Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Défense des milieux aquatiques a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2020 par lequel le préfet de la Dordogne a règlementé l'exercice de la pêche en eau douce pour l'année 2021 en tant qu'il autorise la pêche aux engins et filets et la pêche de la lamproie.
Par un jugement n° 2100551 du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'article 4 de l'arrêté du 11 décembre 2020 du préfet de la Dordogne en tant qu'il autorise la pêche de la lamproie marine et rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
I°) Par une requête, enregistrée sous le n° 22BX01814 et des mémoires complémentaires, enregistrés les 4 juillet 2022, 27 juillet 2022 et 20 octobre 2023, l'association Défense des milieux aquatiques (DMA), représentée par Me Crecent, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement du 5 mai 2022 en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions ;
2°) d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2020 du préfet de la Dordogne relatif à l'exercice de la pêche en eau douce dans le département de la Dordogne pour l'année 2021, en tant qu'il concerne la pêche aux engins et filets et la pêche de la lamproie ;
3°) d'enjoindre à l'Etat d'une part, d'interdire la pose de filets dérivants et engins dans la Dordogne, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard, d'autre part, d'informer par tout moyen les administrés de la présente décision et de la publier sous huitaine sur son site internet ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'un défaut de motivation ; il ne se prononce pas sur le moyen tiré du défaut de l'évaluation des incidences des activités de pêche autorisée ;
- le jugement est entaché d'omission à statuer ; le tribunal n'a pas répondu au moyen de droit invoqué sur le fondement du III de l'article L. 414-4 du code de l'environnement et l'article 6§3 de la directive Habitat dont la méconnaissance était également invoquée ;
- elle entend reprendre l'ensemble des moyens soulevés devant le juge de première instance ;
- en écartant la nécessité d'une évaluation des incidences Natura 2000 pour l'activité de pêche aux engins et filets de la lamproie marine, le jugement méconnaît l'article 6 de la directive Habitats et les champs d'application respectifs de ses articles 6, 12, 14 et 16 ;
- en n'interdisant pas l'usage des filets non sélectifs sur le bassin de la Dordogne, site Natura 2000, le préfet s'est abstenu à tort de prévenir efficacement des captures intentionnelles ou accidentelles des espèces protégées (esturgeon européen, alose, saumon), qui peuvent engendrer la mort des spécimens intéressés ; les activités de pêche autorisées par l'arrêté contesté sont préjudiciables à la conservation de ces espèces ;
- les paragraphes III, IV et IV bis de l'article L. 414-4 du code de l'environnement ne sont pas conformes à la directive Habitat (6al3) en organisant une présomption d'absence d'effet significatif sans vérifier au cas par cas l'existence d'un effet significatif ou d'un risque ;
- l'article 6§3 de la directive Habitat du fait de l'absence de réalisation d'évaluation des incidences a été méconnu ; l'autorisation de pêche d'espèces d'intérêt communautaire sur les sites Natura 2000 est subordonnée à une évaluation préalable et appropriée des incidences Natura 2000 qui doit déterminer le caractère éventuellement significatif de son impact sur l'objectif des sites ; une activité de pêche constitue un "projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site" a priori "susceptible d'affecter ce site de manière significative" dès lors qu'il s'agit de capturer des espèces migratrices protégées dans une zone protégée ;
- en autorisant des filets capables de capturer des esturgeons, l'arrêté contesté déclenche des captures qui ne sont plus accidentelles et méconnait l'article 12 de la directive Habitat et sa transposition, ainsi que l'article L. 436-16 de code de l'environnement ;
- en autorisant à certaines périodes de l'année, la détention et la mise en œuvre de filets utilisables pour capturer des esturgeons et des saumons dans des eaux où la pêche de ces deux espèces est rigoureusement interdite, l'arrêté permet aux pêcheurs de se placer dans une situation explicitement réprimée par l'article L. 436-16 du code de l'environnement ;
