Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société de droit polonais Apl Uniapol Developement SP ZO. O. (Uniapol) a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2012, des cotisations supplémentaires au titre de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises établies au titre des années 2010, 2011 et 2012, des cotisations supplémentaires de participation des employeurs à la formation professionnelle continue au titre des années 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2011 et 2012, des cotisations supplémentaires de taxe d'apprentissage au titre des années 2006, 2007, 2008, 2009, 2011 et 2012 et des cotisations supplémentaires de participation des employeurs à l'effort de construction au titre des années 2006, 2007, 2008, 2009, 2011 et 2012.
Par un jugement n° 1908435 du 29 juin 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 septembre 2021 et des mémoires enregistrés les 25 novembre 2021, 6 juillet 2022 et 22 novembre 2023, la Société Uniapol, représentée par Me Rieutord, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a jamais exploité en France un établissement stable au travers de la société Global Distribution qui était un prestataire indépendant agissant en vertu de deux contrats de prestations de services d'intermédiaire ; à ce titre cette société ne disposait d'aucun pouvoir de l'engager ou d'autonomie de gestion, dès lors que les contrats de prestations excluaient expressément la possibilité pour Global Distribution de conclure de contrats en son nom ;
- en conséquence, la procédure d'opposition à contrôle fiscal, laquelle ne peut reposer sur le seul motif que la comptabilité n'a pas été présentée, est irrégulière alors qu'au demeurant ses dirigeants ont toujours tenté de communiquer avec l'administration ;
- le service lui a refusé, malgré sa demande, la mise en œuvre de la garantie prévue par la charte du contribuable, applicable en vertu de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, de pouvoir saisir le supérieur hiérarchique au cours des opérations de contrôle ;
- l'administration a mis en œuvre la procédure d'abus de droit sans respecter les garanties attachées à cette procédure prévues par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;
- en l'absence d'un établissement stable elle n'est pas redevable en France des impôts commerciaux et des taxes sur les salaires ; au demeurant la taxe sur la valeur ajoutée a déjà été autoliquidée par les preneurs français.
Par un mémoire enregistré le 21 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par la Société Uniapol n'est fondé.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention fiscale franco-polonaise du 20 juin 1975 ;
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Agnel ;
- et les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.
Vu la note en délibéré présentée par Me Rieutord pour la société requérante, enregistrée au greffe le 4 décembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de l'exercice le 20 novembre 2012 d'une procédure de visite et de saisie, autorisée par l'autorité judiciaire sur le fondement des articles L. 16 B et L. 16 B-1 du livre des procédures fiscales, au sein des locaux d'une SAS Global Distribution ainsi qu'au domicile de M. A... F..., l'administration fiscale a estimé que la société de droit polonais Société Uniapol exerçait en France une activité occulte de prestations de placement de main d'œuvre et travail temporaire la rendant passibles des impôts commerciaux. Elle a procédé en conséquence à une vérification de comptabilité de cette société ayant concerné la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2012. Par une proposition de rectification du 2 septembre 2015, consécutive à une procédure pour opposition à contrôle fiscal, l'administration fiscale a informé la société Société Uniapol de son intention de la taxer d'office en vertu de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, aux taxes assises sur les salaires, à la taxe sur la valeur ajoutée et à l'impôt sur les sociétés et de l'assujettir à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. La société Uniapol a contesté ces rectifications qui ont été maintenues par le service dans sa réponse aux observations du contribuable du 9 mai 2016 et à l'issue de recours hiérarchiques. Les impositions supplémentaires en matière de taxe sur la valeur ajoutée, taxes assises sur les salaires et cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, assorties de la pénalité de 100 % pour opposition à contrôle fiscal, ont été mises en recouvrement au cours de l'année 2018 et la réclamation préalable de la société a été rejetée le 9 juillet 2019. La Société Uniapol relève appel du jugement du 29 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires.
