La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/12/2023 | FRANCE | N°21LY03275

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 13 décembre 2023, 21LY03275


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir la décision du préfet de la Haute-Savoie en date du 17 avril 2019 portant retrait de sa licence individuelle de pêche professionnelle sur le lac Léman, ainsi que la décision implicite du 14 août 2018 de rejet de son recours gracieux.



Par un jugement n° 1906750 du 10 août 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.



Procédure devant

la cour



Par une requête, enregistrée le 8 octobre 2021, M. C..., représenté par Me Conrad, demande à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir la décision du préfet de la Haute-Savoie en date du 17 avril 2019 portant retrait de sa licence individuelle de pêche professionnelle sur le lac Léman, ainsi que la décision implicite du 14 août 2018 de rejet de son recours gracieux.

Par un jugement n° 1906750 du 10 août 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 8 octobre 2021, M. C..., représenté par Me Conrad, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 10 août 2021 ;

2°) d'annuler la décision du préfet de la Haute-Savoie en date du 17 avril 2019 portant retrait de sa licence individuelle de pêche professionnelle sur le lac Léman, ainsi que la décision implicite du 14 août 2018 de rejet de son recours gracieux ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a confirmé le maintien de sa requête dans le délai d'un mois à compter de la notification de rejet de sa demande en référé de suspension de la décision attaquée ; le courrier de notification de l'ordonnance de référé ne mentionne pas qu'à défaut de confirmation du maintien de la requête en annulation dans un délai d'un mois, il serait réputé s'être désisté ;

- la décision du 17 avril 2019 est entachée d'un vice de procédure en ce que l'avis du directeur départemental des finances publiques du 12 mars 2019 n'a pas été joint à la notification de la décision de retrait de sa licence ;

- la décision du 17 avril 2019 est entachée d'illégalité par suite de l'illégalité des courriers des 27 février 2018 et 21 février 2019, qui sont entachés d'un vice d'incompétence ;

- la décision du 17 avril 2019, basée sur des faits qui ont fait l'objet d'une relaxe, n'est pas légalement justifiée ; elle est disproportionnée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés sont infondés.

Par ordonnance du 31 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 2 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;

- et les observations de Me Conrad pour M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., pêcheur professionnel, relève appel du jugement du 10 août 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Haute-Savoie en date du 17 avril 2019 portant retrait de sa licence individuelle de pêche professionnelle sur le lac Léman ainsi que de la décision implicite du 14 août 2018 de rejet de son recours gracieux.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 435-13 du code de l'environnement, " I. La résiliation du bail ou le retrait de la licence peut être prononcé par le préfet, après avis du directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques ou, à Saint-Pierre-et-Miquelon, du directeur des finances publiques : 1° Si le détendeur du droit de pêche ou les autres personnes habilitées à pêcher ne remplissent plus les conditions requises ou ne se conforment pas à leurs obligations, techniques ou financières, malgré une mise en demeure adressée au détenteur du droit de pêche ".

3. La décision en litige indique qu'elle procède au " retrait de sa licence individuelle de pêche jusqu'à la fin du bail en cours dont l'échéance est fixée au 31 décembre 2021 ". Elle doit être regardée comme une mesure de résiliation, prise pour une durée de 20 mois, en application des dispositions précitées.

4. En premier lieu, il ne résulte ni des dispositions précitées ni d'aucune autre disposition légale ou réglementaire que l'avis du directeur départemental des finances publiques du 12 mars 2019 devrait obligatoirement être joint à la notification de la décision en litige. Ce moyen, inopérant, doit être écarté.

5. En deuxième lieu, M. C... soutient que la décision du 17 avril 2019 est illégale en raison de l'incompétence du signataire des courriers des 27 février 2018 et 21 février 2019, respectivement, le mettant en demeure de respecter le règlement d'application franco-suisse sur la pêche au lac Léman, et l'informant dans le cadre de la procédure contradictoire, du retrait envisagé de sa licence individuelle de pêche professionnelle, après avis du directeur départemental des finances publiques et l'invitant à présenter ses éventuelles observations sous quinze jours. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A... D..., directeur départemental des territoires de Haute-Savoie, a reçu délégation à l'effet de signer les décisions et les documents relevant de ses attributions dans le domaine de la pêche, et notamment pour attribuer les licences de pêche sur les eaux du domaine public. Par voie de conséquence, il a également compétence pour signer la résiliation de ces licences, ainsi que les correspondances préalablement à une telle décision.

6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que, par le courrier de mise en demeure du 27 février 2018, adressé au requérant suite à un rapport de dénonciation dressé à son encontre par les gardes-pêches suisses, M. C... a été averti que tout nouveau constat d'infraction à la réglementation de la pêche sur le Lac Léman à son encontre entraînera la suspension temporaire de sa licence. Malgré cette mise en demeure de respecter le règlement d'application franco-suisse sur la pêche dans le lac Léman, de nouveaux manquements à la règlementation ont été reprochés à M. C..., ayant donné lieu à un procès-verbal dressé le 7 février 2009. M. C... conteste la matérialité de l'ensemble des faits qui lui sont ainsi reprochés et qui fondent la sanction en litige.

