Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Libre Service Pasteur a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 6 décembre 2018 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 17 850 euros et la contribution forfaitaire prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 2 124 euros, la décision du 20 février 2019 rejetant son recours gracieux ainsi que le titre de perception n° 006 009 001 075 250509 2018 0008205 émis le 13 décembre 2018 pour le recouvrement de la contribution spéciale et la décision du 21 février 2019 rejetant sa réclamation préalable formée contre ce titre.
Par un jugement n° 1901859 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 10 janvier 2023, sous le n° 23MA00066, la SARL Libre Service Pasteur, représentée par Me Concas, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 novembre 2022 du tribunal administratif de Nice ;
2°) d'annuler les décisions des 6 décembre 2018, 20 et 21 février 2019, ainsi que le titre de perception émis le 13 décembre 2018 ;
3°) de moduler le montant de la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail à la somme de 3 570 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle remplit les critères prévus par l'article R. 8253-2 du code du travail pour bénéficier d'une modulation du quantum de la sanction ;
- cette situation était parfaitement exceptionnelle et constitue la seule et unique fois où elle a manqué à ses obligations ;
- elle est aujourd'hui en parfaite conformité avec la réglementation.
La requête a été communiquée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Lors d'un contrôle opéré le 30 mai 2018 dans les locaux d'un commerce d'alimentation générale et de boucherie à l'enseigne " boucherie Salama " exploité par la SARL Libre Service Pasteur, situé au 167 avenue du Maréchal Lyautey à Nice, les services de police, assistés d'un inspecteur du travail, ont constaté la présence en action de travail d'un ressortissant marocain en situation irrégulière et dépourvu d'autorisation de travail. Par une décision du 6 décembre 2018, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a appliqué à la société requérante, d'une part, la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 17 850 euros et, d'autre part, la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant de 2 124 euros. Par un titre de perception émis le 13 décembre 2018, l'Etat a mis à la charge de la société Libre Service Pasteur le paiement de la somme de 17 850 euros correspondant la contribution spéciale précitée. Le recours gracieux et la réclamation préalable formés les 8 et 11 février 2019 par la société requérante contre la décision du 6 décembre 2018 et le titre de perception du 13 décembre 2018 ont été rejetés par deux décisions, respectivement des 20 et 21 février 2019. La SARL Libre Service Pasteur relève appel du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces trois décisions des 6 décembre 2018, 20 et 21 février 2019 et du titre de perception émis le 13 décembre 2018.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et fixer le montant de cette contribution pour le compte de l'Etat (...) ". Aux termes de l'article R. 8253-2 du même code : " I. - Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. / II. - Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : / 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; / 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. / III. - Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". Aux termes de l'article L. 8252-2 du même code : " Le salarié étranger a droit au titre de la période d'emploi illicite : / 1° Au paiement du salaire et des accessoires de celui-ci, conformément aux dispositions légales, conventionnelles et aux stipulations contractuelles applicables à son emploi, déduction faite des sommes antérieurement perçues au titre de la période considérée. A défaut de preuve contraire, les sommes dues au salarié correspondent à une relation de travail présumée d'une durée de trois mois. Le salarié peut apporter par tous moyens la preuve du travail effectué ; / 2° En cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, à moins que l'application des règles figurant aux articles L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1243-4 et L. 1243-8 ou des stipulations contractuelles correspondantes ne conduise à une solution plus favorable. / 3° Le cas échéant, à la prise en charge par l'employeur de tous les frais d'envoi des rémunérations impayées vers le pays dans lequel il est parti volontairement ou a été reconduit. / Lorsque l'étranger non autorisé à travailler a été employé dans le cadre d'un travail dissimulé, il bénéficie soit des dispositions de l'article L. 8223-1, soit des dispositions du présent chapitre si celles-ci lui sont plus favorables. (...) ". Aux termes de l'article L. 8252-4 du code du travail : " Les sommes dues à l'étranger non autorisé à travailler, dans les cas prévus aux 1° à 3° de l'article L. 8252-2, lui sont versées par l'employeur dans un délai de trente jours à compter de la constatation de l'infraction. Lorsque l'étranger est placé en rétention administrative en application des articles L. 740-1 ou L. 751-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou assigné à résidence en application des articles L. 731-1 ou L. 751-2 du même code ou lorsqu'il n'est plus sur le territoire national, ces sommes sont déposées sous le même délai auprès d'un organisme désigné à cet effet, puis reversées à l'étranger. / Lorsque l'employeur ne s'acquitte pas des obligations mentionnées au premier alinéa, l'organisme recouvre les sommes dues pour le compte de l'étranger. (...) " Aux termes de l'article R. 8252-6 du même code : " L'employeur d'un étranger non autorisé à travailler s'acquitte par tout moyen, dans le délai mentionné à l'article L. 8252-4, des salaires et indemnités déterminés à l'article L. 8252-2. / Il remet au salarié étranger sans titre les bulletins de paie correspondants, un certificat de travail ainsi que le solde de tout compte. Il justifie, auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, par tout moyen, de l'accomplissement de ses obligations légales. ".