Sur le principe de l'assujettissement de la Société Uniapol aux impôts commerciaux en France :
2. Aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. " et en vertu des articles 1586 ter et 1447 du même code, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est due par les personnes morales qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée dans la mesure de leurs activités soumises à l'impôt sur les sociétés en France en vertu des règles de territorialité propre à cet impôt. Aux termes de l'article 7 de la convention fiscale franco-polonaise du 20 juin 1975 : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre État mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable ". Aux termes de l'article 5 de cette même convention : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L'expression " établissement stable " comprend notamment : / a) Un siège de direction ; / (...) / c) Un bureau (...) 4. Une personne agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant - autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, visé au paragraphe 5 - est considérée comme " établissement stable " dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, à moins que l'activité de cette personne ne soit limitée à l'achat de biens ou de marchandises pour l'entreprise./5. On ne considère pas qu'une entreprise d'un Etat contractant a un établissement stable dans l'autre Etat contractant du seul fait qu'elle y exerce son activité par l'entremise d'un courtier, d'un commissionnaire-général ou de tout autre intermédiaire jouissant d'un statut indépendant, à condition que ces personnes agissent dans le cadre de leur activité. /6. Le fait qu'une société qui est un résident d'un Etat contractant contrôle ou soit contrôlée par une société qui est un résident de l'autre Etat contractant ou qui y exerce son activité (que ce soit par l'intermédiaire d'un établissement stable ou non) ne suffit pas, en lui-même, à faire de l'une quelconque de ces sociétés un établissement stable de l'autre. ". Il résulte de ces stipulations que les bénéfices réalisés en France par une entreprise polonaise, par l'intermédiaire d'un établissement stable situé en France, soit une installation fixe d'affaires comprenant notamment un siège de direction et/ou un bureau d'affaires commerciales, sont imposables en France.
3. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes de l'article 259 A du même code, applicable jusqu'au 31 décembre 2009 : " Par dérogation aux dispositions de l'article 259, le lieu des prestations suivantes est réputé se situer en France (...) 3° Les prestations de transports intracommunautaires de biens meubles corporels ainsi que les prestations de services effectuées par les intermédiaires qui agissent au nom et pour le compte d'autrui et interviennent dans la fourniture de ces prestations :a) Lorsque le lieu de départ se trouve en France, sauf si le preneur a fourni au prestataire son numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée dans un autre Etat membre ;b) Lorsque le lieu de départ se trouve dans un autre Etat membre de la Communauté européenne et que le preneur a fourni au prestataire son numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France ". Aux termes de l'article 259 du code général des impôts, dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2010 : " Le lieu des prestations de services est situé en France : 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; (...) 2° Lorsque le preneur est une personne non assujettie, si le prestataire : a) A établi en France le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France à partir duquel les services sont fournis ; b) Ou dispose d'un établissement stable en France à partir duquel les services sont fournis ".
4. Aux termes de l'article 224 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. Il est établi une taxe, dite taxe d'apprentissage (...) / 2. Cette taxe est due : / 2° Par les sociétés (...) passibles de l'impôt sur les sociétés ". Aux termes de l'article 225 du même code : " La taxe est assise sur les rémunérations, selon les bases et les modalités prévues aux chapitres Ier et II du titre IV du livre II du code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article 1599 quinquies A du même code : " (...) Il est institué une contribution au développement de l'apprentissage (...) Elle est assise sur les rémunérations retenues pour l'assiette de la taxe d'apprentissage en application des articles 225 et 225 A ". Aux termes du premier alinéa du 1 de l'article 235 bis de ce code : " (...) les employeurs qui, au 31 décembre de l'année suivant celle du paiement des rémunérations, n'ont pas procédé (...) aux investissements prévus à l'article L. 313-1 du code de la construction et de l'habitation sont assujettis à une cotisation de 2 % calculée sur le montant des rémunérations versées par eux au cours de l'année écoulée, évalué selon les règles prévues aux chapitres Ier et II du titre IV du livre II du code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article 235 ter D dudit code : " Conformément aux dispositions de l'article L. 6331-9 du code du travail, les employeurs (...) consacrent au financement des actions de formation professionnelle continue un pourcentage au moins égal à 1,60 % du montant des rémunérations versées " et enfin aux termes de l'article 235 ter G de ce même code : " (...) lorsque les dépenses au titre du développement de la formation professionnelle continue sont inférieures au montant prévu à l'article 235 ter D, l'employeur effectue au Trésor un versement égal à la différence constatée ".