7. Si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge disciplinaire, la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, au juge disciplinaire de rechercher si cette relaxe était ou non fondée sur des constatations de fait qui s'imposent à lui et d'apprécier si les faits, qui peuvent, d'ailleurs, être différents de ceux qu'avait connus le juge pénal, sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction.

8. En l'espèce, les jugements des 17 juin 2019 et 14 décembre 2020 du tribunal de police de Thonon-les-Bains déclarant M. C... non coupable des faits qui lui sont reprochés, à savoir, respectivement, des infractions du 7 août 2017 d'une part, d'utilisation irrégulière d'engin ou de procédé de pêche, et du 20 juin 2018, d'autre part, de pêche dans le lac Léman avec un nombre d'engins de supérieur au maximum autorisé et sans signalement régulier des engins de pêche posés ou tendus, énoncent " qu'il ne résulte pas des débats à l'audience et des pièces versées à la procédure que les faits soient imputables à Monsieur B... C... ou qu'ils constituent une infraction à la loi pénale ou qu'ils soient établis conformément à l'article 541 du code de procédure pénale ", sans relever aucune circonstance propre aux affaires et sans préciser les motifs de ces décisions. Ces jugements ne comportent, dès lors, aucune constatation de fait qui s'imposerait à la cour.

9. Il ressort des pièces du dossier que le requérant a été condamné à une amende contraventionnelle par ordonnance pénale du 12 avril 2017, qu'il n'a pas contestée, pour des faits commis le 6 avril 2016, de non-conformité à la signalisation mais également pour pêche avec un nombre d'engins supérieur au maximum autorisé.

10. S'agissant des faits du 7 août 2017, qui ont fait l'objet d'une dénonciation par les gardes-pêches suisses, le rapport dressé par les gardes-pêche de la direction générale de l'environnement du Canton du Valais mentionne que la brigade suisse a été avisée la veille qu'un bateau français était venu tendre des filets flottants (grands pics) sur le territoire suisse, a organisé une surveillance le lendemain, en fin de journée. Il résulte de ce document que les gardes-pêche suisses ont pu observer, à distance, depuis un point d'observation à terre, une personne en train de tendre les filets, avant de tenter d'interpeller puis d'intercepter, deux minutes plus tard, l'embarcation de M. C.... L'intéressé, qui a indiqué devant les autorités suisses, comme l'ont relevé les premiers juges, " je reconnais les faits et je suis prêt à signer s'il le faut. Par contre, je ne suis pas le seul et il faudrait aussi surveiller entre Cully et Pully ", avait dépassé la zone commune des 15 % de la frontière franco-suisse. Si M. C..., conteste avoir tendu des filets de son père, déclarant avoir seulement changé les batteries sur les filets posés la veille par son père, ses déclarations contradictoires, ainsi que le confirme le courriel de la garderie suisse du 23 octobre 2019, ne suffisent pas à contredire sérieusement la matérialité des faits qui lui sont reprochés et constatés par des agents assermentés.

11. Le requérant a encore commis des manquements à la règlementation, ainsi que l'a établi un nouveau contrôle réalisé le 20 juin 2018. En effet, dans la nuit du 19 au 20 juin, trois coubles au nom de trois pêcheurs différents ont été observées, et M. C... a été contrôlé dans la matinée avec les filets de son père à bord de son bateau. Si le requérant indique que son père aurait lui-même effectué la levée de ses filets et débarqué les produits de sa pêche, pour les vendre sur le marché, il ressort du procès-verbal de constatation que les équipes surveillant le lieu de pose n'ont pas observé, depuis leur arrivée à 3 h 50 du matin, d'autre pêcheur que M. C..., qui a commencé à relever les coubles à 7 heure. La matérialité des faits, même en l'absence de flagrance, est par suite suffisamment établie par les éléments versés au dossier.

12. Le tribunal de police de Thonon-les-Bains a enfin déclaré M. C... coupable des faits de navigation sur les eaux intérieures avec un bateau de plaisance soumis à enregistrement sans marque d'identification conforme apposée sur la coque, même s'il a été dispensé de peine.

13. En quatrième lieu, le juge administratif, conformément au principe constitutionnel de proportionnalité et à l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, exerce un contrôle normal sur la sanction infligée à un professionnel, en vérifiant qu'elle n'est pas disproportionnée à la gravité des faits reprochés à ce dernier.

14. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'occasion de neuf contrôles effectués entre 2011 et 2019, une quinzaine d'infractions à la règlementation de la pêche dans le lac Léman a été relevée, que ces infractions aient été constatées par procès-verbaux ou à la suite d'un rapport de dénonciation dressé à son encontre par les gardes-pêches suisses. Les différents manquements répétés au règlement d'application franco-suisse sur la pêche au lac Léman sont de nature à justifier la résiliation du contrat de bail de pêche litigieuse.

15. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

16. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2023.

La rapporteure,

Bénédicte LordonnéLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY03275


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY03275
Date de la décision : 13/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-047-03 Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : CONRAD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-13;21ly03275 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award