Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 28 septembre 2020 par lequel la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2002743 du 4 mars 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 juin 2021, et un mémoire en production de pièces enregistré le 1er décembre 2021, M. C..., représenté par Me Bouillaut demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 mars 2021 du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Vienne du 28 septembre 2020 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Vienne, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour d'une durée d'un an dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande sous les mêmes conditions et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail le temps du réexamen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée et sa demande n'a pas fait l'objet d'un examen approfondi ;
- elle est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle est fondée sur les dispositions de l'article L. 313-11, 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et non sur les dispositions de l'article L. 313-17 du même code ;
- elle méconnaît les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire :
- elle est illégale dès lors que la décision portant refus de séjour est entachée d'illégalité ;
- elle méconnaît les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- elle est insuffisamment motivée et méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 novembre 2021, la préfète de la Vienne conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que la demande est tardive et que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 16 novembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 30 novembre 2021 à 12 heures.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 6 mai 2021 du bureau de l'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Nicolas Normand.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant russe né en 1980, est entré en France irrégulièrement le 28 mai 2013 accompagné de son épouse et de leurs trois enfants. A... compter du 17 décembre 2014, il s'est vu délivrer différents titres de séjour portant le mention " vie privée et familiale " en lien avec la protection subsidiaire accordée à sa conjointe en 2013, dont le dernier est arrivé à expiration le 30 mars 2019 et dont il a demandé le renouvellement le 27 mars 2019. Par un arrêté du 28 septembre 2020, la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. C... relève appel du jugement du 4 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la recevabilité des conclusions présentées devant le tribunal administratif de Poitiers:
2. Il ressort des pièces du dossier que par une décision du 12 février 2021 du tribunal judiciaire de Bordeaux, M. C... a été admis à l'aide juridictionnelle totale sur la demande qu'il a présentée le 29 octobre 2020. Ce faisant, le requérant rapporte la preuve qu'il a déposé sa demande d'aide juridictionnelle avant que n'expire le délai de recours de 30 jours dont il disposait pour contester l'arrêté du 28 septembre 2020 notifié le lendemain. Dans la mesure où la demande d'aide juridictionnelle formée par M. C... a eu pour effet de suspendre le délai du recours contentieux, la fin de non-recevoir soulevée par la préfète de la Vienne tirée du caractère tardif de la demande enregistrée le 13 novembre 2020 devant le tribunal administratif de Poitiers doit être rejetée.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne la décision portant refus de séjour :
3. Aux termes de l'article L. 313-17 alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " I. - Au terme d'une première année de séjour régulier en France accompli au titre de l'un des documents mentionnés aux 2° et 3° de l'article L. 311-1, l'étranger bénéficie, à sa demande, d'une carte de séjour pluriannuelle dès lors que : 1° Il justifie de son assiduité, sous réserve de circonstances exceptionnelles, et du sérieux de sa participation aux formations prescrites par l'Etat dans le cadre du contrat d'intégration républicaine conclu en application de l'article L. 311-9 et n'a pas manifesté de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République ; 2° Il continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire. La carte de séjour pluriannuelle porte la même mention que la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire. La carte de séjour pluriannuelle n'est pas délivrée à l'étranger titulaire de la carte de séjour temporaire mentionnée aux articles L. 313-6 et L. 313-7-1, au 2° de l'article L. 313-10 et à l'article L. 316-1. II. - L'étranger bénéficie, à sa demande, du renouvellement de la carte de séjour pluriannuelle s'il continue de remplir les conditions de délivrance prévues au 2° du I du présent article. ". Aux termes de l'article L. 313-18 du même code " La carte de séjour pluriannuelle a une durée de validité de quatre ans, sauf lorsqu'elle est délivrée : 1° A l'étranger mentionné à l'article L. 313-7. Dans ce cas, sa durée est égale à celle restant à courir du cycle d'études dans lequel est inscrit l'étudiant, sous réserve du caractère réel et sérieux des études, apprécié au regard des éléments produits par les établissements de formation et par l'intéressé. Un redoublement par cycle d'études ne remet pas en cause, par lui-même, le caractère sérieux des études ; 2° Aux étrangers mentionnés aux 4°, 6° et 7° de l'article L. 313-11 ainsi qu'à l'article L. 313-13. Dans ce cas, sa durée est de deux ans ; 3° A l'étranger mentionné au 11° de l'article L. 313-11. Dans ce cas, sa durée est égale à celle des soins. ". Aux termes enfin de l'article L. 313-25 du même code " Une carte de séjour pluriannuelle d'une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour : 1° A l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l'article L. 712-1 ; 2° A son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s'il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale dans les conditions prévues à l'article L. 752-1 ; ".
