Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 7 juin 2019 par laquelle le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière l'a invité à compléter son dossier constitué à l'appui de sa demande d'autorisation d'exercice de la profession de chirurgien-dentiste en France.
Par un jugement n° 1901499 du 16 février 2021, le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne a, d'une part, annulé cette décision du 7 juin 2019, d'autre part, enjoint à la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière d'instruire la demande de M. A... sur le fondement de la procédure dite " Hocsman " et des articles 49 et 53 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 avril 2021, le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du
16 février 2021 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Il soutient que :
- en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative, le jugement n'est pas suffisamment motivé et est entaché d'irrégularité ;
- en considérant que la demande présentée par M. A... a été faite sur le fondement de la procédure dite " Hocsman " et non sur le fondement des dispositions du II de l'article
L. 4111-2 du code de la santé publique, les premiers juges ont entaché leur décision d'une erreur de droit ;
- dans la mesure où M. A... n'a pas exercé sa liberté de circulation et d'établissement et que le droit européen n'est pas applicable, les premiers juges, en estimant que l'intéressé était fondé à présenter sa demande d'autorisation sur le fondement des articles 49 et 53 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ont accueilli un moyen inopérant et entaché leur jugement d'une erreur de droit et de dénaturation des pièces du dossier ;
- les premiers juges ont commis une erreur de droit et entaché leur jugement d'une dénaturation des pièces du dossier en estimant que le courriel attaqué du 7 juin 2019, qui ne présentait qu'un caractère informatif, pouvait faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir ;
- en accueillant le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée, alors qu'il se trouvait en situation de compétence liée, les premiers juges ont commis une erreur de droit, une dénaturation des faits et une contradiction des motifs ;
- même dans l'hypothèse où la situation de M. A... pouvait être examinée au regard des articles 49 et 53 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la demande de l'intéressé n'avait pas à être soumise à la commission d'autorisation d'exercice ; le jugement attaqué est entaché d'erreurs de droit et de dénaturation des pièces du dossier.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2021, M. A..., représenté par Me Thomas, conclut au rejet de la requête, à ce que l'injonction prononcée par les premiers juges soit assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à ce que soit mis à la charge de l'Etat, ou subsidiairement au centre national de gestion, le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa demande de première instance est recevable ;
- les moyens soulevés par le centre national de gestion ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 ;
- la directive n° 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil du
20 novembre 2013 ;
- le code de la santé publique ;
- l'arrêt C-166/20 du 8 juillet 2021 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denizot, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité française, est titulaire d'un diplôme de doctorat en médecine dentaire délivré le 23 septembre 2012 par l'université internationale privée des sciences et de la technologie à Damas, qui a été reconnu le 25 octobre 2017 par les autorités roumaines. Par un courrier du 13 mai 2019, M. A..., qui s'est prévalu des articles 49 et 53 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, a demandé l'autorisation d'exercer en France. Par un courrier électronique du 7 juin 2019, le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) a indiqué à M. A... que sa demande était incomplète au regard des dispositions du II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique. Par un jugement du 16 février 2021, le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne a, d'une part, annulé la décision du 7 juin 2019, d'autre part, enjoint à la directrice générale du CNG d'instruire la demande de M. A... sur le fondement de la procédure dite " Hocsman " et des articles 49 et 53 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le CNG relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Pour annuler la décision du 7 juin 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a retenu le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée. Par ailleurs, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a expressément répondu à la fin de non-recevoir tirée du caractère non décisoire de la décision contestée et au moyen tiré de la compétence liée opposés par le CNG, qui correspondaient aux seuls moyens de défense auxquels le tribunal administratif était tenu de répondre. Enfin, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments opposés par le CNG, a explicité les raisons pour lesquelles la fin de non-recevoir et la situation de compétence liée ne pouvaient être retenues en l'espèce. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit donc être écarté.
