Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme J... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 3 août 2020 par lequel le préfet de la Guyane a refusé de lui renouveler un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ de 30 jours et a fixé le pays de destination.
Par une ordonnance n° 2000872 du 8 mars 2021, le président du tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 juin 2021, Mme Poeketi, représentée par Me Pialou demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 8 mars 2021 du président du tribunal administratif de la Guyane ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Guyane du 3 août 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Guyane, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois et de lui remettre une autorisation provisoire de séjour avec droit au travail sous 8 jours, sous astreinte de 50 euros par jour retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande sous les mêmes conditions.
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 2017 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur la régularité de l'ordonnance :
- c'est à tort que le président du tribunal a estimé que sa demande était irrecevable ;
Sur l'arrêté dans son ensemble :
- il est entaché d'incompétence de son auteur ;
Sur la légalité de la décision portant refus de séjour :
- elle est entachée d'erreurs de fait substantielles ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale par exception d'illégalité du refus de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Par courrier du 26 janvier 2022 il a été demandé au préfet de la Guyane de produire l'arrêté donnant délégation de signature à M. A... H... pour signer la décision attaquée du 3 août 2020.
Le préfet de la Guyane a produit un mémoire en production de pièces enregistré le 2 février 2022.
Mme Poeketi a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 8 juillet 2021 du bureau de l'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Nicolas Normand.
Considérant ce qui suit :
1. Mme Poeketi, ressortissante surinamaise, née en 1987, est entrée en France selon ses déclarations en 2003. Elle s'est vue délivrer à compter du 21 juillet 2014 des titres de séjour d'une durée d'un an l'autorisant à travailler dont le dernier expirait le 20 juillet 2016. Sa demande tendant au renouvellement de son titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été rejetée par un arrêté préfectoral en date 22 décembre 2016, lui faisant en outre, obligation, sans délai, de quitter le territoire français, fixant le pays de renvoi et lui interdisant le retour en France durant une période de deux ans. Par un jugement du 1er juin 2018, le tribunal administratif de la Guyane n'a annulé cet arrêté qu'en tant qu'il porte interdiction de retour sur le territoire français. Mme Poeketi a de nouveau sollicité le renouvellement de son séjour en Guyane et par décision du 3 août 2020, le préfet de la Guyane a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Mme Poeketi relève appel de l'ordonnance du 8 mars 2021 par laquelle le président du tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative " Les présidents de tribunal (...) cours administratives d'appel (...) peuvent, par ordonnance : 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens ". Aux termes de l'article R. 412-2 du code de justice administrative : " Lorsque les parties joignent des pièces à l'appui de leurs requêtes et mémoires, elles en établissent simultanément un inventaire détaillé (...) Ces obligations sont prescrites aux parties sous peine de voir leurs pièces écartées des débats après invitation à régulariser non suivie d'effet. ". Aux termes de l'article R. 414-3 de ce code : " (...) Les pièces jointes sont présentées conformément à l'inventaire qui en est dressé. / Lorsque le requérant transmet, à l'appui de sa requête, un fichier unique comprenant plusieurs pièces, chacune d'entre elles doit être répertoriée par un signet la désignant conformément à l'inventaire mentionné ci-dessus. S'il transmet un fichier par pièce, l'intitulé de chacun d'entre eux doit être conforme à cet inventaire. Le respect de ces obligations est prescrit à peine d'irrecevabilité de la requête (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 612-1 du même code : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser [...] ".
3. Pour rejeter comme irrecevable, la demande de Mme Poeketi, le président du tribunal administratif de la Guyane a relevé que si cette demande a été présentée au tribunal le 7 octobre 2020 et au moyen de l'application Télérecours prévue à l'article R. 414-1 du code de justice administrative et accompagnée d'un inventaire mentionnant 38 pièces par ordre croissant, toutefois à la date de l'ordonnance, Mme Poeketi n'avait répondu ni à la lettre du tribunal du 7 octobre 2020, notifiée le 8 octobre 2020, l'invitant, par le biais de son avocat, à régulariser sa requête dans un délai de quinze jours conformément aux dispositions de l'article R. 414-3 du code de justice administrative ni à la lettre du 28 octobre 2020, notifiée à son conseil le jour suivant, demandant à Mme Poeketi de remettre la pièce 38, manquante, et la preuve du dépôt de sa demande d'aide juridictionnelle au tribunal, dans un délai de huit jours.
4. Il ressort des pièces du dossier que dans une lettre du 7 octobre 2020 portant accusé de réception de la requête et demande de régularisation, le greffier en chef du tribunal a informé l'avocat de la requérante qu'en méconnaissance de l'article R. 412-1 du code de justice administrative qui oblige à produire la décision attaquée, l'acte contesté est illisible et qu'à défaut de régularisation dans le délai de 15 jours, ou si la régularisation n'est pas conforme à la demande, la requête pourra être rejetée par ordonnance pour irrecevabilité manifeste dès l'expiration de ce délai. Dans une lettre du même jour, le greffier en chef du tribunal a demandé à l'avocat de la requérante de verser au dossier dans un délai de 15 jours les pièces 34 à 38 illisibles annoncées dans la demande et la preuve du dépôt de la demande d'aide juridictionnelle. Enfin, dans une lettre du 28 octobre 2020, le greffier en chef du tribunal a demandé à l'avocat de la requérante de verser au dossier dans un délai de 8 jours la pièce 38 annoncée dans la demande et la preuve du dépôt de la demande d'aide juridictionnelle. La requérante n'a répondu que partiellement à ces demandes puisqu'elle n'a communiqué de nouveau, dans une forme lisible, que les pièces 33 à 37 au nombre desquelles figure la décision attaquée.
