Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 5 août 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai en fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour la durée de deux ans.
Par un jugement n° 2209006 du 28 novembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et mémoire, enregistrés le 3 avril 2023 et 17 novembre 2023, M. A..., représenté par Me Rudloff, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 28 novembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 août 2022 du préfet des Bouches-du-Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour conformément aux dispositions de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros HT en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- sa requête était recevable en première instance ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle a été prise en violation du droit d'être entendu en méconnaissance des principes généraux du droit de l'Union européenne relatifs aux droits de la défense et de bonne administration ;
- elle méconnait l'article L. 611-3 5e du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la circonstance qu'il justifie pouvoir bénéficier de plein droit d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sur celui de l'article L. 423-23 du même code fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une obligation de quitter le territoire ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation en l'absence de menace à l'ordre public et de risque de fuite ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français pour la durée de deux ans :
- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle présente un caractère disproportionné.
Des pièces, produites pour M. A..., enregistrées le 17 novembre 2023, n'ont pas été communiquées.
La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 3 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rigaud ;
- et les observations de Me Rudloff, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A..., ressortissant guinéen né le 28 octobre 2003, relève appel du jugement du 28 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 août 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Sur l'inopposabilité du délai de recours en première instance :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 614-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " En cas de détention de l'étranger, celui-ci est informé dans une langue qu'il comprend, dès la notification de la décision portant obligation de quitter le territoire français, qu'il peut, avant même l'introduction de sa requête, demander au président du tribunal administratif l'assistance d'un interprète ainsi que d'un conseil. ". Aux termes de l'article L. 614-5 du même code : " Les dispositions des articles L. 614-4 à L. 614-6 sont applicables à l'étranger détenu. (...) " et de l'article L. 614-6 du même code : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure. / Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans les délais prévus, selon le fondement de la décision portant obligation de quitter le territoire français, aux articles L. 614-4 ou L. 614-5. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Aux termes de l'article R. 776-1 du même code : " Sont présentées, instruites et jugées selon les dispositions du chapitre IV du titre I du livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 732-8 du même code, ainsi que celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les requêtes dirigées contre : / 1° Les décisions portant obligation de quitter le territoire français, prévues aux articles L. 241-1 et L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, (...) ; / 2° Les décisions relatives au délai de départ volontaire prévues aux articles L. 251-3 et L. 612-1 du même code ; /3° Les interdictions de retour sur le territoire français prévues aux articles L. 612-6 à L. 612-8 du même code et les interdictions de circulation sur le territoire français prévues à l'article L. 241-4 dudit code ; (...) ".
4. Enfin, d'une part, aux termes de l'article R. 776-19 du code de justice administrative : " Si, au moment de la notification d'une décision mentionnée à l'article R. 776-1, l'étranger est retenu par l'autorité administrative, sa requête peut valablement être déposée, dans le délai de recours contentieux, auprès de ladite autorité administrative ". D'autre part, il résulte des dispositions combinées des articles R. 776-29 et R. 776-31 du même code que les étrangers ayant reçu notification d'une décision mentionnée à l'article R. 776-1 du code alors qu'ils sont en détention ont la faculté de déposer leur requête, dans le délai de recours contentieux, auprès du chef de l'établissement pénitentiaire.
5. Pour rendre opposable le délai de recours contentieux, l'administration est tenue, en application de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, de faire figurer dans la notification de ses décisions la mention des délais et voies de recours contentieux ainsi que les délais des recours administratifs préalables obligatoires. Elle n'est en principe pas tenue d'ajouter d'autres indications, notamment les délais de distance, la possibilité de former des recours gracieux et hiérarchiques facultatifs ou la possibilité de former une demande d'aide juridictionnelle. Si des indications supplémentaires sont toutefois ajoutées, ces dernières ne doivent pas faire naître d'ambiguïtés de nature à induire en erreur les destinataires des décisions dans des conditions telles qu'ils pourraient se trouver privés du droit à un recours effectif.