4. En second lieu, la contradiction de motifs d'un jugement affecte le bien-fondé d'une décision juridictionnelle et non son bien-fondé.
5. Par suite, le CNG n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.
Sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance :
6. D'une part, le II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que : " L'autorité compétente peut également, après avis d'une commission composée notamment de professionnels, autoriser individuellement à exercer la profession de médecin dans la spécialité concernée, de chirurgien-dentiste, le cas échéant dans la spécialité, ou de sage-femme les ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, titulaires de titres de formation délivrés par un Etat tiers, et reconnus dans un Etat, membre ou partie, autre que la France, permettant d'y exercer légalement la profession. S'agissant des médecins et, le cas échéant, des chirurgiens-dentistes, la reconnaissance porte à la fois sur le titre de base et sur le titre de spécialité. / L'intéressé justifie avoir exercé la profession, le cas échéant dans la spécialité, pendant trois ans à temps plein ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente dans cet Etat, membre ou partie. / Dans le cas où l'examen des qualifications professionnelles attestées par l'ensemble des titres de formation initiale, de l'expérience professionnelle pertinente et de la formation tout au long de la vie ayant fait l'objet d'une validation par un organisme compétent fait apparaître des différences substantielles au regard des qualifications requises pour l'accès à la profession et son exercice en France, l'autorité compétente exige que l'intéressé se soumette à une mesure de compensation dans la spécialité ou le domaine concerné. / Selon le niveau de qualification exigé en France et celui détenu par l'intéressé, l'autorité compétente peut soit proposer au demandeur de choisir entre un stage d'adaptation ou une épreuve d'aptitude, soit imposer un stage d'adaptation ou une épreuve d'aptitude, soit imposer un stage d'adaptation et une épreuve d'aptitude ".
7. D'autre part, aux termes de l'article R. 4111-14 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Le ministre chargé de la santé délivre, après avis de la commission prévue à l'article R. 4111-15, l'autorisation d'exercice prévue au I bis et au II de l'article L. 4111-2 et aux articles L. 4131-1-1, L. 4141-3-1 et L. 4151-5-1, au vu d'une demande accompagnée d'un dossier composé selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de la santé. / Les dossiers sont adressés au centre national de gestion qui accuse réception de la demande dans le délai d'un mois à compter de sa réception. / Le silence gardé par l'autorité ministérielle pendant six mois sur les demandes présentées en application du I bis de l'article L. 4111-2 et pendant quatre mois sur celles présentées en application du II de l'article L. 4111-2, des articles L. 4131-1-1, L. 4141-3 et L. 4151-5 à compter de la réception d'un dossier complet vaut décision de rejet de la demande ". L'article R. 4111-16 du même code dispose que : " (...) Le secrétariat de la commission est assuré par le centre national de gestion, avec le concours, s'agissant des commissions d'autorisation d'exercice compétentes pour les médecins, du Conseil national de l'ordre des médecins ".
8. En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment, en dernier lieu, de son arrêt C-166/20 du 8 juillet 2021, il découle des articles 45 et 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), que, lorsque les autorités d'un Etat membre sont saisies par un ressortissant de l'Union d'une demande d'autorisation d'exercer une profession dont l'accès est, selon la législation nationale, subordonné à la possession d'un diplôme, d'une qualification professionnelle ou encore à des périodes d'expérience pratique, et que, faute pour le demandeur d'avoir obtenu un titre de formation le qualifiant, dans l'Etat membre d'origine, pour y exercer une profession réglementée, sa situation n'entre pas dans le champ d'application de la directive 2005/36 modifiée, elles sont tenues de prendre en considération l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, en rapport avec cette profession, acquis tant dans l'Etat membre d'origine que dans l'Etat membre d'accueil, en procédant à une comparaison entre d'une part les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale.