5. Toutefois et d'une part, dans l'un de ses courriers du 7 octobre 2020 et dans sa lettre du 28 octobre 2020, le greffier en chef du tribunal n'a pas informé la requérante de ce que la juridiction peut, en application de l'article R. 612-1 du code de justice administrative, rejeter ses conclusions en relevant d'office leur irrecevabilité pour absence de régularisation dans le délai imparti. Par suite, faute d'avoir informé la requérante des conséquences qui s'attachaient au défaut de production des pièces demandées, l'ordonnance attaquée est irrégulière.
6. D'autre part, le défaut de production, de façon lisible, de la pièce 38 intitulée " dernier avis d'impôt de Madame " n'est pas de nature à entraîner l'irrecevabilité de la demande dès lors qu'en application de l'article R. 412-2 précité du code de justice administrative, la seule conséquence qui s'attache à cette omission est que cette pièce soit écartée des débats si l'invitation à régulariser n'a pas été suivie d'effet. Par ailleurs, conformément aux dispositions de l'article R. 414-3 du même code, les pièces jointes à la demande étaient numérotées et présentées en fichiers comprenant plusieurs pièces répertoriées par des signets les désignant conformément à l'inventaire fourni. Il suit de là que l'ordonnance attaquée n'est pas davantage, de ce chef, régulière.
7. Enfin, le président du tribunal ne pouvait pas estimer implicitement qu'en l'absence de production de la preuve du dépôt de la demande d'aide juridictionnelle, la demande contentieuse enregistrée devant le tribunal le 7 octobre 2020 tendant à l'annulation de la décision du 3 août 2020 était irrecevable dès lors que la date de notification de cette décision n'était pas connue de sorte que le point de départ du délai de recours de deux mois dont disposait la demanderesse en application de l'article R. 412-1 du code de justice administrative pour la contester n'était pas davantage connu. Là encore, l'ordonnance attaquée est irrégulière.
8. Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance attaquée doit être annulée. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par voie d'évocation, sur les conclusions à fin d'annulation présentées devant le tribunal par Mme Poeketi, qui sont recevables, tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 3 août 2020.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
9. Par un arrêté du 31 décembre 2019 portant délégation de signature à M. E... F..., directeur général de la sécurité, de la réglementation et des contrôles, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du 2 janvier 2020, le préfet de la Guyane lui a donné délégation à l'effet de signer les actes en matière d'accueil au séjour des étrangers, d'instruction des titres de séjour, d'éloignement et de contentieux. Par ce même arrêté, M. F... a été autorisé, sur ce point, à subdéléguer sa signature aux agents placés sous son autorité. Enfin, par un arrêté du 18 mars 2020, M. F... a donné délégation à M. A... H..., chef du bureau de l'éloignement et du contentieux, signataire de l'arrêté attaqué, pour signer en cas d'absence ou d'empêchement de M. C... G..., directeur général adjoint de la sécurité, de la réglementation et des contrôles et directeur de l'immigration et de la citoyenneté, les décisions en matière d'éloignement et de contentieux. Ce même arrêté donne compétence à M. B... D..., chef du bureau et de l'accueil séjour et asile pour signer, en cas d'absence ou d'empêchement de M. C... G..., les décisions en matière d'accueil au séjour des étrangers et en matière d'asile. Il suit de là que M. H... n'était pas compétent pour signer la décision du 3 août 2020 par laquelle il a refusé de renouveler le titre de séjour de Mme Poeketi.
10. En raison des effets qui s'attachent à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de refus de renouvellement de titre de séjour, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination qui ont été prises en application de l'acte annulé doivent être annulées par voie de conséquence.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que Mme Poeketi est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 3 août 2020 du préfet de la Guyane.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Eu égard à ses motifs, l'annulation prononcée par le présent arrêt n'implique pas la délivrance à Mme Poeketi d'un titre de séjour, mais seulement le réexamen par le préfet de sa situation. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Guyane de procéder à ce réexamen dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pialou, de la somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2000872 du président du tribunal administratif de la Guyane du 8 mars 2021 et l'arrêté du 3 août 2020 du préfet de la Guyane sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Guyane de procéder au réexamen de la demande de Mme Poeketi dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pendant la durée de ce réexamen.
Article 3 : En application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'Etat versera à Me Pialou, avocate de Mme Poeketi, la somme de 1 200 euros, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme J... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Guyane.
Délibéré après l'audience du 15 février 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
M. Nicolas Normand, premier conseiller,
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2022.
Le rapporteur,
Nicolas Normand La présidente,
Evelyne Balzamo Le greffier,
André Gauchon La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX02492