Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Bastia, par une requête, enregistrée sous le n° 1901643, d'annuler la décision du 25 juin 2019 par laquelle le maire de Prunelli-di-Fiumorbo a refusé sa demande de congé pour invalidité temporaire imputable au service et la décision rejetant implicitement son recours gracieux. Mme A... a également demandé au tribunal administratif de Bastia, par une requête enregistrée sous le n° 2001189, d'annuler l'arrêté du 1er septembre 2020 par lequel le maire de Prunelli-di-Fiumorbo a refusé de reconnaître l'imputabilité de son congé maladie à un accident de service et d'enjoindre au maire de la rétablir dans ses droits.
Par un jugement n° 1901643, 2001189 du 11 mai 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté ses requêtes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 11 juillet 2022, Mme A..., représentée par Me Muscatelli, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1901643, 2001189 du 11 mai 2022 du tribunal administratif de Bastia ;
2°) à titre principal, d'annuler l'arrêté du 1er septembre 2020 du maire de Prunelli-di-Fiumorbo et, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale ;
3°) d'annuler la décision du 25 juin 2019 du maire de Prunelli-di-Fiumorbo ainsi que le rejet implicite de son recours gracieux ;
4°) d'enjoindre à la commune de lui octroyer un congé pour invalidité temporaire imputable au service et de la rétablir dans ses droits dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la légalité de la décision du 25 juin 2019 :
- elle est entachée d'incompétence négative, le maire n'ayant fait que reprendre l'avis de la commission de réforme de 2018 ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que si la commission de réforme a rendu un avis en avril 2018, elle ne s'est pas prononcée sur l'accident de service et devait être saisie une nouvelle fois ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur de droit ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 1er septembre 2020 :
- les délais de traitement de son dossier ont été anormalement longs ;
- il est entaché d'une incompétence négative, le maire ayant uniquement repris les termes de la commission ;
- il est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'un vice de procédure, en raison du caractère incomplet du dossier médical qui lui a été communiqué et qui, en tout état de cause, était différent de celui transmis à la commission de réforme ;
- il est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.
Le 16 mars 2023, la commune de Prunelli-di-Fiumorbo a été mise en demeure de produire des observations en défense dans un délai d'un mois, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.
Un mémoire présenté pour Mme A... par Me Michel a été enregistré le 7 novembre 2023, et n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 ;
- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;
- le décret n° 2019-301 du 10 avril 2019 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chenal-Peter,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., attachée territoriale, exerçait depuis le 1er juillet 2016 les fonctions de secrétaire générale de mairie au sein de la commune de Prunelli-di-Fiumorbo. A la suite d'une altercation avec le maire ayant eu lieu le 11 mai 2017, elle a été placée en congé de maladie puis a demandé la reconnaissance de l'imputabilité au service de cet incident du 11 mai 2017 qui a été refusée une première fois par un arrêté du maire de cette commune en date du 11 septembre 2018. Cet arrêté a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Bastia n° 1801272, 1801274 du 7 juillet 2020, qui a également enjoint au maire de Prunelli-di-Fiumorbo de réexaminer la demande de Mme A.... Par un second arrêté, en date du 1er septembre 2020, le maire a rejeté une nouvelle fois sa demande. Par un courrier du 19 avril 2019, l'intéressée avait également sollicité l'octroi d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service, qui lui a été refusé par une décision du 25 juin 2019 du maire de Prunelli-di-Fiumorbo à l'encontre de laquelle la requérante a formé un recours gracieux le 9 août 2019 qui a été implicitement rejeté. Mme A... relève appel du jugement n° 1901643, 2001189 du 11 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces trois dernières décisions.
2. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction applicable avant sa modification par le II de l'article 10 de l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite (...) Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ".
3. Selon l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, créé par le I de l'article 10 de l'ordonnance précitée du 19 janvier 2017, en vigueur depuis le 21 janvier 2017 : " I.- Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. (...) / Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. (...) II.- Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service. / (...) VI. -Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités du congé pour invalidité temporaire imputable au service mentionné au premier alinéa et détermine ses effets sur la situation administrative des fonctionnaires (...) ".
4. L'application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 étant manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant notamment les conditions de procédure applicables à l'octroi du nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service, ces dispositions ne sont donc applicables, s'agissant de la fonction publique territoriale, que depuis l'entrée en vigueur, le 13 avril 2019, du décret du 10 avril 2019, décret dont l'intervention était, au demeurant, prévue, par le VI de cet article 21 bis. Il en résulte que les dispositions de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017, sont demeurées applicables jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 10 avril 2019, soit le 13 avril 2019.