6. Il résulte de l'instruction que la société Uniapol a été créée à Poznan en Pologne le 21 novembre 2005. Son capital est détenu par M. A... F... à hauteur de 60 % et par M. E... B... à hauteur de 40 %. Ce dernier a été le président de la société jusqu'au 31 décembre 2011. A compter du 1er janvier 2012, M. F... en a été nommé président. La société Uniapol a été créée afin d'exercer l'activité principale de négoce automobile. Toutefois, dès l'année 2006, elle a entrepris une activité de placement de main d'œuvre dans le secteur du travail intérimaire qu'elle a étendue à plusieurs pays européens. Il n'est pas contesté que la société Uniapol dispose en Pologne des moyens humains et matériels nécessaires à son activité au travers de quatre établissements et de soixante-dix salariés. La société par actions simplifiée Global Distribution a été créée le 23 mars 2009 à Wattwiller, avant de transférer son siège social à Soultz (68360), avec pour activité le négoce des véhicules et le conseil pour le développement des entreprises, à l'enseigne " AMP Conseil et Courtage ". Les associés fondateurs de cette société étaient Mme C... G..., ex-épouse de M. F..., et une société Global Distrybucja, société polonaise dirigée par un M. D.... Cette dernière société a cédé ses parts sociales le 13 juillet 2012 à une société Change Look Spolska dont l'associé unique est M. F.... Afin de développer son activité de travail temporaire sur le territoire français, consistant à placer des travailleurs détachés auprès des entreprises françaises principalement dans les secteurs de l'hôtellerie-restauration, de l'industrie et du bâtiment et travaux publics, la société Uniapol a conclu avec la société Global Distribution le 1er novembre 2006, un contrat qualifié de courtage par lequel cette société s'engageait à rechercher des clients susceptibles de faire appel aux travailleurs détachés d'Uniapol, à organiser ensuite la logistique liée à l'accueil de ces salariés en France y compris en ce qui concerne l'hébergement, accompagner les salariés auprès des employeurs français y compris en assurant des travaux de traduction, le tout moyennant le paiement d'une commission. Une seconde convention portant sur les mêmes prestations a été signée entre les parties en 2011.
7. Afin de démontrer que la société Uniapol exploitait en France une entreprise au moyen d'un établissement stable au travers de la société Global Distribution, l'administration a relevé d'abord que cette société était sous le contrôle ultime de M. F... par l'intermédiaire des sociétés Uniapol et Change Look, un organigramme de la société Uniapol mentionnant Amp Conseil et Courtage comme sa filiale française. Elle a ensuite constaté que parmi les trois salariés de Global Distribution, deux d'entre eux, dont Mme G..., étaient affectés à 50 % à l'activité de prestation de services pour le compte d'Uniapol, tandis que M. D..., également dirigeant de Global Distrybucja, se consacrait à plein temps à cette activité. Le service a ensuite estimé que l'activité de Global Distribution pour le compte d'Uniapol excédait les termes des contrats de courtage en ce que ses salariés se chargeaient des contentieux sociaux et de recouvrement, fixaient les tarifs auprès des clients, signaient avec eux les contrats de placement de main d'œuvre en se présentant comme les responsables d'Uniapol. L'administration s'est également fondée sur la circonstance que se trouvaient dans les locaux de Global Distribution des timbres humides au nom d'Uniapol, deux carnets de chèques, des bordereaux de remises de chèques, des relevés bancaires de cette société, des papiers à l'en-tête d'Uniapol, des factures clients, des attestations d'assurance, des factures de fournisseurs, des documents juridiques originaux et divers contrats au nom de cette société. Le service a ensuite relevé que la société Uniapol disposait de deux comptes bancaires ouverts en France sur lesquels elle encaissait les recettes de ses prestations et que deux de ses cartes bancaires étaient utilisées par les salariés de Global Distribution pour le paiement de certains frais. Le service, se fondant sur des courriels saisis dans le cadre de la procédure de visite et de saisie, a relevé que M. F..., domicilié en France, était le responsable s'agissant de toutes les décisions relatives aux clients français d'Uniapol, des documents relatifs aux sociétés Uniapol et Global Distribution ayant été saisis à son domicile lors la visite du 20 novembre 2012. Il se déduit de ces éléments que l'administration doit être regardée comme ayant établi que la société Uniapol a disposé au cours des années en cause, dans les locaux de la société Global Distribution situés à Watwiller puis Soultz, d'une installation fixe d'affaires dans laquelle elle a exercé son activité de travail temporaire au profit de ses clients français et doit par suite être regardée comme ayant exploité une entreprise en France au sens des dispositions de l'article 209 du code général des impôts. Il en résulte également qu'elle doit être regardée comme y ayant disposé d'un établissement stable au sens des stipulations de la convention fiscale entre la France et la Pologne du 1er avril 1958 dans lequel elle a exercé la direction effective de son activité. Par suite c'est à juste titre que l'administration l'a assujettie aux taxes assises sur les salaires en application de ces stipulations et dispositions combinées.
