Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 7 février 2022 aux termes de laquelle le ministre de l'intérieur l'a exclu temporairement de ses fonctions pour une durée de six mois dont deux mois avec sursis.
Par un jugement n° 2200123 du 22 novembre 2022, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté la demande M. B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 8 décembre 2022, 27 octobre 2023 et 14 novembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. B..., représenté par Me Nougaro, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200123 du 22 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 février 2022 du ministre de l'intérieur prononçant à son encontre une exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée de six mois dont deux mois avec sursis ;
2°) d'annuler l'arrêté du 7 février 2022 du ministre de l'intérieur précité ;
3°) de mettre à la charge du ministre de l'intérieur et des outre-mer la somme de 350 000 francs des collectivités françaises du Pacifique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie en ce qu'il n'a fait que reproduire une pratique habituelle au sein du service de la police nationale qui consistait à valider les procurations sur la base des pièces d'identité des mandants jointes aux procurations et n'a commis aucune fraude électorale ;
- le caractère fautif des faits qui lui sont reprochés n'est pas établi ;
- la sanction est entachée d'une erreur de droit et est disproportionnée ;
- elle méconnaît le principe d'égalité au motif que l'officier de police judiciaire ayant validé les procurations a été pour les mêmes faits simplement sanctionné d'un avertissement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code électoral ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale ;
- le décret n° 97-464 du 9 mai 1997 relatif à la création et à l'organisation des services à compétence nationale ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement ;
- le décret n° 2013-728 du 12 août 2013 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Boizot ;
- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 18 février 2020, le maire de la commune de Rurutu (Archipel des Australes) a saisi le haut-commissaire de la République en Polynésie française d'une demande d'enquête administrative relative aux agissements de M. B..., brigadier-chef de police au sein de la direction territoriale de la police nationale, dans le cadre de l'établissement de plusieurs procurations de vote à des résidents de l'île de Tahiti, électeurs dans la commune de Rurutu. A l'issue de l'enquête administrative, le directeur de la sécurité publique de la Polynésie française a conclu, dans un rapport du 20 juillet 2020, au fait que l'agent en cause devait faire l'objet d'une convocation devant le conseil de discipline. Dans sa séance du 2 décembre suivant, le conseil de discipline s'est prononcé à l'unanimité de ses membres en faveur d'une exclusion temporaire de fonctions de l'agent pour une durée de six mois dont deux mois avec sursis. Par une décision du 7 février 2022, le ministre de l'intérieur a également retenu la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois dont deux mois avec sursis. Par un jugement n° 2200123 du 22 novembre 2022, dont il interjette régulièrement appel, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 février 2022 précitée.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. ". Aux termes de l'article 29 de la même loi, dans sa rédaction alors applicable : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 434-5 du code de la sécurité intérieure : " I. - Le policier ou le gendarme exécute loyalement et fidèlement les instructions et obéit de même aux ordres qu'il reçoit de l'autorité investie du pouvoir hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. / S'il pense être confronté à un tel ordre, il fait part de ses objections à l'autorité qui le lui a donné, ou, à défaut, à la première autorité qu'il a la possibilité de joindre, en mentionnant expressément le caractère d'illégalité manifeste qu'il lui attribue. Si, malgré ses objections, l'ordre est maintenu, il peut en demander la confirmation écrite lorsque les circonstances le permettent. Il a droit à ce qu'il soit pris acte de son opposition. Même si le policier ou le gendarme reçoit la confirmation écrite demandée et s'il exécute l'ordre, l'ordre écrit ne l'exonère pas de sa responsabilité. / L'invocation à tort d'un motif d'illégalité manifeste pour ne pas exécuter un ordre régulièrement donné expose le subordonné à ce que sa responsabilité soit engagée. / Dans l'exécution d'un ordre, la responsabilité du subordonné n'exonère pas l'auteur de l'ordre de sa propre responsabilité. / II. - Le policier ou le gendarme rend compte à l'autorité investie du pouvoir hiérarchique de l'exécution des ordres reçus ou, le cas échéant, des raisons de leur inexécution. Dans les actes qu'il rédige, les faits ou événements sont relatés avec fidélité et précision. ". Aux termes de l'article R. 434-10 du même code : " Le policier ou le gendarme fait, dans l'exercice de ses fonctions, preuve de discernement. / Il tient compte en toutes circonstances de la nature des risques et menaces de chaque situation à laquelle il est confronté et des délais qu'il a pour agir, pour choisir la meilleure réponse légale à lui apporter. ". Aux termes de l'article R. 434-11 du même code : " Le policier et le gendarme accomplissent leurs missions en toute impartialité. / Ils accordent la même attention et le même respect à toute personne et n'établissent aucune distinction dans leurs actes et leurs propos de nature à constituer l'une des discriminations énoncées à l'article 225-1 du code pénal. ". Aux termes de l'article R. 434-12 du même code : " Le policier ou le gendarme ne se départ de sa dignité en aucune circonstance. / En tout temps, dans ou en dehors du service, y compris lorsqu'il s'exprime à travers les réseaux de communication électronique sociaux, il s'abstient de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée à la police nationale et à la gendarmerie nationale. Il veille à ne porter, par la nature de ses relations, aucune atteinte à leur crédit ou à leur réputation. ". Aux termes de l'article R. 434-29 du même code : " Le policier est tenu à l'obligation de neutralité. / Il s'abstient, dans l'exercice de ses fonctions, de toute expression ou manifestation de ses convictions religieuses, politiques ou philosophiques. ".