4. D'une part, pour rejeter la demande de titre de séjour " vie privée et familiale " " pluriannuelle " pour une durée de 4 ans explicitement présentée par M. C..., le 27 mars 2019, dans un formulaire de " demande de titre de séjour ", la préfète de la Vienne a visé les dispositions de l'article L. 313-11 7° alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et a fait mention d'une part, de sa précédente demande du 21 octobre 2014 tendant à la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale " en qualité de conjoint d'un ressortissant qui s'est vu reconnaître une protection subsidiaire et d'autre part, de ce que des cartes de séjour " vie privée et familiale - liens personnels et familiaux " délivrées à l'intéressé étaient valables du 17 octobre 2014 au 30 mars 2019. Ce faisant et alors que la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" présentée sur le fondement de l'article L. 313-11 7° alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a, en vertu des dispositions de l'article L. 313-1 alors en vigueur du même code, qu'une durée de validité limitée à un an, la préfète de la Vienne n'a pas examiné la demande de M. C... tendant à la délivrance d'un carte de séjour pluriannuelle sur le fondement des articles L. 313-17 ou L. 313-11 25 précités alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La circonstance qui n'est pas entièrement démontrée par la préfète, que les précédents titres de séjour délivrés à M. C... n'auraient en réalité aucun lien, comme elle le prétend, avec la reconnaissance de la qualité de réfugié à son épouse, est sans influence sur cette omission dès lors que l'article L. 313-17 précité alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permet aussi de délivrer un titre pluri annuel. En outre, l'arrêté indique, à tort, que M. C... serait le père de trois enfants, alors qu'il est aussi le père d'un quatrième enfant né le 1er juillet 2019, circonstance que la préfète de la Vienne ne pouvait ignorer puisqu'elle a délivré au jeune enfant un document de circulation pour étranger mineur le 13 novembre 2019, soit postérieurement au dépôt de demande de titre de séjour de l'appelant mais antérieurement à la décision attaquée. Ce document ayant été édicté sur la base de l'acte de naissance de l'enfant mentionnant le nom du père, la préfète de la Vienne ne peut sérieusement soutenir qu'elle n'était pas informée de cette circonstance de fait, d'ailleurs importante puisqu'elle est de nature à traduire une reprise de la vie commune entre les époux. Il suit de là que l'arrêté attaqué est entaché d'un défaut de motivation en droit et d'un défaut d'examen de la situation personnelle du requérant.
5. D'autre part, si la préfète de la Vienne demande dans son mémoire en défense enregistré devant la cour, le 15 novembre 2021, une substitution de motifs en invoquant qu'elle aurait pris la même décision si elle avait rejeté la demande sur le fondement de l'article L. 313-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans la mesure où l'intéressé ne répond pas à la condition prévue par ce texte selon laquelle, pour bénéficier d'une carte pluriannuelle, il convient de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire dont il était précédemment titulaire, cette demande ne suffit pas à démontrer qu'elle aurait pris la même décision si elle avait pris en compte les éléments de fait mentionnés au point 4 du présent arrêt et notamment la naissance du 4ème enfant de M. et Mme C.... Au demeurant, une substitution de motifs ne serait pas de nature à purger le vice tenant à un défaut d'appréciation de la situation du requérant.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français et la fixation du pays de renvoi :
6. L'annulation du refus de délivrer à M. C... un titre de séjour " vie privée et familiale " pluri annuelle entraîne, par voie de conséquence, l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français contenue dans l'arrêté attaqué, ainsi que celle de la décision fixant le pays de renvoi.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard à ses motifs, l'annulation prononcée par le présent arrêt n'implique pas la délivrance à M. C... d'un titre de séjour, mais seulement le réexamen par la préfète de sa situation. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de la Vienne de procéder à ce réexamen dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Bouillaut, la somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2002743 du tribunal administratif de Poitiers du 4 mars 2021 et l'arrêté du 28 septembre 2020 par lequel la préfète de la Vienne a refusé de délivrer à M. C... un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Vienne de procéder au réexamen de la demande de M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pendant la durée de ce réexamen.
Article 3 : En application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'Etat versera à Me Bouillaut, avocat de M. C..., la somme de 1 200 euros, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
M. Dominique Ferrari, président-assesseur,
M. Nicolas Normand, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2022.
Le rapporteur,
Nicolas Normand La présidente,
Evelyne Balzamo Le greffier,
André Gauchon La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX02412