trois de ses collaboratrices.
28. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les témoignages des collaboratrices de M. E... résulteraient d'une action concertée et d'une instrumentalisation, ni que son licenciement constituerait une manœuvre organisée par son employeur dès novembre 2018, ce dernier ayant pris la peine d'organiser, avec l'accord du CSE, une commission d'enquête comprenant trois membres émanant de ce comité laquelle a entendu 24 personnes, dont 19 se sont plaintes du comportement de M. E.... Cette manœuvre n'est pas davantage démontrée par le fait que la 4ème collaboratrice du requérant, Mme R. n'a pas été entendue avec les trois autres dès lors qu'elle était en arrêt maladie. Le courriel de la responsable des ressources humaines, adressé le 18 février 2019 à Mme R. ne caractérise pas une pression à l'égard de cette dernière pour qu'elle valide les témoignages des trois autres collaboratrices dès lors qu'il répond au courriel de Mme R. et lui précise qu'elle restait libre ne pas vouloir être entendue par la commission d'enquête. Par ailleurs, aucun fait de harcèlement moral à l'égard de Mme R. n'a été retenu par l'inspecteur du travail qui n'a pas évoqué son témoignage réalisé le 21 juin 2019, après l'entretien préalable de licenciement.
29. Si M. E... soutient que le grief tiré de ce qu'il ne tiendrait pas son rôle de manager est étranger à un fait de harcèlement moral, ce motif n'a pas été mentionné par l'inspecteur du travail.
30. Les insultes sont établies par les témoignages suffisamment circonstanciés comme émanant de M. E... et non de son N+2. Ainsi, M. M., acheteur sénior, témoigne dans son entretien avec la commission d'enquête de ce qu'il a entendu le requérant dire que " J. n'a pas la lumière à tous les étages ", " S. est lente, elle perd du temps partout " et " M. ne sait rien faire ".
31. La circonstance que M. E... n'exerce aucun pouvoir de direction sur Mme B., chef de produits junior au service marketing, est sans incidence.
32. Par suite, compte tenu de ce qui a été dit aux points 26 à 31, les faits de harcèlement moral commis par M. E... à l'égard de quatre de ses collaboratrices sont matériellement établis.
En ce qui concerne le caractère suffisamment grave des faits :
33. M. E... soutient que les demandes de formation en management n'ont pas été remplies par l'entreprise et fait état d'un manque d'organisation et de communication de cette dernière, d'un climat délétère en raison du licenciement de son N+2 pour des faits de harcèlement moral, ainsi que des difficultés de recrutement. Toutefois, ces circonstances ne sont pas de nature à atténuer la gravité des faits de harcèlement moral reprochés laquelle est suffisamment caractérisée alors même que le requérant aurait d'excellentes qualités managériales révélées par des rapports d'étonnement de ses collaboratrices, des comptes rendus d'évaluation et un entretien annuel d'évaluation, du fait qu'il a suivi des formations adaptées, ainsi qu'un coaching particulier de la part de sa supérieure hiérarchique (N+2). Dès lors, le manquement mentionné au point 32 constitue, dans les circonstances de l'espèce, une faute suffisamment grave pour justifier le licenciement de M. E....
En ce qui concerne le lien entre le licenciement et le mandat de M. E... :
34. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le licenciement en cause aurait un lien avec le mandat syndical de M. E....
35. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 13 septembre 2019 et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Sur les frais liés au litige :
36. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. E... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E... la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Laboratoires BLC Thalgo Cosmetic SA et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : M. E... versera à la société Laboratoires BLC Thalgo Cosmetic SA une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., à la société Laboratoires BLC Thalgo Cosmetic SA et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2023, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 novembre 2023.
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N° 22MA02055
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