- elle soulève l'exception d'illégalité du PLAGEPOMI Garonne, au regard de l'article 6§1 de la directive habitat ; les mesures de conservation imposées par cet article concernent les habitats et les espèces ; le PLAGEPOMI devait appliquer le droit de l'Union européenne, écarter l'exploitation par les engins et filets de pêche des espèces de poissons migrateurs protégés et réglementer la pêche des aloses à la ligne pour réduire son impact sur les individus au minimum ;
- l'article R. 436-45 ne constitue pas une transposition conforme de l'article 6§1 de la directive, en ne répondant pas, par une mesure de conservation, aux exigences écologiques de ces espèces et en faisant référence à la pêche (et à l'alevinage) de ces mêmes espèces ;
- l'interdiction de la pêche d'espèces protégées ne suffit pas à annuler les incidences de la pêche sur ces espèces ; l'obligation de remise à l'eau n'empêche pas les conséquences létales ou sub létales de la capture et de la manipulation ;
- l'arrêté litigieux détaille toutes les modalités annuelles de toutes les pêches départementales et doit être considéré comme un plan ou un projet nécessitant une évaluation chaque année au sens du I de l'article L. 414-4 du code de l'environnement ;
- faute d'évaluation des incidences Natura 2000, le préfet ne démontre pas que l'autorisation de pêche qu'il délivre n'a pas d'effets significatifs sur le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable des espèces comme l'y obligent les dispositions de la 2nde phrase du 1er alinéa et de la 3ème phrase du 3ème alinéa du V de l'article L. 414-1 du code de l'environnement ; les dispositions du IV bis et du V de l'article L. 414-4 du code de l'environnement ont été méconnues ;
- elle soulève l'exception d'illégalité du cahier des charges dont elle conteste d'ailleurs l'actuelle version 2022-2027 devant le tribunal administratif de Bordeaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par l'association requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 23 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 10 novembre 2023 à 12h00.
II°) Par une requête, enregistrée sous le n° 22BX01827 le 6 juillet 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour d'annuler le jugement du 5 mai 2022 du tribunal administratif de Bordeaux.
Il soutient que :
- le tribunal a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation dans la mise en œuvre du principe de précaution ; l'état d'abondance de la lamproie marine n'implique pas nécessairement de mettre un terme à la pêche de manière absolue mais seulement de restreindre, sans l'interdire, cette activité en question dès lors que la pêche n'exerce qu'une faible pression sur la population de lamproies eu égard notamment au nombre de pêcheurs professionnels concernés et au faible nombre de prises rapportées à l'état d'abondance de l'espèce ; des mesures alternatives peuvent contribuer à limiter l'impact sur l'espèce telles que la limitation de la saison de pêche dans le temps ou le contingentement du nombre de licences de pêche ; d'autres causes extérieures à la pêche sont à l'origine de la dégradation de l'état d'abondance de la lamproie marine ;
- si l'état de conservation de la lamproie marine s'est dégradé sur le bassin versant de la Gironde, cette espèce n'est pas menacée de dommage grave et irréversible à l'échelle nationale ;
- il n'est pas avéré que la pêche professionnelle soit déterminante dans l'altération de l'état de conservation de cette espèce ; l'interdiction de la pêche à la lamproie n'a qu'une incidence marginale sur l'évolution de l'effectif total de cette espèce dans ces deux cours d'eau de la Dordogne et de la Garonne.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 août 2023, l'association Défense des milieux aquatiques (DMA), représentée par Me Crecent, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'État la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la directive 92/43/CE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 20 décembre 2004 relatif à la protection de l'espèce esturgeon ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Martin,
- les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique,
- et les observations de Me Crecent, représentant l'association Défense des milieux aquatiques.
L'association Défense des milieux aquatiques a produit une note en délibéré enregistrée le 20 mars 2024.
