Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Défense des milieux aquatiques a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler le refus implicite opposé par la préfète de la Gironde à sa demande d'abrogation de son arrêté du 4 septembre 2020 portant règlementation permanente de la police de la pêche en eau douce dans ce département en tant qu'il autorise la pêche aux engins et filets et la pêche de la lamproie marine.
Par un jugement n° 2101218 du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé le refus d'abroger l'arrêté de la préfète de la Gironde du 4 septembre 2020 en tant qu'il autorise la pêche de la lamproie marine et rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
I°) Par une requête, enregistrée sous le n° 22BX01819 et des mémoires complémentaires, enregistrés les 5 juillet 2022, 27 juillet 2022 et 20 octobre 2023, l'association Défense des milieux aquatiques (DMA), représentée par Me Crecent, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement du 5 mai 2022 en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions ;
2°) d'annuler la décision de refus d'abroger l'arrêté du 4 septembre 2020 par lequel la préfète de la Gironde a règlementé l'exercice de la pêche en eau douce en Gironde, en tant qu'il concerne la pêche aux engins et filets, la pêche de la lamproie et la pêche avec des engins et filets capables de capturer des saumons et des esturgeons, sous astreinte ;
3°) d'enjoindre à l'Etat, d'une part, d'interdire la pose de filets dérivants et engins dans le département de la Gironde, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard, seule mesure permettant d'empêcher les captures " accidentelles " d'esturgeons et de saumons, d'autre part, de publier sa décision sous huitaine sur son site internet ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'un défaut de motivation ; il ne se prononce pas sur le moyen tiré du défaut de l'évaluation des incidences des activités de pêche ;
- la méconnaissance de l'obligation de réaliser une évaluation des incidences Natura 2000 entraine directement l'illégalité interne des règles fixées par l'arrêté au regard des dispositions de l'article L. 414-1 V du code de l'environnement et ne constitue pas une simple irrégularité de forme ou de procédure de cet arrêté ;
- en écartant la nécessité d'une évaluation des incidences Natura 2000 pour l'activité de pêche aux engins et filets, le jugement méconnaît l'article 6 de la directive Habitats, les champs d'application respectifs de ses articles 1, 2, 6, 12, 14 et 16 et l'article L. 414-4 du code de l'environnement ; le principe de précaution a été méconnu ;
- les paragraphes III, IV et IV bis de l'article L. 414-4 du code de l'environnement ne sont pas conformes à la directive Habitat (6al3) en organisant une présomption d'absence d'effet significatif sans vérifier au cas par cas l'existence d'un effet significatif ou d'un risque ;
- l'article 6§3 de la directive Habitat du fait de l'absence de réalisation d'évaluation des incidences a été méconnu ; l'autorisation de pêche d'espèces d'intérêt communautaire sur les sites Natura 2000 est subordonnée à une évaluation préalable et appropriée des incidences Natura 2000 qui doit déterminer le caractère éventuellement significatif de son impact sur l'objectif des sites ; une activité de pêche constitue un "projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site a priori "susceptible d'affecter ce site de manière significative" dès lors qu'il s'agit de capturer des espèces migratrices protégées dans une zone protégée ;
- en autorisant à certaines périodes de l'année, la détention et la mise en œuvre de filets utilisables pour capturer des esturgeons et des saumons dans des eaux où la pêche de ces deux espèces est rigoureusement interdite, l'arrêté permet aux pêcheurs de se placer dans une situation explicitement réprimée par l'article L. 436-16 du code de l'environnement ;