4. Enfin, aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : (...) / Troisième groupe : (...) / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. (...) ".
5. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
6. Si M. B... conteste la matérialité des faits en cause, il lui est reproché de s'être vu remettre, dans le cadre du premier tour des élections municipales du 15 mars 2020 dans la commune de Rurutu aux Iles Australes, et alors qu'il n'avait pas été désigné en qualité d'officier de police judiciaire de permanence pour valider et signer les procurations, par sa compagne, une cinquantaine de procurations de vote pré-rédigées, récupérées par elle et une candidate sur une liste opposée à celle du maire sortant, afin de vérifier l'identité des mandants conformément aux dispositions du code électoral, alors qu'il ne pouvait ignorer leur irrecevabilité au motif qu'elles étaient déjà complétées et signées par les mandants sans leur présence physique, pourtant obligatoire, puis d'avoir sollicité un officier de police judiciaire de permanence pour les contresigner. Lors de son audition en date du 21 avril 2020 dans le cadre de l'enquête administrative qui a été diligentée suite à la demande en date du 18 février 2020 du maire de la commune de Rurutu au haut-commissaire de la République en Polynésie française dans le cadre de l'établissement de procurations de vote à des résidents de l'île de Tahiti, électeurs dans la commune de Rurutu, l'intéressé a lui-même reconnu qu'il s'était vu remettre par sa compagne une cinquantaine de procurations de vote collectées qu'il considérait comme " déjà contrôlées par elle ". Si M. B... fait valoir que sa compagne n'était pas candidate aux élections municipales de la commune de Rurutu, contrairement à ce qui est mentionné dans la décision attaquée, cette circonstance est sans influence dans la mesure où elle s'est personnellement investie dans la campagne en recueillant les procurations avec une candidate de la liste opposante. Enfin, s'il soutient que les faits en cause ne sont constitutifs d'aucune fraude électorale, et fait valoir la décision de classement du procureur de la République de la plainte pour fraude électorale à l'origine de la décision attaquée, la sanction disciplinaire en litige n'est pas motivée par sa participation à un processus de fraude électorale, mais par des manquements aux obligations en matière d'enregistrement et de validation des procurations électorales définies par le code électoral. Par suite, le moyen soulevé ne peut qu'être écarté.
7. De même, si M. B... fait valoir que les manquements qui lui sont reprochés ne sont pas constitutif d'une faute au regard de la pratique locale consistant à valider les procurations de vote sur la base des pièces d'identité des mandants jointes au procurations et non en la présence effective des mandants devant un officier de police judiciaire, qu'aucune fraude électorale ayant porté atteinte à la sincérité du scrutin n'a pu être relevée, ou encore qu'il n'a tiré aucun intérêt personnel ou politique de cette opération, ces circonstances sont sans incidence sur la gravité des faits reprochés à M. B..., qui, tels qu'analysés au point précédent, ont contribué à une organisation susceptible d'influer sur la sincérité du scrutin, et revêtent dès lors un caractère fautif de nature à justifier une sanction disciplinaire. En outre, le requérant ne saurait sérieusement se prévaloir d'une erreur de droit de l'administration en prétextant de son insuffisance professionnelle pour justifier une méconnaissance des règles électorales au regard de sa qualité de représentant de la loi, chargé de s'assurer de son respect par les citoyens, et de sa qualité de candidat aux élections municipales dans la commune de Papenoo au printemps 2020.
8. En dernier lieu, eu égard aux faits reprochés à M. B... et aux manquements commis aux obligations lui incombant en sa qualité de policier, notamment au devoir de discernement, alors qu'il ne pouvait ignorer, au regard de son expérience professionnelle, qu'il se trouvait dans une situation de conflit d'intérêt en acceptant de prendre en charge les procurations remises par sa compagne, l'autorité disciplinaire n'a pas, en l'espèce, pris une sanction disproportionnée en décidant d'exclure l'intéressé temporairement de ses fonctions pour une durée de six mois dont deux mois avec sursis, nonobstant la circonstance que le procureur de la République ait classé sans suite la plainte pour fraude électorale déposée au motif que l'infraction était insuffisamment caractérisée et que la procédure de vérification des procurations en Polynésie serait irrégulière. En outre, la circonstance que d'autres agents ayant commis des faits aussi graves n'auraient pas été sanctionnés avec la même sévérité est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'annulation et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur
et des outre-mer.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Carrère, président,
- M. Marjanovic, président assesseur,
- Mme Boizot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 15 décembre 2023.
La rapporteure,
S. BOIZOTLe président,
S. CARRERELa greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA05214 2