Considérant ce qui suit :
1. La rivière la Dordogne, ainsi que la vallée de l'Isle de Périgueux à sa confluence avec la Dordogne ont été désignées zones spéciales de conservation ou " aires Natura 2000 " par arrêtés de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, en date du 27 octobre 2015. Il en est de même de l'affluent, la Vézère, par arrêté du 22 juillet 2014. Ces zones ont été désignées pour la conservation et la protection de plusieurs espèces figurant à l'annexe II de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite " directive Habitats ", dont l'esturgeon européen, le saumon atlantique, l'alose feinte, et plusieurs espèces de lamproie. Par un arrêté du 11 décembre 2020, le préfet de la Dordogne a fixé, pour l'année 2021, les conditions d'exercice de la pêche en eau douce dans le département de la Dordogne dans les cours d'eau de 1ère et 2ème catégorie. Cet arrêté prévoit les périodes, les horaires et les modes et moyens de pêche autorisés, les interdictions ainsi que la taille des poissons qui peuvent être prélevés, selon les catégories de cours et de plans d'eau et par espèce. Il autorise, dans les conditions qu'il définit, la pêche à la ligne, la pêche aux engins et aux filets pour les amateurs et les professionnels et interdit totalement la pêche de l'alose feinte, du saumon atlantique, de la truite de mer, de la grande alose, de l'anguille d'avalaison, de l'esturgeon européen et de la lamproie fluviatile. La pêche aux engins et filets par les professionnels et amateurs de la lamproie marine est autorisée du 1er janvier au 3ème dimanche d'avril et du 1er au 31 décembre inclus. L'association Défense des milieux aquatiques (DMA) a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté préfectoral du 11 décembre 2020 en tant qu'il autorise la pêche aux engins et filets et la pêche de la lamproie marine. Par jugement du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'article 4 de l'arrêté du 11 décembre 2020 en tant qu'il autorise la pêche de la lamproie marine. Par la requête enregistrée sous le n° 22BX01814, l'association DMA relève appel du jugement en tant que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le surplus de ses conclusions d''annulation de l'arrêté du 11 décembre 2020. Par la requête enregistrée sous le n° 22BX01827, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relève appel du même jugement dont il demande l'annulation. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes, qui portent sur un même jugement et présentent à juger des mêmes questions, pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.
2. Aux termes de l'article L. 414-1 du code de l'environnement : " (...) V. Les sites Natura 2000 font l'objet de mesures destinées à conserver ou à rétablir dans un état favorable à leur maintien à long terme les habitats naturels et les populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié leur délimitation. / Les sites Natura 2000 font également l'objet de mesures de prévention appropriées pour éviter la détérioration de ces mêmes habitats naturels et les perturbations de nature à affecter de façon significative ces mêmes espèces. /Ces mesures sont définies en concertation notamment avec les collectivités territoriales intéressées et leurs groupements concernés ainsi qu'avec des représentants de propriétaires, exploitants et utilisateurs des terrains et espaces inclus dans le site. /Elles tiennent compte des exigences économiques, sociales, culturelles et de défense, ainsi que des particularités régionales et locales. Elles sont adaptées aux menaces spécifiques qui pèsent sur ces habitats naturels et sur ces espèces. Elles ne conduisent pas à interdire les activités humaines dès lors qu'elles n'ont pas d'effets significatifs sur le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable de ces habitats naturels et de ces espèces. (...) ". L'article L. 414-4 de ce code prévoit que : " I. Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après " Evaluation des incidences Natura 2000" : / 1° Les documents de planification qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations, sont applicables à leur réalisation ; / 2° Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations ; / 3° Les manifestations et interventions dans le milieu naturel ou le paysage. (...) / III. Sous réserve du IV bis, les documents de planification, programmes ou projets ainsi que les manifestations ou interventions soumis à un régime administratif d'autorisation, d'approbation ou de déclaration au titre d'une législation ou d'une réglementation distincte de Natura 2000 ne font l'objet d'une évaluation des incidences Natura 2000 que s'ils figurent : / 1° Soit sur une liste nationale établie par décret en Conseil d'Etat ; / 2° Soit sur une liste locale, complémentaire de la liste nationale, arrêtée par l'autorité administrative compétente. / IV. Tout document de planification, programme ou projet ainsi que toute manifestation ou intervention qui ne relève pas d'un régime administratif d'autorisation, d'approbation ou de déclaration au titre d'une législation ou d'une réglementation distincte de Natura 2000 peut être soumis à autorisation en application de la présente section et fait alors l'objet d'une évaluation des incidences Natura 2000. Sans préjudice de l'application du IV bis, une liste locale des documents de planification, programmes ou projets ainsi que des manifestations ou interventions concernés est arrêtée par l'autorité administrative compétente parmi ceux figurant sur une liste nationale de référence établie par décret en Conseil d'Etat. / IV bis. Tout document de planification, programme ou projet ainsi que manifestation ou intervention susceptible d'affecter de manière significative un site Natura 2000 et qui ne figure pas sur les listes mentionnées aux III et IV fait l'objet d'une évaluation des incidences Natura 2000 sur décision motivée de l'autorité administrative. (...) ".