- elle entend reprendre l'ensemble des moyens soulevés devant le juge de première instance, relatifs à l'article 12 de la directive 92/43/CEE du conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, l'article L. 411-1 du code de l'environnement, l'arrêté du 20 décembre 2004 relatif à la protection de l'espèce Acipenser sturio (esturgeon) et l'article L. 436-16 du code de l'environnement, en ce qu'ils concernent la protection de l'esturgeon et/ou du saumon, l'article 191, alinéa 2 du traité de fonctionnement de l'UE, l'article 5 de la charte de l'environnement, et l'article L. 110-1 du code de l'environnement, en ce qu'ils concernent le principe de précaution, l'article L. 436-45 du code de l'environnement en ce qui concerne la quantité de poissons migrateurs amphihalins qui peut être pêchée chaque année, l'arrêté du 6 janvier 2020 fixant la liste des espèces animales et végétales à la protection desquelles il ne peut être dérogé qu'après avis du Conseil national de la protection de la nature, en ce qu'il concerne la lamproie marine, l'article 6(3) de la directive Habitats, les articles L. 414-4 et R. 414-19 du code de l'environnement, en ce qu'ils concernent l'évaluation des incidences Natura 2000, l'arrêté du 23 avril 2007 fixant les listes des mollusques protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection, en ce qu'il concerne la grande mulette, l'article R. 4241-19 du code des transports ;
- elle soulève l'exception d'illégalité du PLAGEPOMI Garonne, au regard de l'article 6§1 de la directive Habitats ; les mesures de conservation imposées par cet article concernent les habitats et les espèces ; le PLAGEPOMI devait appliquer le droit de l'Union européenne, écarter l'exploitation par les engins et filets de pêche des espèces de poissons migrateurs protégés et réglementer la pêche des poissons migrateurs pour réduire son impact sur les individus au minimum ;
- l'article R. 436-45 ne constitue pas une transposition conforme de l'article 6§1 de la directive, en ne répondant pas, par une mesure de conservation, aux exigences écologiques de ces espèces et en faisant référence à la pêche (et à l'alevinage) de ces mêmes espèces ;
- l'interdiction de la pêche d'espèces protégées ne suffit pas à annuler les incidences de la pêche sur ces espèces ; l'obligation de remise à l'eau n'empêche pas les conséquences létales ou sub létales de la capture et de la manipulation ;
- faute d'évaluation des incidences Natura 2000, le préfet ne démontre pas que l'autorisation de pêche qu'il délivre n'a pas d'effets significatifs sur le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable des espèces comme l'y obligent les dispositions de la 2nde phrase du 1er alinéa et de la 3ème phrase du 3ème alinéa du V de l'article L. 414-1 du code de l'environnement ; les dispositions du V de l'article L. 414-4 du code de l'environnement ont été méconnues.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par l'association requérante ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 23 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 10 novembre 2023 à 12h00.
II°) Par une requête, enregistrée sous le n°22BX01828 le 6 juillet 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour d'annuler le jugement du 5 mai 2022 du tribunal administratif de Bordeaux.
Il soutient que :
- le jugement du tribunal administratif de Bordeaux est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation dans la mise en œuvre du principe de précaution dès lors que l'état d'abondance de la lamproie marine n'implique pas nécessairement de mettre un terme à la pêche de manière absolue mais seulement de restreindre cette activité dès lors que la pêche n'exerce qu'une faible pression sur la population de lamproie, que des mesures alternatives peuvent contribuer à limiter l'impact sur l'espèce et que d'autres causes extérieures à la pêche sont à l'origine de la dégradation de l'état d'abondance de la lamproie marine ;
- en considérant que les effectifs de lamproie marine sont trop faibles pour permettre une activité de pêche, le tribunal a commis une erreur d'appréciation ;
- il n'est pas avéré que la pêche professionnelle soit déterminante dans l'altération de l'état de conservation de cette espèce ; l'interdiction de la pêche à la lamproie n'a qu'une incidence marginale sur l'évolution de l'effectif total de cette espèce dans les deux cours d'eau de la Dordogne et de la Garonne.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 août 2023, l'association Défense des milieux aquatiques (DMA), représentée par Me Crecent, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la directive 92/43/CE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- la charte de l'environnement ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 20 décembre 2004 relatif à la protection de l'espèce esturgeon ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Martin,
- les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique,
- et les observations de Me Crecent, représentant l'association Défense des milieux aquatiques.