8. Il résulte également des développements précédents que c'est à juste titre que le service l'a regardée comme y ayant disposé d'un établissement stable au sens des dispositions ci-dessus reproduites des articles 256 et suivants du code général des impôts en matière de taxe sur la valeur ajoutée et auquel se rattachent les prestations de service en cause.
9. Si, afin de remettre en cause ces éléments de preuve, la société requérante soutient s'être bornée à fournir ses services à ses clients à partir de ses établissements situés en Pologne en faisant appel en France à la société Global Distribution en tant qu'intermédiaire indépendant, cet intermédiaire ne pouvant conclure de contrats en son nom et étant dépourvu de tout pouvoir de décision, il résulte de l'instruction, en particulier des éléments saisis lors de la visite du 20 novembre 2012, que cette société Global Distribution a en réalité pris en charge, sous la direction de fait de M. F..., la totalité de son activité de placement de main d'œuvre en France en particulier en ce qui concerne la signature des contrats avec les clients et la gestion financière. Il résulte de ces éléments que la société Global Distribution ne saurait être regardée comme un intermédiaire indépendant agissant dans le cadre de son activité au sens du 5 de l'article 5 de la convention franco-polonaise ci-dessus visée. Dans ces conditions, la circonstance que la société Global Distribution a régulièrement facturé ses services à la société Uniapol en vertu des conventions ci-dessus analysées, ainsi qu'elle en justifie, n'est pas de nature à remettre en cause le fait que les moyens matériels et humains de cette société étaient ceux de l'établissement stable de la société requérante en France. A cet égard, la circonstance que la société Global Distribution n'ait pas de lien capitalistique avec la société Uniapol n'est pas davantage de nature à remettre en cause le fait que la première se trouve sous la dépendance de la seconde, compte tenu des éléments rappelés au point 7 ci-dessus. Contrairement à ce que soutient la société requérante, les contrats de courtage ci-dessus analysés n'impliquaient pas que la société Global Distribution devait être en possession de ses papiers commerciaux, bancaires, juridiques, de ses sceaux ainsi que de ses moyens de paiement, ces éléments découverts en France attestant l'existence en ces lieux de son établissement stable. Si la société requérante soutient que ses clients français ainsi que les administrations françaises avaient, pour les besoins de l'exécution des détachements des salariés, comme interlocuteurs ses collaborateurs établis en Pologne, le service relève à juste titre le fait, établi notamment par les différents courriels saisis le 20 novembre 2012, que les décisions les plus importantes relatives à l'exploitation en France de son activité de placement, en particulier la signature des contrats, étaient prises sur place, les clients ayant pour interlocuteurs les salariés de Global Distribution ou encore M. F....
10. Il résulte de ce qui précède que la société Uniapol a exercé en France de manière occulte une activité commerciale au moyen d'un établissement stable la rendant passible des impôts commerciaux.
Sur la régularité de la procédure :
En ce qui concerne l'existence d'une opposition à contrôle fiscal :
11. Aux termes de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales : " Les bases d'imposition sont évaluées d'office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers ".
12. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la société Uniapol a exploité en France une entreprise passible des impôts commerciaux et était obligée à ce titre d'établir une comptabilité qu'elle devait tenir à disposition des agents de l'administration fiscale. Dans ces conditions, elle ne saurait utilement soutenir que sa comptabilité ne pouvait être examinée qu'en Pologne. Il résulte de l'instruction que par un courrier du 27 mai 2013, adressé à l'adresse de la société Global Distribution, à son siège en Pologne ainsi qu'à M. F..., le service a notamment informé la société requérante de l'intervention d'un vérificateur le 18 juin 2013 dans les locaux de son établissement stable. Par une lettre du 13 juin 2013, la société requérante a indiqué au vérificateur que le contrôle ne pouvait avoir lieu au motif qu'elle ne disposait pas de locaux à cette adresse mais qu'il pouvait se tenir en Pologne. Il est constant qu'aucun représentant de la société requérante ne s'est présenté lors de la première intervention du vérificateur le 18 juin 2013, sans que la société requérante en ait sollicité le report. Le 26 juillet 2013, le service a invité la société requérante à le contacter pour convenir d'un rendez-vous et l'a informée sur les conséquences d'une opposition à contrôle fiscal. Par des lettres des 20 et 30 août 2013, la société requérante a alors, de nouveau, demandé que le contrôle se déroule dans ses locaux en Pologne mais a toutefois également proposé un rendez-vous dans les locaux de son conseil à Paris. Le 23 octobre 2013, le représentant légal de la société requérante et son conseil ont encore soutenu qu'elle ne disposait pas d'établissement stable en France, ont proposé que le contrôle s'effectue en Pologne et n'ont présenté aucune comptabilité. Après avoir mis en œuvre son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire et de clients de la requérante, le service l'a informée, le 12 mai 2015 de ce qu'une réunion se tiendrait le 23 juin 2015. Par un courrier du 28 mai 2015, la société requérante a une nouvelle fois répondu qu'elle ne disposait pas d'un établissement stable, qu'elle n'était pas en mesure de produire une comptabilité en France et a proposé la tenue d'une réunion en Pologne. La circonstance, en l'admettant établie, que les autorités polonaises auraient fait obstacle à ce que sa comptabilité sorte du territoire polonais est sans incidence sur le fait que la société Uniapol s'est refusée à permettre au vérificateur d'accéder à son établissement stable ne serait-ce que pour en apprécier les conditions d'exploitation. Dès lors, la vérification de comptabilité de l'activité poursuivie par la société requérante en France doit être regardée comme n'ayant pu avoir lieu de son fait. Par suite, l'administration était fondée, au vu des circonstances précitées, à mettre en œuvre la procédure prévue par l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, ce qu'elle a formalisé par un procès-verbal d'opposition à contrôle fiscal du 15 juin 2015.
En ce qui concerne la vérification de comptabilité :
13. Aux termes de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : " L'administration des impôts contrôle les déclarations ainsi que les actes utilisés pour l'établissement des impôts, droits, taxes et redevances. / (...) Les dispositions contenues dans la charte des droits et obligations du contribuable vérifié mentionnée au troisième alinéa de l'article L. 47 sont opposables à l'administration ". Selon la charte des droits et obligations du contribuable vérifié : " En cas de difficultés, vous pouvez vous adresser à l'inspecteur divisionnaire ou principal et ensuite à l'interlocuteur départemental ou régional. Leur rôle vous est précisé plus loin. Vous pouvez les contacter pendant la vérification ". Aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " I. - Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables ".
14. La possibilité de s'adresser au supérieur hiérarchique du vérificateur puis, le cas échéant, à un second interlocuteur en cas de difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle constitue une garantie substantielle offerte à tous les contribuables, quelle que soit la procédure d'imposition qui sera ultérieurement mise en œuvre à leur encontre. Pour les contribuables relevant de la procédure d'imposition contradictoire, cette garantie peut être mise en œuvre jusqu'à l'envoi de la proposition de rectification. Pour les contribuables relevant d'une procédure d'imposition d'office, cette garantie peut être mise en œuvre jusqu'à l'envoi des bases d'imposition d'office, ou, lorsqu'il n'a pas été procédé à cet envoi en application du dernier alinéa de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales, jusqu'à la date de mise en recouvrement.