3. Il résulte des dispositions précitées du I et du IV bis de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, qui ont pour objet de transposer l'article 6 de la directive Habitats, que l'arrêté fixant les conditions d'exercice de la pêche en eau douce dans le département de la Dordogne doit donner lieu à une évaluation de ses incidences sur le site Natura 2000 situé dans son ressort géographique lorsque son exécution, et notamment l'exercice de l'activité de pêche qu'il organise, est susceptible d'affecter de manière significative les espèces à la protection desquelles ces sites sont dédiés. Enfin, il résulte du IV bis de l'article L. 414-4 du code de l'environnement que la circonstance que l'activité de pêche en litige ne figure pas sur les listes prévues au III de cet article ne la dispense pas de l'évaluation des incidences lorsque la condition figurant au I est remplie.
4. Il est constant qu'aucune évaluation des incidences n'a été réalisée à l'échelle du bassin de la Dordogne. Par suite, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 414-4 du code de l'environnement que l'arrêté fixant les conditions d'exercice de la pêche en eau douce dans le département de la Dordogne devait faire l'objet d'une évaluation d'incidences sur ce site Natura 2000 sous réserve qu'il soit susceptible de l'affecter de manière significative.
5. Il ressort des pièces du dossier que la rivière de la Dordogne, la vallée de l'Isle de Périgueux à sa confluence avec la Dordogne et l'affluent la Vézère ont été respectivement désignés zones spéciales de conservation ou " aires Natura 2000 " par arrêtés de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, en date du 22 juillet 2014 et du 27 octobre 2015. Ces zones ont été désignées pour la conservation et la protection de plusieurs espèces figurant à l'annexe II de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite " directive Habitats ", dont l'esturgeon, le saumon atlantique, l'alose et la lamproie.
En ce qui concerne la protection de l'esturgeon :
6. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 20 décembre 2004 relatif à la protection de l'espèce Acipenser sturio (esturgeon) : " Sont interdits sur tout le territoire national et en tout temps la destruction, l'altération ou la dégradation du milieu particulier des animaux provenant du territoire national, de l'espèce Acipenser sturio (esturgeon européen) jeunes ou adultes, la destruction ou l'enlèvement des œufs, la destruction, la mutilation, la capture, l'enlèvement, la perturbation intentionnelle ou la naturalisation d'individus de ces espèces, qu'ils soient vivants ou morts, ainsi que leur transport, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ".
7. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la liste rouge des espèces protégées dressée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), que l'esturgeon, espèce protégée en France depuis 1982, est classé " en danger critique d'extinction ". La dernière population mondiale de l'espèce est issue du bassin Gironde-Garonne-Dordogne. Le plan national d'actions 2011-2015 constate que, compte tenu de la fréquentation par cette espèce des eaux côtières où cohabitent de nombreuses autres espèces d'intérêt halieutique et commercial, et où sont présentes les flottilles de pêche, les mortalités occasionnées par les pêches accidentelles constitueraient l'une des principales menaces pour l'esturgeon. La majorité des captures accidentelles s'effectue, selon les lieux de pêche, au filet trémail dérivant ou au filet maillant dérivant. Les éléments recueillis pour l'élaboration du second plan national d'actions 2020-2029 en faveur de l'esturgeon européen constate un déclin rapide de l'espèce. Il recommande notamment de renforcer le programme de conservation in situ dans le but de réduire de manière significative les mortalités par pêche, induites par les captures accidentelles, et de protéger et d'améliorer la qualité et la continuité des habitats essentiels de l'esturgeon européen en fleuve et en estuaire. Si l'arrêté contesté prohibe totalement la pêche de l'esturgeon et si le plan national d'action prévoit de poursuivre les actions de sensibilisation et d'information des pêcheurs sur la nécessité de déclarer et de relâcher les spécimens pêchés accidentellement, conformément à l'article 3 de l'arrêté du 20 décembre 2004, il n'apparaît pas que ces mesures de précaution suffiraient à assurer le bon état de conservation de cette espèce, alors qu'il ressort du plan national d'actions 2020-2029 que " même peu nombreuses dans l'absolu, les prises ne sont pas négligeables, rapportées au très faible nombre d'individus qui composent actuellement l'ultime population et à la durée du cycle de l'esturgeon européen " et alors que le système fluvio-estuarien Gironde-Dordogne-Garonne est ciblé comme étant le territoire sur lequel l'essentiel des stratégies de conservation et/ou de restauration de l'espèce mises en place est prioritaire. Par suite, les mesures prévues par l'arrêté fixant les conditions d'exercice de la pêche en eau douce dans le département de la Dordogne ne permettent pas de s'assurer de l'absence d'atteinte significative aux objectifs de conservation de cette espèce au sein du site Natura 2000.
