Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 21 mars 2022 par lequel la préfète de la Corrèze l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n°2200841 du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 février 2023, M. A..., représentée par Me Ouangari, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 octobre 2022 du tribunal administratif de Limoges ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 mars 2022 de la préfète de la Corrèze ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Corrèze de lui délivrer un titre de séjour ; à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 600 euros au titre de la première instance et de 2 000 euros au titre de la procédure d'appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- si la cour devait considérer que l'arrêté du 21 mars 2022 comporte une décision de refus de titre de séjour, les moyens qu'il a soulevés à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français sont également dirigés contre cette décision ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision, prise au visa de l'article L. 611-1 3° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est entachée d'un défaut de base légale en l'absence de décision de refus de titre de séjour ;
- l'avis du collège de l'OFII du 3 janvier 2022 a été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière ;
- cette décision est entachée d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation concernant son état de santé au regard des articles L. 421-9 et L. 611-3 9° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- cette décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
- cette décision est entachée d'un défaut de base légale en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement sur laquelle elle se fonde ;
- cette décision est entachée d'erreur de fait, d'erreur de droit, d'erreur d'appréciation et porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Ressortissant ivoirien né le 14 octobre 1992, M. A... déclare être entré en France en septembre 2019 muni d'un visa de court séjour Schengen valable du 15 septembre au 14 décembre 2019. Sa demande d'asile a été définitivement rejetée par une décision du 18 août 2021 de la Cour nationale du droit d'asile. M. A... s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " en raison de son état de santé valable du 17 mars au 16 septembre 2021. Il en a demandé le renouvellement le 6 septembre 2021. Par un arrêté du 21 mars 2022, la préfète de la Corrèze lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. A... fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Limoges du 6 octobre 2022 a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 21 mars 2022 :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) /3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative peut prononcer une obligation de quitter le territoire français lorsque le silence gardé pendant quatre mois sur une demande de délivrance ou de renouvellement d'un titre de séjour a fait naître une décision implicite de rejet, sans qu'il lui soit impératif d'opposer au préalable un refus explicite de titre de séjour.
4. Il ressort des pièces du dossier et notamment des termes de l'arrêté, et de l'avis défavorable du collège des médecins de l'OFII du 3 janvier 2022 qu'en raison du silence gardé par la préfète était née à la date de l'arrêté en litige une décision implicite de rejet de sa demande du 6 septembre 2021. Dès lors, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision d'obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut de base légale en l'absence de décision de refus de titre de séjour préalable. Par suite, la préfète de la Corrèze a pu, sans commettre d'erreur de droit, se fonder sur le 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour édicter l'obligation de quitter le territoire français contestée.
5. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de la Corrèze ait entaché sa décision d'un défaut d'examen individuel de la situation de l'appelant.
6. En troisième lieu, alors qu'en raison du secret médical le préfet n'est pas en mesure de produire le rapport médical sur la base de laquelle s'est prononcé le collège des médecins de l'OFII, et qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... aurait engagé des démarches pour en obtenir la transmission, la seule circonstance que l'avis de cette instance a évolué depuis un précédent avis émis en mars 2021 n'est pas à elle seule de nature à établir que ce rapport serait irrégulier ou entaché d'erreur matérielle. Par ailleurs, alors qu'il appartenait au requérant de transmettre au collège des médecins de l'OFII l'ensemble des informations pertinentes pour l'examen de sa demande, et alors qu'il n'existe pas d'obligation pour le collège de convoquer l'intéressé, l'absence de demande de la part du collège d'informations complémentaires n'est pas de nature à entacher son avis d'irrégularité quand bien même l'intéressé aurait subi un nouvelle intervention chirurgicale un mois après le dépôt de sa demande. Au demeurant il ressort des pièces du dossier que cette intervention a eu lieu en octobre 2022, plusieurs mois après l'avis du collège des médecins et l'édiction de l'arrêté en litige. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de l'avis du collège des médecins de l'OFII doit être écarté.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article L. 611-3 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...)
