Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Sécurité Protection a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 3 juillet 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement pour faute de M. A..., ensemble la décision née le 17 décembre 2017 portant rejet implicite de son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 1800185 du 26 juin 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 août, 28 septembre et 14 décembre 2020, la société Sécurité Protection, représentée par la Selarl Guérin et Delas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 26 juin 2020 ;
2°) d'annuler la décision de l'inspecteur du travail en date du 3 juillet 2017 et la décision, née le 17 décembre 2017, portant rejet implicite de son recours hiérarchique ;
3°) de rejeter l'intervention du syndicat Sud Solidaire Prévention Sécurité Sûreté du 28 janvier 2020.
Elle soutient que :
- aucune enquête contradictoire sur le site Eurotunnel n'a été menée, enquête qui aurait permis à l'inspecteur du travail, d'une part, de prendre en compte les particularités du site et les exigences et obligations lui incombant au titre de la sécurisation des lieux, d'autre part, de constater la matérialité et la gravité des manquements de l'intéressé aux règles applicables à son contrat de travail ; l'enquête menée a été ainsi partielle, incomplète et défaillante ; le tribunal qui s'est borné à relever une absence d'objectivité de l'inspecteur du travail sans vérifier le caractère suffisamment étayé de l'enquête a écarté à tort ce moyen ;
- la matérialité des manquements du salarié, soit un refus illégitime d'exécuter sa mission le 17 février 2017 et une prise de fonction sur le lieu de travail sans l'accompagnement du chien le 12 mars 2017, est établie et non contestée ; contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, l'inspecteur du travail, en ne se rendant pas sur les lieux, n'a pu apprécier la gravité des manquements et a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
- le refus d'autorisation est entaché d'une appréciation erronée du caractère fautif et suffisamment grave des faits reprochés à M. A..., compte tenu des particularités du site, classé comme site d'importance vitale, des exigences de sécurité qui lui sont imposées et du passé disciplinaire de l'intéressé ;
- ainsi, les propos racistes reprochés à l'intéressé sont d'une gravité suffisante pour être sanctionnés ; par ailleurs, l'administration ne pouvait sans erreur d'appréciation retenir la légitimité du droit de retrait exercé par l'intéressé, moyen auquel l'inspecteur du travail ni le tribunal ne répondent ; enfin, s'agissant de l'incident du 12 mars 2017, la prise de fonction sans le chien est contraire au statut et aux obligations de M. A..., au cahier des charges et aux obligations de son employeur, et est de nature à désorganiser le service, sans que les arguments avancés en défense ne puissent l'exonérer de cette faute ; il a entaché sa décision d'une erreur de droit et d'appréciation en ne prenant pas en compte la décision du 4 mai 2017 du CHSTC qui a estimé que le droit au retrait de l'intéressé était infondé ;
- l'inspecteur a commis des erreurs de fait en retenant qu'il n'existait pas de relevé d'écart de performance d'Eurotunnel sur l'incident du 17 février 2017, ni de plan de prévention des risques opposable à l'agent qui fait mention des agents cynophiles de la société Sécurité Protection contrairement à ce qu'a retenu le tribunal ;
- le refus d'autoriser le licenciement est entaché de détournement de pouvoir et d'erreur d'appréciation, dès lors que la société se trouve dans l'impossibilité d'affecter M. A... sur le site d'Eurotunnel, pour lequel son habilitation a été retirée, et de lui proposer une mutation, qu'il refuse, et que l'intéressé se trouve dans une impasse juridique, le licenciement étant ainsi la seule alternative possible.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2020, M. A..., représenté par Me Miallon, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Sécurité Protection d'une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire, enregistré le 4 avril 2022, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Elle s'en remet aux conclusions du rapport du contre-enquêteur de la DIRECCTE établi dans le cadre du recours hiérarchique présenté par la société Sécurité Protection.
Par un courrier du 7 septembre 2022, les parties ont été informées de ce qu'en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant au rejet de la demande d'intervention du syndicat Sud Solidaire Prévention Sécurité Sûreté du 28 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... C...,
- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique,
- et les observations de Me Guérard, représentant la société Sécurité Protection.
