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04/07/2024 | FRANCE | N°23BX02353

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 04 juillet 2024, 23BX02353


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le préfet de la Guadeloupe a déféré au tribunal administratif de la Guadeloupe la société à responsabilité limitée (SARL) Nayss Jet et M. B... A..., en sa qualité de gérant de cette société, comme prévenus d'une contravention de grande voirie pour occuper, sans droit ni titre, deux zones de 500 mètres carrés et 625 mètres carrés au droit des parcelles cadastrées section AO n° 1070 et 989 situées dans la zone des cinquante pas géométriques sur le territoire de la

commune de Port-Louis, plage du Souffleur, faisant partie du domaine public maritime de l'Etat.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la Guadeloupe a déféré au tribunal administratif de la Guadeloupe la société à responsabilité limitée (SARL) Nayss Jet et M. B... A..., en sa qualité de gérant de cette société, comme prévenus d'une contravention de grande voirie pour occuper, sans droit ni titre, deux zones de 500 mètres carrés et 625 mètres carrés au droit des parcelles cadastrées section AO n° 1070 et 989 situées dans la zone des cinquante pas géométriques sur le territoire de la commune de Port-Louis, plage du Souffleur, faisant partie du domaine public maritime de l'Etat.

Par un jugement n° 2101160 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné la société Nayss Jet à payer une amende d'un montant de 1 500 euros, à remettre le site dans son état initial dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a autorisé l'Etat à faire exécuter cette injonction d'office et avec le concours de la force publique si nécessaire, aux frais exclusifs du contrevenant.

Procédures devant la cour :

I - Par une requête enregistrée le 1er septembre 2023 sous le n° 23BX02353, , la société Nayss Jet, par la voie de son gérant en exercice M. A... et représentée par Me Gelabale, demande à la cour :

1°) à titre principal, de désigner un médiateur pour trouver une issue de compromis ;

2°) à défaut, d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du

29 juin 2023 et de rejeter la demande du préfet de la Guadeloupe ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'ont indiqué les premiers juges, les équipements nécessaires à ses activités de jeux nautiques et de restauration ne sont pas implantés sur les parcelles cadastrées section AO n° 989 et 1070 mais au droit de ces parcelles ; elle ne saurait ainsi faire l'objet d'une contravention de grande voirie alors qu'elle n'occupe pas lesdites parcelles, et être condamnée à la remise en état de ces parcelles auxquelles elle est totalement étrangère ;

- elle dispose d'une autorisation d'occupation temporaire pour les activités précitées délivrée par la commune de Port-Louis le 14 avril 2016, dont la durée, qui n'était pas formellement indiquée, correspond à celle des immobilisations, soit vingt ans ; cette autorisation a été délivrée dans le cadre d'une convention de gestion du domaine public signée entre la commune et l'Etat en 1991 et à laquelle elle n'est pas partie ; le tribunal a estimé à tort que la reprise par l'Etat de sa compétence de gestion depuis le 31 décembre 2017 des parcelles situées dans la zone des cinquante pas géométriques avait rendu cette autorisation caduque ; elle n'a jamais été destinataire d'une décision de l'administration lui notifiant que cette autorisation, laquelle lui a conféré des droits réels et n'a pas fait l'objet d'un déféré au titre du contrôle de légalité, n'était plus valable ; elle bénéficiait d'une autorisation délivrée par le maire, dont elle a respecté toutes les obligations, tant qu'une autorisation des services de l'Etat n'en prenait pas le relais ;

- l'activité de restauration, concomitante à celle des jeux nautiques et de détente, était exercée conformément à l'autorisation d'occupation temporaire délivrée par la commune en 2016 et toujours valable ;

- le tribunal s'est mépris sur ses écritures de première instance en affirmant qu'elle se prévalait du résultat de l'enquête publique intervenue en 2019 concernant l'aménagement de la plage du Souffleur et nécessitant une modification du plan local d'urbanisme de la commune, pour se croire détentrice d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public ;

- les principes inhérents à la domanialité publique doivent pouvoir s'exercer en conciliation avec celui de la liberté d'entreprendre et le principe de solidarité garanti par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, alors qu'elle a été encouragée par la commune et l'Etat à procéder à des investissements lourds et à recruter des jeunes travailleurs sans solliciter les finances publiques ; elle serait en droit de réclamer une indemnisation au titre de ses préjudices économique et social mettant en outre en péril les familles de ses employés ;

