Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 12 octobre 2022 par lequel le préfet de police de Paris lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2222900/3-2 du 7 décembre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a admis provisoirement M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle, a annulé la décision fixant le pays de destination, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 janvier 2023, le préfet de police de Paris demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la requête présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a annulé la décision fixant le pays de destination au motif qu'elle méconnaissait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens soulevés en première instance à l'encontre de la décision fixant le pays de destination ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mai 2023 M. A..., représenté par Me Angliviel, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés.
Par une décision du 23 février 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a admis M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par une ordonnance du 12 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 25 août 2023 à midi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Ho Si Fat a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant afghan né le 1er janvier 1994 et originaire de la province de Nangarhar, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Par une décision du 10 avril 2020 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 7 décembre 2020, sa demande d'asile a été jugée irrecevable. Le 10 mai 2021, M. A... a présenté une demande de réexamen de sa demande d'asile, qui a été rejetée par une décision du 16 mars 2022 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Par un arrêté du 12 octobre 2022, le préfet de police de Paris lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Le préfet de police de Paris relève appel du jugement du 7 décembre 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé la décision fixant le pays à destination duquel M. A... pourra être reconduit.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
3. Pour annuler l'arrêté du 12 octobre 2022 du préfet de police en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination de M. A..., la première juge a considéré que, " depuis le 16 août 2021, la victoire militaire des forces talibanes conjuguée à la désagrégation des autorités gouvernementales et de l'armée nationale afghane et au retrait des forces armées étrangères a entraîné une désorganisation générale du pays " et que " compte tenu de la présence d'éléments plus ou moins incontrôlés, y compris parmi les différents groupes taliban locaux, et du niveau élevé de violence, d'insécurité et d'arbitraire de la part des autorités de fait, M. A... justifie qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'il serait exposé en cas de retour dans son pays d'origine à un risque réel et personnel de subir des traitements inhumains ou dégradants ".
4. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la décision d'irrecevabilité de l'OFPRA du 10 avril 2020, que M. A... a fait valoir, s'agissant de ses craintes personnelles en cas de retour en Afghanistan, que, agriculteur et berger, il a été approché en 2014 par des insurgés lui ayant demandé de rejoindre leurs rangs, qu'il a refusé, et que ceux-ci lui ont confié, après l'avoir battu, un moyen de communication afin de les informer de l'approche de soldats de l'Armée Nationale Afghane ou de l'Organisation Etat Islamique. M. A... a également indiqué qu'il a conservé le moyen de communication sans toutefois l'utiliser et qu'environ une année plus tard, à l'issue d'affrontements entre des insurgés et des policiers, ces derniers ont effectué des perquisitions dans son village et ont trouvé le moyen de communication. Il indique qu'il a alors été arrêté et détenu pendant trois jours et que les policiers lui ont demandé de devenir espion auprès des insurgés. Il a également précisé que le soir même ou le lendemain, des insurgés ont fait irruption à son domicile, qu'ils l'ont blessé par balle au niveau de la jambe, l'ont enlevé et détenu pendant une vingtaine de jours, et qu'il est parvenu, grâce à un moment d'absence des gardes, à s'échapper. Enfin, M. A... a indiqué que, compte tenu de ces évènements, il a quitté l'Afghanistan quelques jours plus tard pour se rendre en Italie, et qu'il craint d'être persécuté en cas de retour dans son pays d'origine en raison des opinions politiques qui lui seront imputées tant par les autorités afghanes que par les insurgés. Toutefois, l'intéressé, dont le réexamen de sa demande d'asile a, au demeurant, été rejeté par une décision du 16 mars 2022 du directeur général de l'OFPRA, n'apporte aucun développement étayé, vraisemblable et cohérent sur les faits ainsi allégués et, en particulier, sur les raisons et les circonstances dans lesquelles des insurgés l'auraient approché, sur les affrontements qui auraient eu lieu dans sa localité, sur la nature des menaces qu'il estime encourir de la part des insurgés ou encore sur la réalité de la blessure alléguée et les modalités de son départ de son pays. En