9. L'autorité compétente ne peut déclarer irrecevable la demande d'autorisation d'exercice de la profession de chirurgien-dentiste au motif que l'intéressé ne remplit pas les conditions fixées par le II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique, alors qu'en application des articles 45 et 49 du TFUE tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne dans sa jurisprudence, il lui appartient, pour statuer sur la demande d'autorisation, de se livrer à une appréciation de l'ensemble de ces diplômes, certificats et autres titres, ainsi que de l'expérience pertinente de l'intéressée.
10. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier du 13 mai 2019, M. A... a demandé à être autorisé à exercer la profession de chirurgien-dentiste sur le fondement des articles 49 et 53 du TFUE (procédure dite " Hocsman ") et a expressément indiqué ne pas inscrire sa demande dans le cadre des dispositions du II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique. Par un courrier électronique du 7 juin 2019, le CNG a estimé, au regard des dispositions du II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique, que le dossier de M. A... était incomplet au motif que l'attestation de fonctions détaillées prévues par les dispositions du code de la santé publique et la mention de l'absence de sanctions par les autorités roumaines ne figuraient pas dans la demande de l'intéressé.
11. En demandant à M. A... de compléter sa demande par la production d'une attestation de fonctions et de renseignements sur l'absence de sanctions par les autorités roumaines, le CNG a opposé les conditions prévues par l'article L. 4111-2 du code de la santé publique. Ces conditions prévues par le droit national ne correspondent pas à celles imposées dans le cadre d'une procédure " Hocsman ". Dans la mesure où le CNG a estimé, en sollicitant des pièces complémentaires relatives à une procédure dont il n'était pas saisi, que la demande de M. A... était incomplète, le courrier électronique du 7 juin 2019 doit être regardé comme révélant la décision du CNG de ne pas faire droit à la demande de M. A... présentée sur le fondement de la procédure " Hocsman ". Par suite, la décision refusant d'examiner la demande de M. A... sur le fondement des articles 45 et 49 du TFUE, dans le cadre de la procédure dite " Hocsman ", fait grief à l'intéressé et est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. La fin de non-recevoir opposée par le CNG et tirée du caractère non-décisoire de la décision contestée doit donc être écarté.
Sur la légalité de la décision contestée :
12. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit précédemment, dans le cadre de l'examen d'une demande d'autorisation d'exercer la profession de chirurgien-dentiste, présentée sur le fondement des articles 45 et 49 du TFUE, l'autorité compétente doit procéder à une comparaison entre, d'une part, les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale. Ainsi, contrairement à ce que fait valoir le CNG, la constatation des faits ne commande pas automatiquement la décision de l'administration dans la mesure où l'autorité compétente doit apprécier les compétences, l'expérience, les connaissances et les qualifications du demandeur. Par suite, le CNG n'est pas fondé à soutenir qu'il se trouvait en situation de compétence liée et que, par voie de conséquence, tous les moyens soulevés par M. A... seraient inopérants.
13. En second lieu, il résulte de la combinaison des dispositions précitées des articles R. 4111-14 et R. 4111-16 du code de la santé publique que, à la date de la décision contestée, si les dossiers soumis pour avis aux commissions d'autorisation d'exercice devaient être adressés au CNG, lequel assure le secrétariat de ces commissions, il appartenait au seul ministre de la santé de rejeter une demande d'autorisation d'exercice. Ainsi, le CNG n'était pas compétent pour rejeter, par la décision contestée, la demande d'autorisation d'exercice présentée par M. A....
14. Il résulte de tout ce qui précède que le CNG n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision du 7 juin 2019.
Sur l'astreinte :
15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce et en l'absence de mauvais vouloir manifeste du CNG, d'assortir l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'instruire la demande de M. A... sur le fondement de la procédure dite " Hocsman " et des articles 49 et 53 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Il y a lieu de mettre à la charge du CNG le versement de la somme de 2 000 euros à M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière est rejetée.
Article 2 : Le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière versera à M. A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière et à M. B... A....
Copie en sera adressée pour information au ministre de la santé et de la prévention.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : A. DenizotLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
2
N° 21NC01118