- le rédacteur du procès-verbal a agi avec partialité dès lors qu'il exerce depuis le 8 octobre 2022, soit quelques mois après les constatations litigieuses, une activité de glacier ambulant sur la plage du Souffleur, et qu'il avait donc un intérêt personnel à ce qu'elle cesse son activité de restauration rapide proposant notamment la vente de glaces ;

- une procédure de médiation pourrait être utilement engagée, avec l'accord du préfet, pour parvenir à un compromis, notamment le déplacement des équipements en litige en recul de la plage, ce que souhaite d'ailleurs la commune, d'autant que d'autres établissements dans le secteur ont obtenu des mesures de régularisation.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 mars 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par un courrier du 4 juin 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement en ce qu'il n'a pas constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à la condamnation au paiement d'une amende en raison de la prescription de l'action publique dès lors qu'aucun acte d'instruction n'est intervenu en première instance pendant plus d'une année entre la communication de la requête du préfet à la société Nayss Jet le 13 octobre 2021 et la mise en demeure de produire du 14 décembre 2022.

Un mémoire présenté par la société Nayss Jet a été enregistré le 11 juin 2024, postérieurement à la clôture automatique de l'instruction.

II - Par une requête enregistrée le 1er septembre 2023 sous le n° 23BX02354,

la société Nayss Jet, représentée par Me Gelabale, demande à la cour, à défaut d'accord du préfet sur une procédure de médiation, d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens présentés dans la requête au fond sont sérieux et de nature à entraîner la réformation du jugement attaqué.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 mars 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête fondée sur l'application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative est irrecevable dès lors que le jugement ne comporte aucune mesure d'annulation d'une décision administrative ;

- aucun des moyens invoqués dans la requête au fond n'apparaît pas sérieux et de nature à entraîner l'annulation du jugement et le rejet des demandes du préfet en première instance.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas ;

- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,

- et les observations de Me Robert, représentant la société Nayss Jet.

Considérant ce qui suit :

1. Un procès-verbal de contravention de grande voirie, notifié par voie d'huissier le 1er septembre 2021, a été dressé le 9 août 2021 à l'encontre de la SARL Nayss Jet pour avoir occupé sans autorisation le domaine public maritime sur des surfaces de 625 m² et 500 m² au droit des parcelles cadastrées section AO n° 978 et 1070 situées dans la zone des cinquante pas géométrique sur le territoire de la commune de Port-Louis, plage du Souffleur et y avoir notamment érigé un bâtiment en bois avec couverture en tôle, un kiosque et deux terrasses en bois surélevées et reliées par un escalier, et entreposé divers matériels tels que des parasols, tables et tables barils, chaises longues et bouées gonflables. Le préfet de la Guadeloupe a déféré, le 8 octobre 2021, la société Nayss Jet devant le tribunal administratif de la Guadeloupe et a demandé de la condamner au paiement d'une amende pour l'occupation sans autorisation du domaine public maritime, d'enjoindre à la société contrevenante de remettre en état les lieux sous astreinte et d'autoriser l'administration à procéder d'office à la remise en état de ces parcelles à ses frais et risques. Par la requête n° 23BX02353, La société Nayss Jet fait appel du jugement du 29 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe l'a condamnée à payer une amende d'un montant de 1 500 euros, à remettre le site dans son état initial dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a autorisé l'Etat à faire exécuter cette injonction d'office et avec le concours de la force publique si nécessaire, aux frais exclusifs de la contrevenante. Par la requête n° 23BX02354, elle demande le sursis à exécution de ce jugement.

Sur la jonction :

2. Les requêtes enregistrées sous les nos 23BX02353 et 23BX02354 concernent la même personne et le même jugement et présentent à juger de questions similaires. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul et même arrêt.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l'article 9 du code de procédure pénale : " L'action publique des contraventions se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été commise. ", Aux termes de l'article 9-2 de ce code : " Le délai de prescription de l'action publique est interrompu par : 1° Tout acte, émanant du ministère public ou de la partie civile, tendant à la mise en mouvement de l'action publique, prévu aux articles 80,82,87,88,388,531 et 532 du présent code et à l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; 2° Tout acte d'enquête émanant du ministère public, tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ; 3° Tout acte d'instruction prévu aux articles 79 à 230 du présent code, accompli par un juge d'instruction, une chambre de l'instruction ou des magistrats et officiers de police judiciaire par eux délégués, tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ; 4° Tout jugement ou arrêt, même non définitif, s'il n'est pas entaché de nullité. Tout acte, jugement ou arrêt mentionné aux 1° à 4° fait courir un délai de prescription d'une durée égale au délai initial. Le présent article est applicable aux infractions connexes ainsi qu'aux auteurs ou complices non visés par l'un de ces mêmes acte, jugement ou arrêt (...) ". Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 2132-27 du code général de la propriété des personnes publiques, qui permettent de prononcer une peine d'amende pour chaque jour où l'infraction est constatée, font obstacle, antérieurement à la saisine du juge, et tant que se poursuit l'occupation sans titre de la dépendance du domaine public, à la prescription de l'action publique prévue par les dispositions précitées du code de procédure pénale. Il résulte de ces dispositions que seules peuvent être regardées comme des actes d'instruction ou de poursuite, en matière de contraventions de grande voirie, outre les jugements rendus par les juridictions et les mesures d'instruction prises par ces dernières, les mesures qui ont pour objet soit de constater régulièrement l'infraction, d'en connaître ou d'en découvrir les auteurs, soit de contribuer à la saisine du tribunal administratif ou à l'exercice par le ministre de sa faculté de faire appel.