L'association Défense des milieux aquatiques a produit une note en délibéré enregistrée le 20 mars 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Le fleuve la Garonne, a été désigné zone spéciale de conservation ou " aire Natura 2000 " par arrêté de la ministre de la transition écologique en date du 5 avril 2016. Cette zone a été désignée pour la conservation et la protection de plusieurs espèces figurant à l'annexe II de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite " directive Habitats ", dont l'esturgeon européen, le saumon atlantique, l'alose feinte, et plusieurs espèces de lamproie. Par un arrêté du 4 septembre 2020, la préfète de la Gironde a réglementé les conditions d'exercice de la pêche en eau douce dans le département de la Gironde. Cet arrêté prévoit les périodes, les horaires et les modes et moyens de pêche autorisés, les interdictions ainsi que la taille des poissons qui peuvent être prélevés, selon les catégories de cours et de plans d'eau et par espèce. Il autorise, dans les conditions qu'il définit, la pêche à la ligne, la pêche aux engins et aux filets pour les amateurs et les professionnels et interdit totalement la pêche de la grande alose, du saumon atlantique, de la truite de mer, de l'anguille d'avalaison, de l'esturgeon européen. La pêche de la lamproie marine, de la lamproie fluviatile et de l'alose feinte est autorisée à certaines conditions. L'association Défense des milieux aquatiques a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler le refus d'abroger l'arrêté du 4 septembre 2020 par lequel la préfète de la Gironde a règlementé l'exercice de la pêche en eau douce en tant qu'il autorise la pêche professionnelle et amateure aux filets au détriment de l'esturgeon, du saumon, de l'alose et de la lamproie marine. Par jugement du 5 mai 2022, le tribunal administratif a annulé le refus d'abroger cet arrêté en tant qu'il autorise la pêche de la lamproie marine. Par la requête enregistrée sous le n° 22BX01819, l'association DMA relève appel de ce jugement en tant que le tribunal administratif a rejeté le surplus de sa demande. Par la requête enregistrée sous le n° 22BX01828, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relève appel du même jugement. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes, qui portent sur un même jugement, pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.
2. Il résulte des termes de l'article 12 de la directive 92/43/CEE " Habitats " qu'il incombe à l'Etat de prendre les mesures de conservation nécessaires pour faire en sorte que les captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur les espèces protégées, au regard de l'objectif consistant à assurer leur maintien ou leur rétablissement dans un état de conservation favorable. Ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, l'article 12 de la directive " Habitats " doit être interprété à la lumière du principe de précaution mentionné au paragraphe 2 de l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pour apprécier la conformité aux objectifs qu'il définit des mesures adoptées. Il appartient également à l'Etat, lorsqu'il prend des mesures qui ne découlent pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l'Union européenne mais supposent l'exercice d'un pouvoir d'appréciation, de veiller au respect du principe de précaution garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement.
3. Dans ce cadre, il appartient aux autorités compétentes, en particulier lorsqu'elles sont saisies d'une demande de renforcement des mesures de protection existantes, de rechercher s'il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l'hypothèse d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l'état des connaissances scientifiques, l'application du principe de précaution. Si cette condition est remplie, il leur incombe de veiller à ce que des procédures d'évaluation du risque identifié soient mises en œuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle et de vérifier que des mesures de précaution soient prises.
4. Lorsqu'il est saisi d'un recours contestant le caractère suffisant de mesures de protection, il appartient au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier ce caractère de manière globale au regard des exigences rappelées aux points qui précèdent.
5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 4 septembre 2020 interdit la pêche de l'esturgeon européen et du saumon atlantique et autorise, selon les lieux, la pêche de la lamproie marine au filet dérivant d'au moins 40 centimètres du 1er février au 30 avril, au carrelet ou à la nasse du 1er décembre au 15 mai, au filet dérivant professionnel d'une longueur maximale de 180 mètres et de 5 mètres de hauteur du 1er janvier au 15 mai et du 1er au 31 décembre, ou du 1er décembre au 15 mai, au filet fixe professionnel du 1er décembre au dernier dimanche de janvier, au carrelet en bateau professionnel ou au baros professionnel du 1er janvier au 15 mai et du 1er au 31 décembre. L'arrêté autorise en outre selon les lieux et selon diverses conditions tenant à la taille de la capture, à la remise à l'eau et au transport, la pêche aux filets fixes et dérivants d'autres espèces.