3. Les dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail et celles de l'article R. 8253-2 n'autorisent l'administration à minorer le montant de la contribution spéciale que dans le cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger sans titre mentionné à l'article R. 8252-6. Il résulte de l'instruction que lors d'un contrôle opéré le 30 mai 2018 dans les locaux d'un commerce d'alimentation générale et de boucherie à l'enseigne " boucherie Salama " exploité par la SARL Libre Service Pasteur, situé au 167 avenue du Maréchal Lyautey à Nice, les services de police, assistés d'un inspecteur du travail, ont constaté la présence en action de travail d'un ressortissant marocain en situation irrégulière et dépourvu d'autorisation de travail. La société requérante ne conteste pas la matérialité de cette infraction. Par ailleurs, il résulte du procès-verbal d'infraction dressé le 30 mai 2018 que pour l'emploi de ce ressortissant marocain, l'inspecteur du travail a relevé, d'une part, l'infraction de travail dissimulé réprimée par les articles L. 8224-1, L. 8224-3 et L. 8224-5 du code du travail et, d'autre part, l'emploi d'un étranger sans titre de travail en infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code précité réprimé par l'article L. 8256-2 du même code. En outre, la SARL Libre Service Pasteur produit un bulletin de salaire, une attestation de travail, une attestation destinée à pôle emploi et le solde de tout compte du salarié. Ces documents non datés et non signés, mentionnent une période d'emploi du 16 au 31 mai 2018, un salaire du mois de 237,12 euros, une indemnité de fin de contrat de 23,71 euros et une indemnité de congés payés de 26,08 euros. Ainsi, elle n'établit pas avoir versé à l'intéressé, dans le délai de trente jours prévu par l'article L. 8252-4 du code du travail, l'intégralité des salaires et indemnités prévus par l'article L. 8252-2 du même code, notamment, en cas de rupture de la relation de travail comme en l'espèce, l'indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, l'indemnité de fin de contrat n'étant que de 23,17 euros alors que le salaire est de 237,12 euros, ni lorsque l'étranger est placé en rétention administrative en application des articles L. 740-1 ou L. 751-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avoir déposé ces sommes sous le même délai auprès d'un organisme désigné à cet effet, puis reversées à l'étranger, conformément aux dispositions de l'article L. 8252-4 du code du travail. Dans ces conditions, le directeur général de l'OFII a fait une exacte application des dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail en fixant à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti le taux de la contribution spéciale mise à la charge de la SARL Libre Service Pasteur à raison de l'emploi de ce salarié. Par suite, cette dernière n'est pas fondée à demander la minoration du montant de cette contribution.
4. S'il ne saurait interdire de fixer des règles assurant une répression effective des infractions, le principe de nécessité des peines découlant de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique qu'une sanction administrative ayant le caractère d'une punition ne puisse être appliquée que si l'autorité compétente la prononce expressément en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi comme juge de plein contentieux d'une contestation portant sur une sanction prononcée sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail, d'examiner tant les moyens tirés des vices propres de la décision de sanction que ceux mettant en cause le bien-fondé de cette décision et de prendre, le cas échéant, une décision qui se substitue à celle de l'administration. Celle-ci devant apprécier, au vu notamment des observations éventuelles de l'employeur, si les faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application de cette sanction administrative, au regard de la nature et de la gravité des agissements et des circonstances particulières à la situation de l'intéressé, le juge peut, de la même façon, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, tant s'agissant du manquement que de la proportionnalité de la sanction, maintenir la contribution, au montant fixé de manière forfaitaire par les dispositions citées au point 2, ou en décharger l'employeur.
5. La SARL Libre Service Pasteur soutient que cette situation était parfaitement exceptionnelle, qu'elle constitue la seule et unique fois où elle a manqué à ses obligations et qu'elle est en parfaite conformité avec la règlementation. Toutefois, ces seules allégations ne suffisent pas à justifier, au regard de la nature et de la gravité des agissements sanctionnés et de l'exigence de répression effective des infractions, que les circonstances propres à l'espèce seraient d'une particularité telle qu'elles nécessiteraient que la société requérante soit dispensée de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire.
6. Eu égard au principe d'indépendance des procédures administrative et pénale, la circonstance que le gérant de la société requérante n'ait fait l'objet que d'un rappel à la loi, le 31 mai 2018, pour le fait d'emploi d'un étranger non muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée, est sans incidence sur la fixation du montant des contributions spéciale et forfaitaire mises à la charge de la société.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Libre Service Pasteur n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 6 décembre 2018, 20 et 21 février 2019 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et du titre de perception émis le 13 décembre 2018.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SARL Libre Service Pasteur demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Libre Service Pasteur est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Libre Service Pasteur et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2023, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 décembre 2023.
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N° 23MA00066
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