outre, aucune source d'information publique disponible et pertinente, notamment les rapports de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile, intitulés " Afghanistan - Security situation " et " Afghanistan - Targeting of individuals " d'août 2022 et " Afghanistan - Country Guidance " de janvier 2023, ne permet de considérer que le seul séjour en Europe d'un ressortissant afghan, afin notamment d'y demander l'asile, l'exposerait de manière systématique, en cas de retour dans son pays d'origine, à des menaces ou traitements prohibés au sens et pour l'application des stipulations et dispositions citées au point 2. En l'espèce, M. A... a fait valoir qu'il encourrait des risques, en cas de retour dans son pays, à raison d'un profil " occidentalisé " réel ou imputé du seul fait de son séjour en Europe. Toutefois, il ne démontre nullement qu'il aurait acquis un tel profil " occidentalisé " ou qu'un tel profil pourrait lui être imputé en cas de retour en Afghanistan. En particulier, l'intéressé, qui a déclaré lors de son entretien avec l'OFPRA du 3 novembre 2021, réalisé en langue pachto, être sans domicile et sans ressources, ne justifie, malgré une présence sur le territoire français d'au moins six années, ni des efforts d'apprentissage de la langue française dont il se prévaut en appel, ni d'une acquisition de tout ou partie des valeurs, du modèle culturel, du mode de vie, des usages et coutumes des pays européens. A cet égard, son seul séjour en France ne saurait suffire à établir un tel profil ou à démontrer le risque d'une telle imputation en cas de retour dans son pays d'origine. Par ailleurs, il ressort des sources d'information publiques disponibles et pertinentes sur l'Afghanistan, notamment des rapports mentionnés ci-dessus de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile, que la victoire militaire des forces talibanes, au mois d'août 2021, a mis fin au conflit armé qu'a connu le pays durant de nombreuses années et qui a opposé les autorités gouvernementales et l'armée nationale afghane, appuyées par des forces armées étrangères, à des groupes armés insurgés, notamment les forces talibanes qui contrôlent, depuis lors, la quasi-totalité du territoire afghan. Il ressort également des mêmes sources que le degré de violence caractérisant le conflit armé, qui oppose désormais les autorités de fait gouvernant l'Afghanistan et certains groupes insurgés, tel que l'Etat islamique - Province du Khorassan (ISKP), et qui sévit dans les provinces de Badakhshan, Baghlan, Balkh, Kaboul, Kandahar, Kapisa, Kunar, Kunduz, Nangarhar, Panchir, Parwan et Takhar, n'atteint pas un niveau si élevé qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu'un civil renvoyé dans ce pays ou dans l'une de ces provinces courrait, du seul fait de sa présence dans l'une de ces provinces, un risque réel de subir une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne. Enfin, M. A..., n'a fait état d'aucun autre élément de nature à permettre de considérer qu'il présenterait une vulnérabilité particulière à l'égard des forces talibanes désormais au pouvoir en Afghanistan. Ainsi, M. A... n'a apporté aucun élément sérieux ou convaincant permettant de considérer qu'il encourrait, dans le cas d'un retour en Afghanistan, de manière suffisamment personnelle et certaine, des menaces quant à sa vie ou sa personne ou des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, et cointrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, en décidant que l'intéressé pourrait être éloigné à destination du pays dont il a la nationalité, le préfet de police n'a pas méconnu les stipulations et dispositions citées au point 2.
5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... contre la décision fixant le pays de destination.
6. M. A... soutient que la décision en litige aurait été signée par une autorité incompétente. Toutefois, par un arrêté n° 2022-01166 du 3 octobre 2022 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de police du même jour, le préfet de police de Paris a donné à M. Pierre Villa, conseiller d'administration de l'intérieur et de l'outre-mer, chef du bureau de l'accueil de la demande d'asile, délégation à l'effet de signer les décisions dans la limite de ses attributions, dont relève la police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée aurait été signée par une autorité incompétente doit être écarté comme manquant en fait.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 12 octobre 2022 en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à M. A..., la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2222900 du 7 décembre 2022 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 octobre 2022 du préfet de police en tant qu'il désigne l'Afghanistan comme pays de renvoi et ses conclusions d'appel présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de police de Paris.
Délibéré après l'audience du 11 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mm Menasseyre, présidente de chambre,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2023.
Le rapporteur,
F. HO SI FATLa présidente,
A. MENASSEYRE
La greffière
N. COUTY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23PA00020