15. Il résulte de l'instruction que la société requérante, dont les bases d'imposition ont été régulièrement évaluées d'office selon la procédure prévue à l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, a été reçue par le supérieur hiérarchique du vérificateur le 28 septembre 2016 avant la mise en recouvrement des impositions litigieuses conformément aux règles ci-dessus rappelées. Il en résulte que la garantie prévue par les règles ci-dessus reproduites lui a bien été accordée en cours de vérification par l'administration. Si la société requérante soutient qu'avant la notification des bases d'imposition par la lettre du 2 septembre 2015, le supérieur hiérarchique avait refusé une première fois de la recevoir, une telle circonstance ne l'a privée d'aucune garantie, la notification des bases d'imposition n'étant pas obligatoire dans le cadre de la procédure d'évaluation d'office pour opposition à contrôle fiscal en vertu de l'article L. 76 du livre des procédures fiscales. En outre, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, que la société Uniapol s'est opposée au déroulement de la vérification de comptabilité. Dans ces conditions, sa demande du 19 juin 2015, postérieure au procès-verbal d'opposition à contrôle, tendant à rencontrer le supérieur hiérarchique du vérificateur ne constitue que l'une des multiples manifestations de son opposition au contrôle fiscal dont elle faisait l'objet et non pas une demande tendant à soumettre une difficulté relative au déroulement du contrôle au sens de la charte. Par suite, alors que l'administration n'est pas tenue d'engager un débat préalable concernant le principe de l'imposition en France d'une société étrangère, le refus que lui a opposé l'employé supérieur le 23 juin 2015 ne l'a privée d'aucune garantie et la circonstance qu'il était fondé sur des motifs erronés est sans conséquence sur la régularité de la procédure.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales :
16. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité ". Il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. Il résulte également de ces dispositions que, lorsque l'administration invoque des faits constitutifs d'un abus de droit pour justifier un chef de redressement, le contribuable, doit être regardé comme ayant été privé des garanties propres à cette procédure, tenant notamment à la faculté de provoquer la saisine du comité consultatif des abus de droit si, avant la mise en recouvrement de l'imposition, l'administration omet de l'aviser expressément que le redressement a pour fondement les dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.
17. En relevant que les salariés de la société Global Distribution avaient exercé des attributions excédant l'objet des stipulations des contrats de courtage signés avec la société Uniapol, le service loin d'écarter ces actes comme étant fictifs ou constituant un montage ayant un but exclusivement fiscal, s'est seulement fondé, à juste titre ainsi qu'il a été dit ci-dessus, sur des circonstances de fait caractérisant des actes étrangers à ces contrats afin d'établir l'existence d'un établissement autonome. Dès lors que ce fondement légal permettait d'asseoir les rectifications et que l'administration y a eu recours, celle-ci n'était pas tenue de mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit. Par suite, la société Unipaol n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été privée des garanties attachées à la procédure d'abus de droit.
Sur le bien-fondé des impositions :
18. Aux termes de l'article 283 du code général des impôts : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée doit être acquittée par les personnes qui réalisent les opérations imposables ".
19. Il résulte des dispositions rappelées ci-dessus que la Société Uniapol, à qui il appartenait d'établir des factures régulières dans les conditions prévues à l'article 289 du code général des impôts, était redevable en France de la taxe sur la valeur ajoutée due sur les prestations de service qu'elle y a fournies. La circonstance, en l'admettant établie, que les preneurs assujettis des services rendus par la Société Uniapol aient autoliquidé et déduit en France la taxe sur la valeur ajoutée due sur les prestations qu'ils ont acquises auprès d'elle, n'a pas pour effet de faire obstacle à ce que soit mise à sa charge la taxe ainsi collectée par elle dont elle est seule redevable. Une telle situation ne saurait caractériser une double imposition et n'est contraire à aucun principe général propre à la taxe sur la valeur ajoutée découlant notamment, de la directive du 28 novembre 2006, ci-dessus visée, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne.
20. Il résulte de tout ce qui précède que la Société Uniapol n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la Société Uniapol est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Uniapol et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président de chambre,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Bourguet-Chassagnon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : M. AgnelLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
N° 21NC02477
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