En ce qui concerne la protection du saumon atlantique :
8. Il ressort des pièces du dossier que le saumon atlantique, espèce inscrite à l'annexe II de la directive 92/43/CEE, est identifié comme étant quasi menacé sur la liste rouge des espèces protégées dressée en 2019 pour la France par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Le suivi des migrations en 2020 par l'association MIGADO, qui a pour objectif de gérer et de restaurer les huit espèces piscicoles migratrices du bassin Gironde-Garonne-Dordogne, a permis de constater que l'effort de repeuplement réalisé sur le bassin Garonne-Dordogne a représenté en moyenne plus d'un million de juvéniles par an mais que les populations sont toutefois fragiles et en cours de restauration. Or, la gestion durable de l'espèce passe par la protection des juvéniles, puisqu'il est nécessaire qu'un nombre suffisant d'individus atteignent l'âge où ils peuvent se reproduire afin d'assurer le renouvellement du stock. Les conditions environnementales, en particulier l'hydrologie, ainsi que les captures accidentelles liées à la pêche d'autres poissons migrateurs (alose feinte, lamproies) peuvent influer de façon notable sur les remontées d'adultes. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les mesures prises par l'arrêté attaqué suffiraient à assurer le bon état de conservation de cette espèce et l'absence d'atteinte significative.
En ce qui concerne la protection de la lamproie marine :
9. Par l'arrêté contesté, le préfet de la Dordogne autorise la pêche aux engins et aux filets de la lamproie marine du 1er janvier au 3ème dimanche d'avril et du 1er au 31 décembre. Il ressort des pièces du dossier que la situation de la lamproie marine, inscrite " en danger " sur la liste rouge des espèces menacées en France, qui ne peut être pêchée qu'à l'aide d'engins (filets dérivants ou nasses) est considérée comme étant très inquiétante sur le bassin Garonne-Dordogne et appelle des mesures de réduction de la pêche en particulier au filet dérivant, laquelle s'exerce uniquement en France sur ledit bassin. Ce constat de la chute drastique des effectifs recensés est confirmé en 2019 par l'association MIGADO. Les données de captures et d'effort de pêche ne sont pas disponibles pour les pêcheurs amateurs. Les conditions d'exploitation par la pêcherie professionnelle et amateure ne permettent pas d'expliquer les très faibles effectifs constatés depuis quelques années et laissent supposer l'existence d'autres facteurs à l'origine de la mortalité très importante des géniteurs de lamproies marines en amont des zones de pêches professionnelles. Le comité de gestion des poissons migrateurs du bassin Garonne-Dordogne-Charente-Seudre-Leyre a préconisé le 2 décembre 2020 un plan de sauvegarde en trois axes, comprenant la réduction de la pression de pêche des professionnels et des amateurs aux engins et filets. Compte tenu de la situation de cette espèce, les mesures prévues par l'arrêté fixant les conditions d'exercice de la pêche en eau douce dans le département de la Dordogne ne permettent pas de s'assurer de l'absence d'atteinte significative aux objectifs de sa conservation au sein des sites protégés Natura 2000 sur lesquels s'applique l'arrêté contesté.