6. En cas de rétention ou de détention, lorsque l'étranger entend contester une décision prise sur le fondement du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour laquelle celui-ci a prévu un délai de recours bref, notamment lorsqu'il entend contester une décision portant obligation de quitter le territoire sans délai, la circonstance que sa requête ait été adressée, dans le délai de recours, à l'administration chargée de la rétention ou au chef d'établissement pénitentiaire, fait obstacle à ce qu'elle soit regardée comme tardive, alors même qu'elle ne parviendrait au greffe du tribunal administratif qu'après l'expiration de ce délai de recours. Depuis l'entrée en vigueur des dispositions mentionnées au point 4, il incombe à l'administration, pour les décisions présentant les caractéristiques mentionnées ci-dessus, de faire figurer, dans leur notification à un étranger retenu ou détenu, la possibilité de déposer sa requête dans le délai de recours contentieux auprès de l'administration chargée de la rétention ou du chef de l'établissement pénitentiaire.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a reçu notification de l'arrêté attaqué par voie administrative le 18 août 2022 et que ses demandes n'ont été enregistrées au tribunal administratif Marseille que le 27 octobre 2022, au-delà du délai de recours de quarante-huit heures prévu à l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, il en ressort également que le requérant se trouvait, à la date du 18 août 2022, détenu au centre pénitentiaire de Luynes et que la notification de cet arrêté ne faisait pas mention de la possibilité de déposer sa demande auprès du chef de cet établissement pénitentiaire. Le délai de recours de quarante-huit heures ne lui était donc pas opposable et sa requête présentée au tribunal administratif de Marseille n'était pas tardive, contrairement à ce que le préfet des Bouches-du-Rhône a fait valoir devant le premier juge.
Sur le bien-fondé du jugement :
8. Aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est en couple avec Mme B..., ressortissante française, depuis 2019 et qu'ils résident ensemble à la même adresse depuis le 9 février 2022. De leur union est né un premier enfant de nationalité française le 5 février 2021. S'il ressort de la fiche pénale de l'intéressé, produite par le préfet des Bouches-du-Rhône devant les premiers juges, que, par jugement du 25 juillet 2022, le tribunal correctionnel de Marseille a condamné M. A... à une peine d'un an d'emprisonnement dont 8 mois avec sursis probatoire pendant deux ans pour des faits de violence sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint, concubine ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, violence sur mineur de quinze ans sans incapacité, menace, violence ou acte d'intimidation envers un chargé de mission de service public pour qu'il accomplisse ou s'abstienne d'acte de sa mission, il ressort des pièces du dossier que le requérant participe quotidiennement à l'éducation de son fils depuis la naissance de ce dernier et que sa compagne souffre de troubles psychiatriques avérés qui l'ont déjà contrainte à plusieurs hospitalisations durant lesquelles seul M. A... peut assurer la garde de leur enfant. Dans les circonstances très particulières de l'espèce, la décision contestée faisant obligation à M. A... de quitter le territoire français sans délai porte atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant et doit être regardée comme contraire à l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. La décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement, celle portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et celle portant interdiction de retour sur le territoire français pour la durée de deux ans sont, par voie de conséquence de cette illégalité, dépourvues de bases légale.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 5 août 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". Le présent arrêt annulant l'obligation faite à M. A... de quitter le territoire et des décisions accessoires implique nécessairement, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le préfet des Bouches-du-Rhône réexamine la situation administrative de l'intéressé et lui délivre sans délai une autorisation provisoire de séjour pendant la durée de ce réexamen. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision et lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours sans qu'il y ait lieu d'assortir ces injonctions d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Rudloff dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2209006 du 28 novembre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 5 août 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt et, dans cette attente, de lui délivrer, sans délai, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours suivant la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Me Rudloff, avocate du requérant, la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me Rudloff et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Cécile Fedi, présidente de chambre,
- Mme Lison Rigaud, présidente-assesseure,
- M. Jérôme Mahmouti, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 décembre 2023.
N° 23MA00808 2