Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C... et Mme D... B... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge de l'ensemble des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux mises à leur charge à hauteur de la somme de 380 481 euros au titre de l'année 2014 et de 85 238 euros au titre de l'année 2015 ou, subsidiairement, de leur accorder une décharge partielle correspondant aux revenus de capitaux mobiliers réintégrés dans l'assiette de l'impôt sur le revenu pour un montant de 131 348 euros au titre de l'année 2014 et de 6 000 euros au titre de l'année 2015.
Par une ordonnance n° 2106373 du 1er décembre 2022, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 31 janvier 2023, M. et Mme B..., représentés par Me Nekaa, demandent à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Lyon du 1er décembre 2022 ;
2°) de les décharger des impositions susmentionnées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur demande devant le tribunal était recevable ; le délai de reprise de l'administration ayant été prorogé jusqu'au 14 juin 2021, en application de l'ordonnance du 25 mars 2020 et, ainsi que le rappelle la documentation administrative référencée BOI-DJC-COVID19-20-20, le délai spécial de réclamation n'était pas expiré ;
- la proposition de rectification et la réponse aux observations du contribuable ont été signées par une autorité incompétente ;
- la proposition de rectification n'est pas motivée ;
- ils ont été irrégulièrement privés de saisir la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ainsi que le comité de l'abus de droit ;
- ils n'ont jamais reçu un total de 131 348 euros de revenus de capitaux mobilier au titre de l'année 2014 et ils n'ont jamais reçu un total de 6 000 euros de revenus de capitaux mobilier au titre de l'année 2015.
Par un mémoire enregistré le 2 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure ;
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique,
- les observations de Me Nekaa, représentant M. et Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B... ont fait l'objet de rectifications en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2014 et 2015, consécutives à la vérification de comptabilité de la société SAEC France, dont M. B... était le président et l'unique associé et mises en recouvrement le 30 septembre 2018. M. et Mme B... relèvent appel de l'ordonnance du 1er décembre 2022 par laquelle le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande comme tardive.
2. D'une part, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".
3. Les dispositions précitées de l'article R. 421-5 du code de justice administrative doivent être lues comme exigeant que la décision administrative ou sa notification comporte la mention des voies et délais de recours prévus par les textes et non pas seulement la mention des textes prévoyant les voies et délais de recours.
4. D'autre part, Selon l'article R. 190-1 du livre des procédures fiscales, le contribuable qui désire contester tout ou partie d'une imposition doit d'abord adresser une réclamation au service territorial de l'administration fiscale dont dépend le lieu d'imposition. Aux termes de l'article R. 196-1 du même livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement (...) ". Aux termes de l'article de l'article R. 196-3 du même livre : " Dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de redressement de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations ".
5. Il résulte de ces dispositions, combinées avec celles de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, que l'avis d'imposition ou l'avis de mise en recouvrement par lequel l'administration porte les impositions à la connaissance du contribuable doit mentionner l'existence et le caractère obligatoire, à peine d'irrecevabilité d'un éventuel recours juridictionnel, de la réclamation prévue à l'article R. 190-1 du livre des procédures fiscales, ainsi que les délais de forclusion dans lesquels le contribuable doit présenter cette réclamation et que la méconnaissance de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours ou l'absence de preuve qu'une telle information a été fournie est de nature à faire obstacle à ce que les délais prévus par les articles R. 196-1 et R. 196-3 du livre des procédures fiscales lui soient opposables. Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci en a eu connaissance. Dans le cas où le recours juridictionnel doit obligatoirement être précédé d'un recours administratif, celui-ci doit être exercé, comme doit l'être le recours juridictionnel, dans un délai raisonnable. Le recours administratif préalable doit être présenté dans le délai prévu par les articles R. 196-1 ou R. 196-3 du livre des procédures fiscales, prolongé, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le contribuable, d'un an. Dans cette hypothèse, le délai de réclamation court à compter de l'année au cours de laquelle il est établi que le contribuable a eu connaissance de l'existence de l'imposition.
