Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner l'État à lui verser une somme de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des conditions d'accueil et de vie qui lui ont été réservées sur le territoire français en tant que membre de la famille d'un ancien supplétif de l'armée française en Algérie.
Par un jugement n° 2000817 du 10 décembre 2021, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 février 2022 sous le n° 22MA00482 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 22TL00482 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, M. C..., représenté par Me Rey, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 50 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la créance à l'égard de l'Etat n'est pas prescrite dès lors que son fait générateur est la décision du Conseil d'Etat du 3 octobre 2018 n° 410611 qui reconnaît et indemnise les préjudices subis par les anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et leurs familles du fait de leurs conditions de vie indignes dans des camps ;
- la responsabilité pour faute de l'Etat doit être engagée du fait du placement dans des camps, dans des conditions indignes d'accueil et de vie, marquées par des discriminations et des souffrances, comme celle du décès de son frère Saïd le 9 mars 1963, à l'âge de trois mois et inhumé dans un terrain agricole ;
- ces fautes sont à l'origine de préjudices matériels et moraux subis depuis sa naissance jusqu'à la sortie du camp le 22 janvier 1976.
Par un mémoire enregistré le 4 janvier 2023, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés dès lors que le régime d'indemnisation issu de la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 est seul applicable et que la créance est prescrite pour les motifs déjà invoqués dans le mémoire de première instance qui est produit en pièce jointe devant la cour ;
- en tout état de cause, la somme demandée est manifestement excessive.
Par ordonnance du 30 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 19 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barthez,
- et les conclusions de M. Clen, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., né le 19 mars 1974 à Nîmes (Gard), est le fils de M. B... C..., qui est arrivé en France avec sa famille le 16 novembre 1962, en qualité d'ancien supplétif de l'armée française. Après avoir été installée au camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), la famille C... a été transférée, à compter du 1er avril 1969, au camp de transit de Saint-Maurice-l'Ardoise (Gard) au sein duquel l'intéressé a résidé jusqu'au 22 janvier 1976. M. C... fait appel du jugement du 10 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nîmes, estimant que la créance dont il se prévaut était prescrite à la date de la réclamation préalable présentée pour la première fois le 22 novembre 2019, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'État à lui verser une somme de 50 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du traitement qui lui a été réservé sur le territoire français en tant que membre de la famille d'un ancien supplétif de l'armée française en Algérie.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". L'article 3 de la même loi dispose que : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. Le point de départ de la prescription quadriennale est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine de ce dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable du fait de l'administration.
3. La réalité et l'étendue des préjudices résultant des conditions d'accueil et de vie de M. B... C... et de sa famille jusqu'à la date de fermeture du camp de transit de Saint-Maurice-l'Ardoise et de l'installation dans un logement à Nîmes étaient entièrement révélées le 22 janvier 1976. Il ne résulte pas de l'instruction que le représentant légal de M. C... à cette date ou, en tout état de cause, M. C... lors de sa majorité en 1992, n'auraient été en mesure ni d'apprécier ces préjudices, qui étaient connus et pouvaient être exactement mesurés, ni d'estimer que les conditions indignes qui ont été réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles et qui ont causé des préjudices pouvaient être imputables à l'Etat. Ainsi, les droits de créance ont été acquis dès le 22 janvier 1976 ou, en tout état de cause, dès 1992 et non, contrairement à ce que soutient M. C..., à la date du 3 octobre 2018 qui ne correspond pas à une date de révélation du préjudice mais seulement à celle de la décision du Conseil d'Etat statuant sur un pourvoi portant sur la responsabilité de l'Etat du fait de ces conditions indignes. Le ministre des armées est donc fondé à opposer aux conclusions indemnitaires présentées pour la première fois le 22 novembre 2019 par M. C... la prescription quadriennale prévue par les dispositions précédemment citées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, sans préjudice de l'application de la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.
4. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit sur leur fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La requête présentée par M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2023, où siégeaient :
- M. Barthez, président,
- M. Lafon, président assesseur,
- Mme Restino, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 décembre 2023.
Le président-rapporteur,
A. Barthez
L'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
N. Lafon
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°22TL00482 2