En ce qui concerne la protection de la lamproie fluviatile :
10. La lamproie fluviatile fait également l'objet d'une protection particulière, au titre d'une part, d'" espèces d'intérêt communautaire " citée dans l'annexe II de la directive européenne " Habitats " et d'autre part, d'" espèces d'intérêt communautaire " classée à l'annexe V de cette directive. L'espèce est classée " vulnérable ", ce qui signifie qu'elle est confrontée à un risque élevé d'extinction à l'état sauvage. Or, aucun indicateur ne permet de disposer d'information précise sur le stock et son évolution, alors que son prélèvement et son exploitation sont susceptibles de faire l'objet de mesures de gestion. Dans ces conditions, il n'est pas démontré que les mesures prévues par l'arrêté fixant les conditions d'exercice de la pêche en eau douce dans le département de la Dordogne permettraient de s'assurer de l'absence d'atteinte significative aux objectifs de la conservation de cette espèce au sein du site concerné par l'arrêté attaqué.
En ce qui concerne la protection de l'alose (grande alose) :
11. La grande alose inscrite sur la liste rouge des espèces menacées en France en 2019 est " en danger critique " compte tenu de l'aggravation de sa situation. Il ressort des pièces du dossier, notamment du bilan pour la politique de gestion des poissons migrateurs du bassin de la Dordogne que s'agissant de la grande alose, laquelle fonctionne à l'échelle du bassin Gironde-Garonne-Dordogne, ses effectifs se maintiennent à un niveau extrêmement bas, malgré un moratoire mis en place sur la pêche en 2008 pour une durée de dix ans. Le bassin Garonne-Dordogne occupe toujours une place de premier plan pour la conservation et la restauration de cette espèce. L'un des principaux problèmes affectant cette espèce est la pêche accidentelle et résulte notamment du manque important de connaissance sur ces captures. Il n'apparait pas que les mesures de précaution prises par l'arrêté attaqué suffiraient à assurer le bon état de conservation de cette espèce.
12. Compte tenu des effets significatifs que les captures accidentelles résultant de l'activité de pêche professionnelle et pêche amateure sont susceptibles d'avoir sur les espèces d'esturgeon, de grande alose, de lamproie marine, de lamproie fluviatile et de saumon atlantique, dont aucune n'atteint un bon état écologique (BEE) selon l'état dressé par l'IFREMER en 2019, l'arrêté par lequel le préfet de la Dordogne a fixé les conditions d'exercice de la pêche en eau douce dans le département de la Dordogne, est susceptible d'affecter de manière significative un site Natura 2000, et devait dès lors, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, faire l'objet d'une évaluation de ses incidences au regard des objectifs de conservation du site. Par suite, l'arrêté attaqué, en tant qu'il fixe les conditions d'exercice de la pêche en eau douce dans le département de la Dordogne pour l'année 2021, a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué ni les autres moyens soulevés, d'une part, que l'association Défense des milieux aquatiques est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a seulement annulé l'article 4 de l'arrêté du 11 décembre 2020 et rejeté le surplus de sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté en tant qu'il autorise la pêche aux engins et filets d'autre part, que l'appel du ministre doit, être rejeté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. En premier lieu, l'exécution du présent arrêt d'annulation de l'arrêté préfectoral du 11 décembre 2020 en tant qu'il concerne la pêche aux engins et filets et la pêche de la lamproie pour l'année 2021 n'implique pas que la cour enjoigne à l'Etat d'interdire la pose de filets dérivants et engins dans la Dordogne.
15. En second lieu, la publication des décisions de justice n'est pas au nombre des mesures qui peuvent être ordonnées au titre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Dès lors, les conclusions de l'association DMA tendant à la publication du présent arrêt sur le site internet des services de l'Etat ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à l'association Défense des milieux aquatiques, de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du 11 décembre 2020 du préfet de de la Dordogne relatif à l'exercice de la pêche en eau douce dans le département de la Dordogne pour l'année 2021 est annulé, en tant qu'il concerne la pêche aux engins et filets.
Article 2 : Le jugement n° 2100551 du 5 mai 2022 du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à l'association Défense des milieux aquatiques la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La requête n° 22BX01827 du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le surplus des conclusions de la requête n° 22BX01814 de l'association Défense des milieux aquatiques sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Défense des milieux aquatiques et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera communiquée au préfet de la Dordogne.
Délibéré après l'audience du 19 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 avril 2024.
La rapporteure,
Bénédicte MartinLa présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX01814, 22BX01827