6. L'association Défense des milieux aquatiques soutient que la décision en litige méconnait le principe de précaution dès lors que l'arrêté du 4 septembre 2020, permet l'usage de filets et d'engins de nature à causer une atteinte grave et irréversible et à porter atteinte à l'objectif de conservation de l'esturgeon européen et du saumon, par des captures accidentelles, et à la conservation de la lamproie marine, par des captures intentionnelles, alors qu'il s'agit d'espèces protégées.
En ce qui concerne la protection de l'esturgeon :
7. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 20 décembre 2004 relatif à la protection de l'espèce Acipenser sturio (esturgeon) : " Sont interdits sur tout le territoire national et en tout temps la destruction, l'altération ou la dégradation du milieu particulier des animaux provenant du territoire national, de l'espèce Acipenser sturio (esturgeon européen) jeunes ou adultes, la destruction ou l'enlèvement des œufs, la destruction, la mutilation, la capture, l'enlèvement, la perturbation intentionnelle ou la naturalisation d'individus de ces espèces, qu'ils soient vivants ou morts, ainsi que leur transport, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ".
8. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la liste rouge des espèces protégées dressée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), que l'esturgeon, espèce protégée en France depuis 1982, est classé " en danger critique d'extinction ". La dernière population mondiale de l'espèce est issue du bassin Gironde-Garonne-Dordogne. Le plan national d'actions 2011-2015 constate que, compte tenu de la fréquentation par cette espèce des eaux côtières où cohabitent de nombreuses autres espèces d'intérêt halieutique et commercial, et où sont présentes les flottilles de pêche, les mortalités occasionnées par les pêches accidentelles constitueraient l'une des principales menaces pour l'esturgeon. La majorité des captures accidentelles s'effectue, selon les lieux de pêche, au filet trémail dérivant ou au filet maillant dérivant. Les éléments recueillis pour l'élaboration du second plan national d'actions 2020-2029 en faveur de l'esturgeon européen constate un déclin rapide de l'espèce. Il recommande notamment de renforcer le programme de conservation in situ dans le but de réduire de manière significative les mortalités par pêche, induites par les captures accidentelles, et de protéger et d'améliorer la qualité et la continuité des habitats essentiels de l'esturgeon européen en fleuve et en estuaire. Le muséum national d'histoire naturelle a estimé son état de conservation défavorable et mauvais. Il ressort d'une étude de juillet 2019 sur l'atteinte au bon état écologique réalisée avec le concours de l'Ifremer que ce bon état écologique n'est pas atteint s'agissant de l'esturgeon.
9. Si l'arrêté contesté prohibe totalement la pêche de l'esturgeon et si le plan national d'action prévoit de poursuivre les actions de sensibilisation et d'information des pêcheurs sur la nécessité de déclarer et de relâcher les spécimens pêchés accidentellement, conformément à l'article 3 de l'arrêté du 20 décembre 2004, il n'apparaît pas que ces mesures de précaution suffiraient à assurer le bon état de conservation de cette espèce, alors que le même arrêté autorise notamment la pêche aux filets fixes et dérivants professionnels d'une longueur maximale de 180 mètres et d'une hauteur de 6 mètres. Or, il ressort du plan national d'actions 2020-2029 que " même peu nombreuses dans l'absolu, les prises ne sont pas négligeables, rapportées au très faible nombre d'individus qui composent actuellement l'ultime population et à la durée du cycle de l'esturgeon européen " et alors que le système fluvio-estuarien Gironde-Dordogne-Garonne est ciblé comme étant le territoire sur lequel l'essentiel des stratégies de conservation et/ou de restauration de l'espèce mises en place, est prioritaire. Par suite, les mesures prévues par l'arrêté fixant les conditions d'exercice de la pêche en eau douce dans le département de la Gironde ne permettent pas de s'assurer de l'absence de risque de dommage grave et irréversible pour l'avenir de cette espèce. L'association DMA est donc fondée à soutenir qu'eu égard à ce risque d'atteinte grave et irréversible ainsi portée à l'esturgeon, l'arrêté du 4 septembre 2020 méconnait le principe de précaution.