Considérant ce qui suit :
1. La société Sécurité Protection, qui exerce une activité de sécurité et de sûreté, s'est vu attribuer un marché par la société Eurotunnel. Le 1er janvier 2013, le contrat de travail de M. A..., agent cynophile de sécurité exerçant depuis le 13 mars 2001 sur le site d'exploitation de la liaison fixe Transmanche (dit " tunnel sous la Manche ") classé installation d'importance vitale, lui a été transféré. Le 17 février 2017, M. A... a fait valoir son droit de retrait pour s'opposer à la mission " accompagnement bus " qui lui avait été confiée, puis le 12 mars 2017, il s'est rendu sur son lieu de travail sans être accompagné de son chien. A la suite de ces deux incidents, la société Eurotunnel a décidé de retirer à M. A... son habilitation d'entrée " badge rouge " sur son site d'exploitation. L'intéressé a alors fait l'objet d'une mutation disciplinaire sur un autre site par décision du 14 avril 2017, refusée par l'intéressé par courrier du 21 avril suivant. Par courrier du 25 avril 2017, M. A... a ensuite été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable, qui s'est déroulé le 5 mai 2017, en vue d'un éventuel licenciement. Par courrier du 9 mai 2017, la société Sécurité Protection a saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement disciplinaire de M. A..., salarié protégé en raison de sa mission de représentant de la section syndicale Sud Solidaires, Prévention Sécurité Sûreté. Par une décision du 3 juillet 2017, confirmée implicitement sur recours hiérarchique, l'inspecteur du travail a rejeté cette demande. La société Sécurité Protection a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler cette décision du 3 juillet 2017, ensemble le rejet implicite de son recours hiérarchique formé le 16 août 2017. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur la recevabilité des conclusions de la société Sécurité Protection :
2. La société Sécurité Protection demande à la cour de " déclarer irrecevable et en tout état de cause infondée l'intervention du syndicat Sud Solidaires Prévention Sécurité Sureté ". Toutefois, ce syndicat, dont l'intervention n'a pas été admise par les premiers juges, n'a pas produit d'écritures dans la présente instance. Par suite, de telles conclusions ne peuvent qu'être rejetées.
Sur la légalité des décisions en litige :
3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Lorsque la demande d'autorisation fait suite au refus, par le salarié protégé, d'accepter une sanction de moindre gravité au motif qu'elle entraîne une modification de son contrat de travail, il revient à l'inspecteur du travail de prendre en compte cette circonstance.
4. En premier lieu, la société Sécurité Protection persiste à soutenir en appel que l'inspecteur du travail a procédé à une enquête " partielle, incomplète et défaillante " à défaut de s'être rendu sur le site d'Eurotunnel pour réaliser ses investigations. Toutefois, alors qu'il ressort notamment de la décision de l'inspecteur du travail et du rapport établi par le contre enquêteur dans le cadre du recours hiérarchique présenté par la société Sécurité Protection que l'inspecteur du travail a procédé à un examen attentif de la matérialité et de la gravité des faits dont il était saisi en se fondant sur l'ensemble des éléments, remarques et explications, produits contradictoirement par le représentant de l'employeur, qu'il a reçu, par le directeur, entendu par téléphone, et par le salarié, rien ne permet en l'espèce d'estimer qu'une visite sur site aurait constitué un élément déterminant indispensable à la complétude de l'enquête. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure doit être écarté.
5. En deuxième lieu, pour refuser d'autoriser le licenciement de l'intéressé, l'inspecteur du travail a estimé que la matérialité du grief relatif à la tenue de propos à caractère raciste n'était pas matériellement établie, que l'incident du 17 février 2017 ne revêtait pas un caractère fautif et que l'incident du 12 mars 2017, s'il était constitutif d'une faute, n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement. Il a ainsi estimé que ces deux derniers griefs, dont la matérialité n'est pas contestée par l'intéressé, n'étaient pas suffisamment graves pour justifier le licenciement de M. A....
6. La société Sécurité Protection soutient que la décision en litige est entachée de plusieurs erreurs de faits. A cet égard, concernant le refus de mission " accompagnement bus " du 17 février 2017, la société requérante fait valoir que l'inspecteur du travail a commis des erreurs de fait en retenant qu'il n'existait pas de relevé d'écart de performance d'Eurotunnel, ni de plan de prévention des risques opposable à l'agent. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'inspecteur du travail s'est fondé à bon droit non sur l'inexistence de relevés d'écart de performance, mais sur le fait que ces documents n'avaient pas été produits par la société requérante à l'appui de sa demande. S'agissant du plan de prévention établi par la société Eurotunnel, contrairement à ce qui est soutenu, ce document ne comporte pas, s'agissant de la mission d'accompagnement en bus des migrants, de mentions spécifiques aux salariés de la société Sécurité Protection, cette prestation étant assurée par les salariés de la société Telga, selon l'annexe à ce plan. Par suite, c'est à bon droit que l'inspecteur du travail a estimé que la société requérante n'avait pas évalué les risques professionnels liés à cette mission avant de la confier aux agents cynophiles à partir du 1er janvier 2017. Il suit de là que le moyen tiré des erreurs de fait commises par l'inspecteur du travail doit être écarté.