6. Il résulte de l'instruction que les avis d'imposition afférents aux impositions supplémentaires sur les revenus et aux prélèvements sociaux des années 2014 et 2015 comportent en bas de leurs dernières pages la mention suivante : " Si vous souhaitez contester le montant de votre impôt, vous pouvez effectuer une réclamation sur votre messagerie sécurisée sur impots.gouv.fr ou par courrier adressé à votre centre des finances publiques (dans les conditions prévues aux articles R*190-1, R*196-1 et du livre des procédures fiscales). Si l'impôt fait suite à une procédure de reprise ou de rectification vous pouvez le contester dans le délai, s'il est plus favorable, dont dispose l'administration pour adresser sa proposition de rectification (article R*196-3 du livre des procédures fiscales) Ce délai expire, sauf exception, le 31 décembre de la 3ème année suivant celle au cours de laquelle est intervenue la proposition de rectification. ".
7. De telles mentions, qui se bornent pour l'essentiel à un renvoi aux dispositions du livre des procédures fiscales, ne sauraient être regardées comme ayant permis aux contribuables d'avoir été dûment informés du caractère obligatoire de la réclamation prévue à l'article R. 190-1 ainsi que des délais impartis pour la présenter en application des articles R. 196-1 et R. 196-3 du livre des procédures fiscales. Ainsi, si la circonstance que le contribuable n'a pas été informé du caractère obligatoire de cette réclamation préalable est sans incidence sur l'opposabilité des délais dans lesquels elle devait être formée dès lors que la saisine du tribunal administratif a été précédée d'une réclamation, le défaut de mention du délai de droit commun prévu par les dispositions de l'article R. 196-1 du livre des procédures fait obstacle à l'opposabilité des délais dans lesquels elle devait être formée. Dès lors, les requérants ne pouvaient se voir opposer la tardiveté de leur réclamation du 9 juin 2021 introduite dans le délai raisonnable mentionné au point 5.
8. Au surplus, d'une part, il résulte des dispositions précitées qu'un contribuable qui a fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification dispose, pour présenter ses propres réclamations, d'un délai égal à celui fixé à l'administration pour établir l'impôt, lequel expire, s'agissant de l'impôt sur le revenu, le 31 décembre de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la proposition de rectification lui a été régulièrement notifiée. La notification postérieure de la mise en recouvrement des impositions en cause n'a pas d'incidence sur ce délai.
9. D'autre part, aux termes de l'article 10 de l'ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 : " I.- Sont suspendus à compter du 12 mars 2020 et jusqu'au 23 août 2020 inclus et ne courent qu'à compter de cette dernière date, s'agissant de ceux qui auraient commencé à courir pendant la période précitée, les délais : / 1° Accordés à l'administration pour réparer les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette de l'impôt, les insuffisances, les inexactitudes ou les erreurs d'imposition et appliquer les intérêts de retard et les sanctions en application des articles L. 168 à L. 189 du livre des procédures fiscales ou de l'article 354 du code des douanes lorsque la prescription est acquise au 31 décembre 2020 ; (...). ".
10. Ces dispositions qui prévoient la suspension du délai de prescription doivent être regardées comme autorisant symétriquement la suspension du délai de forclusion des actions visant à la contestation des impositions ayant bénéficié de la suspension du délai de reprise.
11. Il résulte de l'instruction que les impositions supplémentaires en litige ont fait l'objet d'une proposition de rectification datée du 20 décembre 2017 et réceptionnée, le 21 décembre 2017. En application des dispositions des deux premiers alinéas du I de l'article 10 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, l'administration a bénéficié, du fait de la suspension intervenue du 12 mars au 23 août 2010, d'une prorogation du délai de reprise qui expirait le 31 décembre 2020, jusqu'au 14 juin 2021. Symétriquement, le délai spécial prévu à l'article R. 196-3 du même livre dont bénéficiaient les requérants pour contester les rectifications en litige expirait également à la date du 14 juin 2021. Ainsi, et sans que l'administration puisse utilement faire valoir que les impositions en litige ont fait l'objet d'avis d'imposition établis le 24 septembre 2018 et ont été mises en recouvrement, le 30 septembre 2018, la réclamation introduite par M. et Mme B..., le 9 juin 2021 n'était pas tardive. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande comme manifestement irrecevable en faisant application du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.
12. Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance attaquée doit être annulée.
13. Il y a lieu pour le juge d'appel de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Lyon pour qu'il y soit statué à nouveau.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme B... d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par eux dans la présente instance.
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2106373 du 1er décembre 2022 du président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Lyon est annulée.
Article 2 : Le jugement de l'affaire est renvoyé au tribunal administratif de Lyon.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme B... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C..., à Mme D... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2023.
La rapporteure,
P. Dèche
Le président,
F. Bourrachot,
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 23LY00365
kc