En ce qui concerne la lamproie marine :
10. Il ressort des pièces du dossier que la situation de la lamproie marine, inscrite " en danger " sur la liste rouge des espèces menacées en France, qui ne peut être pêchée qu'à l'aide d'engins (filets dérivants ou nasses) est considérée comme étant très inquiétante sur le bassin Garonne-Dordogne et appelle des mesures de réduction de la pêche en particulier au filet dérivant, laquelle s'exerce uniquement en France sur ce bassin. Ce constat de la chute drastique des effectifs recensés a été confirmé en 2019 par l'association Migrateurs Garonne Dordogne, MIGADO. Les captures déclarées par les pêcheurs professionnels fluviaux de Gironde étaient de 35 000 en 2020, soit une baisse s'expliquant notamment par la baisse du nombre de pêcheurs. S'il est difficile d'apprécier l'abondance réelle du stock, les captures des pêcheurs, ramenées à l'effort de pêche, sont en nette augmentation à partir des années 2000 et demeurent importantes les dernières années. La prise en compte des éléments de connaissances acquis récemment permettent de constater que plusieurs facteurs (poissons prédateurs, mauvaise qualité des lieux de vie, structures hydroélectriques) contribuent à la dégradation de l'espèce et alertent sur son état. Ils conduisent à renforcer les actions de gestion en faveur des lamproies, parmi lesquelles la réduction de la pression de la pêche aux filets et engins par les professionnels et amateurs, par notamment la réduction par anticipation de la date de fermeture. Compte-tenu du faible état de conservation général de cette espèce, et des conditions dans lesquelles sa pêche est autorisée par l'arrêté préfectoral du 4 septembre 2020, au filet dérivant du 1er février au 30 avril, au carrelet et à la nasse du 1er décembre au 15 mai, au filet dérivant, au baros ou au carrelet professionnels de 180 mètres du 1er janvier au 15 mai et du 1er au 31 décembre, au filet fixe professionnel du 1er décembre au dernier dimanche de janvier, à la nasse à lamproie professionnelle, du 1er décembre au 15 mai, le risque de dommage grave irréversible, en l'absence d'évaluation des risques, doit être regardé comme caractérisé. Par suite, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Bordeaux, eu égard au risque d'atteinte grave et irréversible porté à la lamproie marine par l'arrêté du 4 septembre 2020, en refusant d'abroger l'arrêté, le préfet de la Nouvelle-Aquitaine a méconnu les obligations découlant du principe de précaution.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué ni les autres moyens, d'une part, que l'association Défense des milieux aquatiques est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a seulement annulé le refus d'abroger l'arrêté de la préfète de la Gironde du 4 septembre 2020 en tant qu'il autorise la pêche de la lamproie marine et rejeté le surplus de sa demande, et d'autre part, que l'appel du ministre doit être rejeté.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
12. En premier lieu, l'exécution du présent arrêt d'annulation du refus d'abroger l'arrêté du préfet de la Gironde du 4 septembre 2020, réglementant l'exercice de la pêche en eau douce en Gironde, en tant qu'il concerne la pêche aux engins et filets et la pêche de la lamproie, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions présentées à fin d'injonction et d'astreinte par l'association appelante ne peuvent être accueillies.
13. En second lieu, la publication des décisions de justice n'est pas au nombre des mesures qui peuvent être ordonnées au titre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Dès lors, les conclusions de l'association DMA tendant à la publication de la décision de l'Etat sur le site internet des services de l'Etat ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à l'association de défense des milieux aquatiques, de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le refus d'abroger l'arrêté de la préfète de la Gironde du 4 septembre 2020 en tant qu'il autorise la pêche aux engins et filets est annulé.
Article 2 : Le jugement n° 2101218 du 5 mai 2022 du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La requête n° 22BX01828 du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le surplus des conclusions de la requête n° 22BX01819 de l'association Défense des milieux aquatiques sont rejetés.
Article 4 : L'Etat versera à l'association Défense des milieux aquatiques la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Défense des milieux aquatiques et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera communiquée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 19 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 avril 2024.
La rapporteure,
Bénédicte MartinLa présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX01819, 22BX01828