Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 9 janvier 2020 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2000462 du 10 décembre 2020, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 février 2021, Mme B..., représentée par Me Deporcq, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Guadeloupe du 9 janvier 2020, ou subsidiairement la seule interdiction de retour et le signalement Schengen qui en résulte ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " sous astreinte de 150 euros par jour de retard
à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours, sous la même astreinte, et de lui délivrer, dans l'attente, un récépissé de demande de titre de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal s'est borné à paraphraser le mémoire en défense de la préfecture sans s'interroger sur les règles de droit et sur les faits ; en affirmant que les justificatifs relatifs à la contribution de son compagnon à l'entretien et à l'éducation de leur enfant n'étaient pas suffisants, les premiers juges ont insuffisamment motivé le jugement ;
- l'arrêté du préfet ne comporte aucune motivation en fait, ce qui démontre un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle réside en France depuis près de sept ans, y éduque son enfant avec son compagnon et n'a plus aucun lien avec sa famille restée en Haïti où sa cellule familiale ne pourrait se reconstituer aisément dès lors qu'elle a quitté ce pays, que sa fille, scolarisée en France, ne connaît pas ; elle dispose d'une promesse d'embauche en cas de régularisation, a accepté jusqu'à présent " différents jobs " et paie ses impôts ; ainsi, elle a droit à un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire français, qui aurait pour effet de la séparer de sa fille ou de l'obliger à l'emmener dans un pays où elle n'a jamais vécu en interrompant sa scolarité, méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- la décision fixant à trente jours le délai de départ volontaire est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que les circonstances pouvaient conduire le préfet à accorder un délai supplémentaire ;
- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée et méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'interdiction de retour est entachée d'incompétence ; elle est insuffisamment motivée au regard des critères fixés à l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet ne s'est pas prononcé sur chacun de ces critères ; elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité haïtienne, a déclaré être entrée en France en 2014. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 18 novembre 2014, puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA)
le 3 avril 2015. Le 24 juin 2019, elle a sollicité son admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale en se prévalant de son concubinage avec un compatriote en situation régulière et de la naissance de leur enfant le 28 mars 2016. Par un arrêté du 9 janvier 2020, le préfet de la Guadeloupe a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme B... relève appel du jugement du 10 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Le jugement est régulièrement motivé en droit et en fait. La circonstance que les premiers juges ont estimé que les pièces produites ne suffisaient à justifier ni d'une communauté de vie entre Mme B... et le père de sa fille, ni de la contribution de ce dernier à l'entretien de l'enfant relève du bien-fondé, et non de la régularité du jugement.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
3. En premier lieu, la décision de refus de titre de séjour indique que Mme B... déclare vivre en concubinage avec le père de son enfant, ressortissant haïtien en situation régulière, mais n'en justifie pas. Cette motivation est suffisante en fait, et il en ressort que le préfet de la Guadeloupe a procédé à l'examen particulier de la situation.
4. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; / (...)."
5. Mme B... produit en appel les mêmes pièces qu'en première instance, constituées de factures et de justificatifs de résidences séparées concernant soit elle-même, soit le père de sa fille, l'existence d'une même adresse ne pouvant être regardée comme établie qu'à compter du 18 octobre 2019, moins de trois mois avant la décision de refus de titre de séjour. Ces pièces impersonnelles, dont aucune, même postérieurement au 18 octobre 2019, n'est libellée aux deux noms de la requérante et du père de son enfant, ne démontrent pas l'existence d'une vie familiale. Dans ces circonstances, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le refus de titre de séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte contraire aux stipulations et dispositions précitées.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à invoquer, par la voie de l'exception, une illégalité de la décision de refus de titre de séjour.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
8. L'existence de relations entre l'enfant de Mme B... et son père n'est pas établie, et il n'est pas démontré que la scolarisation de l'enfant, âgée de quatre ans et demi à la date de la décision opposée à sa mère, ne pourrait se poursuivre en Haïti. Par suite, le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français méconnaîtrait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli.
9. En troisième lieu, pour les motifs exposés au point 5, l'obligation de quitter le territoire français ne peut être regardée comme entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation de Mme B....
Sur la décision fixant à trente jours le délai de départ volontaire :
10. Mme B..., qui se borne à faire valoir que le préfet aurait pu lui accorder un délai supérieur à trente jours, ne justifie pas de circonstances particulières de nature à faire regarder comme entaché d'erreur manifeste d'appréciation le délai de départ volontaire qui lui a été accordé.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
11. Aux termes de l'article de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants. " Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
12. En premier lieu, la décision fixant le pays de renvoi est suffisamment motivée en fait par les références aux notifications des décisions de rejet de la demande d'asile de Mme B... par l'OFPRA et par la CNDA et par l'indication qu'il n'est pas contrevenu aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. En second lieu, en se bornant à invoquer un climat sanitaire, d'insécurité et de violence en Haïti, " notamment en raison des séismes que l'île a subis ", Mme B... ne démontre pas qu'elle serait exposée à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans ce pays.
Sur l'interdiction de retour :
14. Aux termes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date de la décision en litige : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
15. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... résidait en France depuis cinq ans à la date de la décision, qu'elle n'y est pas dépourvue de toute attache dès lors que le père de sa fille y réside régulièrement, et qu'elle n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement. Il est constant que sa présence ne représente pas une menace pour l'ordre public. Dans ces circonstances, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'elle invoque, Mme B... est fondée à soutenir que la décision lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée d'un an est entachée d'erreur d'appréciation.
16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe n'a pas annulé l'interdiction de retour du 9 janvier 2020.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
17. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Aux termes de l'article R. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les modalités de suppression du signalement d'un étranger effectué au titre d'une décision d'interdiction de retour sont celles qui s'appliquent, en vertu de l'article 7 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées, aux cas d'extinction du motif d'inscription dans ce traitement. " Aux termes de l'article 7 du décret du 28 mai 2010 : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le fichier sont effacées sans délai en cas (...) d'extinction du motif de l'inscription. (...) ".
18. Le présent arrêt implique seulement que soit effacé le signalement aux fins de non-admission de Mme B... dans le système d'information Schengen. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de mettre en œuvre la procédure d'effacement de ce signalement dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte relatives à la délivrance d'un titre de séjour ou au réexamen de la demande de titre de séjour doivent être rejetées.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme
à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision du 9 janvier 2020 par laquelle le préfet de la Guadeloupe a fait interdiction de retour pour une durée d'un an sur le territoire français à Mme B... est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Guadeloupe de mettre en œuvre la procédure d'effacement du signalement aux fins de non-admission de Mme B... dans le système d'information Schengen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 2000462 du
10 décembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 février 2022.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 21BX00493