5. Dès lors que les droits des agents en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie a été diagnostiquée, la situation de Mme A..., dont l'état dépressif a été diagnostiqué le 1er mai 2017, soit avant le 13 avril 2019 et dont la demande de reconnaissance d'imputabilité au service a été présentée le 3 août 2017, était exclusivement régie par les conditions de forme et de fond prévues avant l'entrée en vigueur des dispositions législatives et réglementaires relatives au nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service.
6. Il résulte des dispositions précitées de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 qu'un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d'un accident de service. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d'évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent. Par ailleurs, l'existence d'un état antérieur, fût-il évolutif, ne permet d'écarter l'imputabilité au service de l'état d'un agent que lorsqu'il apparaît que cet état a déterminé, à lui seul, l'incapacité professionnelle de l'intéressé.
7. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêt du 19 janvier 2022, la chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Bastia a déclaré le maire de Prunelli-di-Fiumorbo coupable des faits de harcèlement moral à l'encontre de Mme A..., pour une période allant du 1er septembre 2016 au 3 juillet 2017 et condamné le maire à une peine de détention à domicile sous surveillance électronique pendant trois mois à titre de peine principale. La cour de cassation, dans un arrêt du 15 novembre 2022, a confirmé la culpabilité du maire. Il ressort de la constatation matérielle des faits mentionnés dans l'arrêt de la cour d'appel, que dès le mois d'octobre 2016, Mme A... n'a plus disposé de l'accès au bureau du maire, ni à ceux de la comptabilité et des ressources humaines, que des missions lui ont été retirées, ainsi que, progressivement, ses outils de travail. En outre, le 11 mai 2017, un mouvement d'arrêt de travail généralisé de l'ensemble des agents de la commune avait été organisé, avec l'accord du maire, et de l'avocat de la commune, dans le but de démontrer à Mme A... qu'il existait un grand nombre de difficultés, dans l'ensemble des services, depuis qu'elle occupait les fonctions de directrice générale des services, qui seraient liées à un manque de disponibilité de sa part. Il n'est pas contesté que Mme A... a été reçue ce même jour dans le bureau du maire, qui lui a indiqué que les agents ne voulaient plus travailler avec elle. Des pièces médicales attestent que ce jour-là, l'intéressée a présenté un état anxio-dépressif, avec tremblement et tachycardie, et qu'elle souffre désormais d'un syndrome dépressif récurrent avec de fortes charges anxieuses et une importante souffrance psychique, en lien avec le harcèlement professionnel dont elle a fait l'objet. Par ailleurs, l'ensemble de ces faits sont corroborés par les certificats médicaux concordants de deux médecins psychiatres, en date des 27 avril 2018 et 17 avril 2019, qui affirment que l'intéressée a subi un choc psychologique, une humeur dépressive avec des idées suicidaires à la suite de deux évènements marquants, qui se sont déroulés le 11 mai et 3 juillet 2017. Dans ces conditions, il ressort de l'ensemble de ces considérations que le 11 mai 2017, le maire de Prunelli-di-Fiumorbo a eu un comportement excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Par suite, cet entretien doit être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, au sens des dispositions précitées de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, alors même que l'intéressée aurait souffert d'un état anxio-dépressif préexistant. Par conséquent, en refusant de reconnaître l'imputabilité au service de cet accident, le maire de la commune de Prunelli-di-Fiumorbo a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du maire de Prunelli-di-Fiumorbo du 1er septembre 2020 refusant de reconnaître l'imputabilité de son congé maladie à un accident de service, ainsi que de la décision du 25 juin 2019 du maire de Prunelli-di-Fiumorbo et du rejet implicite de son recours gracieux.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ".
10. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au maire de Prunelli-di-Fiumorbo de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service de l'accident du 11 mai 2017 dont Mme A... a été victime, et de reconstituer ses droits en tenant compte de la nouvelle situation juridique dans un délai qu'il convient de fixer à deux mois à compter de la notification de cet arrêt.
Sur les frais liés au litige :
11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
12. Dans les circonstances de l'espèce, et sur le fondement de ces dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Prunelli-di-Fiumorbo la somme de 2 000 euros à verser à Mme A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1901643, 2001189 du 11 mai 2022 du tribunal administratif de Bastia est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 1er septembre 2020 du maire de Prunelli-di-Fiumorbo refusant de reconnaître l'imputabilité du congé maladie de Mme A... à un accident de service, la décision du 25 juin 2019 du maire de Prunelli-di-Fiumorbo et la décision rejetant implicitement son recours gracieux sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au maire de Prunelli-di-Fiumorbo de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service de l'accident de service dont a été victime Mme A... le 11 mai 2017, et de reconstituer ses droits en tenant compte de la nouvelle situation juridique, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : La commune de Prunelli-di-Fiumorbo versera à Mme A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Prunelli-di-Fiumorbo.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2023, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2023.
N° 22MA01959 2
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