7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que, le 17 février 2017, M. A... a refusé, en invoquant son droit de retrait, eu égard aux conditions de vie et d'hygiène des personnes transportées, de raccompagner en bus, sous l'autorité de quatre agents de la police aux frontières, des migrants qui s'étaient introduits sur le site Eurotunnel. Pour estimer que cet incident n'était pas d'une gravité suffisante pour autoriser son licenciement, l'inspecteur du travail a retenu à juste titre, d'une part, que les propos tenus par l'intéressé relatifs aux conditions de vie et d'hygiène des migrants ne pouvaient être qualifiés de racistes, dès lors que l'intéressé se bornait par écrit à invoquer la difficulté d'accès à l'hygiène des migrants, susceptible d'engendrer des risques pour sa santé, et, d'autre part, qu'il n'était par ailleurs pas établi que l'intéressé avait été informé de l'intégration dans sa fiche de poste de cette nouvelle mission, ni que des consignes de mise en œuvre avaient été diffusées. A cet égard si la société requérante justifie que cette mission incombait aux agents cynophiles depuis la modification, le 1er janvier 2017, des " consignes d'application permanente des agents de sécurité cynophiles ", elle ne justifie pas davantage en appel qu'en première instance des modalités de diffusion de cette nouvelle mission. Par suite, et alors que la société Sécurité Prévention ne peut utilement se prévaloir des conclusions de l'enquête du CHSTC du 4 mai 2017 au cours de laquelle M. A... n'a pas été entendu et qui est postérieure à la sanction de mutation initialement prise, l'autorité administrative a pu à bon droit retenir que cet incident ne présentait pas un caractère de gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit et de l'erreur d'appréciation commise par l'inspecteur du travail doit être écarté.
8. Par ailleurs, le dernier grief est tiré de ce que, le 12 mars 2017, M. A... a pris son poste sans être accompagné de son chien. Compte tenu des règles applicables à son contrat de travail d'agent cynophile, l'intéressé a, ce faisant, manqué à ses obligations. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A... a fait valoir sans être contredit qu'il avait été obligé de prendre le véhicule de son épouse, inadapté au transport du chien, en raison de la panne de son véhicule personnel au départ de son domicile. En outre, il n'est pas contesté que M. A... a averti sa hiérarchie dès son arrivée sur son lieu de travail et a pu être affecté sur un poste d'agent de sécurité. Par suite, l'autorité administrative n'a pas davantage commis d'erreur d'appréciation en écartant les faits reprochés comme insuffisamment graves pour justifier le licenciement de l'intéressé.
9. En dernier lieu, la société requérante soutient qu'elle se trouve dans une impasse juridique, ne pouvant affecter M. A... sur le site d'Eurotunnel, compte tenu du retrait de son habilitation, alors qu'il refuse la mutation qui lui a été proposée. Ainsi que l'a indiqué le tribunal, bien que ces circonstances soient de nature à rendre impossible l'exécution du contrat de travail de M. A..., il ressort des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement de la société Sécurité Protection a été présentée sur le seul terrain de la faute disciplinaire. Dans ces conditions, alors que l'autorité administrative ne peut autoriser le licenciement d'un salarié protégé pour un motif distinct de celui invoqué par l'employeur à l'appui de sa demande, il ne lui appartenait pas de rechercher si le licenciement de M. A... aurait été possible pour un autre motif que le motif disciplinaire invoqué. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision refusant son licenciement serait entachée d'une erreur d'appréciation et de détournement de pouvoir ne peut qu'être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Sécurité Protection n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 3 juillet et 17 décembre 2017 en litige.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Sécurité Protection la somme de 1 500 euros à verser à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Sécurité Protection est rejetée.
Article 2 : La société Sécurité Protection versera à M. A... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sécurité Protection, à M. D... A... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Florence Demurger, présidente,
Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 octobre 2022.
La rapporteure,
Caroline C...
La présidente,
Florence DemurgerLa greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20BX02841