9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.(...) "
8. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
9. L'avis du collège de médecins de l'OFII du 3 janvier 2022 indique que l'état de santé du requérant nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il peut y voyager sans risque. M. A... se prévaut de l'avis du même collège du 3 mars 2021 qui retenait que l'absence de traitement pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'un traitement approprié n'était pas disponible dans son pays d'origine, et soutient que son état de santé, son suivi et son traitement n'ont pas évolué depuis cette date. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé, qui a levé le secret médical, souffre d'un pied bot qui a été opéré le 30 mars 2021. Alors que l'avis du collège des médecins du 3 mars 2021 retenait la nécessité d'un traitement de 6 mois, la production d'un compte rendu radiologique du 4 juin 2021 faisant état d'une suspicion de neuro-algodystrophie et la circonstance qu'il a fait l'objet d'une nouvelle intervention le 3 octobre 2022, dont l'objet n'est au demeurant pas précisé, ne sont pas de nature à remettre en cause l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Par suite, la préfète n'a pas fait une inexacte application des dispositions des articles L. 425-9 et L. 611-3 9° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. En cinquième lieu, si M. A... se prévaut de son séjour en France depuis 2019, sa présence en France est récente et n'était justifiée que par l'examen de sa demande d'asile puis la durée nécessaire au traitement de son état de santé et il ne fait état d'aucun élément d'intégration particulière dans la société française, le contrat de travail de quelques jours et la formation dont il se prévaut étant postérieurs à la décision en litige. Dans ce contexte, et alors qu'il a vécu 27 ans en Côte d'Ivoire et qu'il ne se prévaut d'aucune attache familiale en France, il ne peut être regardé comme y ayant fixé le centre de ses intérêts personnels. Enfin, ainsi qu'il a été dit au point précédent, la gravité des conséquences d'une absence de traitement n'est pas établie. Dès lors, la décision contestée ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts qu'elle poursuit. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, la préfète n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation de M. A....
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
11. Aux termes de l'article 3 de cette convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " et aux termes l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " 3° (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
12. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... serait exposé à des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Côte d'Ivoire, alors qu'ainsi qu'il a été dit l'extrême gravité de son état de santé et la nécessité impérieuse de poursuivre les soins dont il se prévaut ne sont pas établies par les pièces du dossier. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté. Pour les mêmes motifs, la préfète n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation de M. A....
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
13. Il ressort des pièces du dossier que pour prendre la décision d'interdiction de retour la préfète s'est fondé sur les circonstances que le requérant se maintenait irrégulièrement sur le territoire depuis que sa demande d'asile avait été rejetée et qu'il était entré en France le 21 septembre 2021. Or ainsi qu'il a été dit, parallèlement à l'examen de sa demande d'asile déposée le 13 novembre 2019, qui été définitivement rejetée le 18 août 2021, M. A... s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire en raison de son état de santé valable du 17 mars au 16 septembre 2021, dont il a demandé le renouvellement le 6 septembre 2021 et pour lequel il a bénéficié d'un récépissé valable jusqu'au 2 juillet 2022. Dès lors cette décision est entachée d'erreur de fait et il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète aurait pris la même décision si elle ne s'était pas fondée sur le caractère irrégulier du séjour de l'intéressé.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande en ce qu'elle tendait à l'annulation de la décision du 21 mars 2022 lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an et à demander, dans cette mesure, la réformation de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. Le présent arrêt, qui se borne à annuler la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, n'implique aucune des mesures d'exécution sollicitées. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A....
Sur les frais liés à l'instance :
16. L'État n'étant pas pour l'essentiel la partie perdante dans la présente instance, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DECIDE :
Article 1er : La décision du 21 mars 2022 de la préfète de la Corrèze faisant interdiction à M. A... de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an est annulée.
Article 2 : Le jugement n° 2200841 du 6 octobre 2022 du tribunal administratif de Limoges est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Corrèze.
Délibéré après l'audience du 15 juin 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juillet 2023.
La rapporteure,
Christelle Brouard-LucasLe président,
Jean-Claude Pauziès
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 23BX00523