4. Il résulte de l'instruction qu'aucun acte d'instruction ou de poursuite n'est intervenu en première instance pendant plus d'une année, soit entre le 13 octobre 2021, date de communication du mémoire du préfet à la société Nayss Jet et le 14 décembre 2022, date à laquelle cette dernière a fait l'objet d'une mise en demeure de produire. Dans ces conditions, la prescription de l'action publique était acquise à la date du jugement du tribunal, la demande du Préfet de la Guadeloupe étant devenue sans objet. Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe en date du 29 juin 2023, qui a statué sur l'action publique, doit, dès lors, être annulé. Il y a lieu d'évoquer dans cette mesure et de constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande du préfet tendant à la condamnation de la contrevenante au paiement d'une amende, non plus que sur les conclusions de première instance et d'appel de la société devant être regardées comme tendant à sa relaxe aux fins de poursuites. L'effet extinctif de la prescription de l'action publique a pour conséquence la restitution à la société Nayss Jet des sommes qu'elle a, le cas échéant, payées en exécution du jugement précité.

Sur l'action domaniale :

5. En premier lieu le procès-verbal du 9 août 2021 a été dressé par un agent commissionné à l'effet de rechercher et constater les infractions au titre du code de l'urbanisme et du code général des propriétés des personnes publiques dans le département de la Guadeloupe et les collectivités territoriales de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui a prêté serment devant le tribunal judiciaire de Basse-Terre le 17 mai 2018. La seule circonstance que cet agent ait le 8 novembre 2022 débuté une activité commerciale de vente de glace ambulante sur la commune limitrophe de Morne-à-l'Eau, dont il n'est au demeurant pas établi qu'elle s'exercerait sur la plage du Souffleur, n'est pas de nature à établir que cet agent n'aurait pas été impartial.

6. En deuxième lieu, le procès-verbal de contravention de grande voirie comme la saisine du tribunal de la Guadeloupe par le préfet concernent sans aucune ambiguïté une zone située au droit de parcelles cadastrées AO n°1070 et 989 sur la plage du Souffleur. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il existerait une erreur matérielle sur les parcelles en cause doit être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2132-2 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l'amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n'appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l'intégrité ou de l'utilisation de ce domaine public, soit d'une servitude administrative mentionnée à l'article L. 2131-1. / Elles sont constatées, poursuivies et réprimées par voie administrative. " L'article L. 2132-3 du même code prévoit que : " Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d'amende. (...) ".

8. Il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 9 août 2021, dont les mentions font foi jusqu'à preuve du contraire et ne sont pas sérieusement contestées, que l'établissement de la société Nayss Jet dénommé " Kabana Beach " occupe le domaine public maritime au droit des parcelles cadastrées section AO n° 989 et 1070 sur une superficie de plus de 1 000 mètres carrés. Si l'appelante se prévaut d'un arrêté du 14 avril 2016 du maire de Port-Louis portant autorisation temporaire d'occupation du domaine public, il résulte de l'instruction que la convention confiant à la commune la gestion des dépendances de la zone dite des 50 pas géométriques du domaine public de l'Etat a pris fin le 31 décembre 2017 et qu'elle prévoyait dans son article 6 que la commune ne pouvait accorder d'autorisation d'occupation que pour une durée n'excédant pas en toute hypothèse le temps restant à courir jusqu'au terme de cette convention. Ainsi, l'autorisation accordée par le maire de Port-Louis est devenue caduque le 1er janvier 2018, quand bien même elle n'aurait pas comporté de terme précis et la société Nayss Jet n'aurait pas eu communication de la convention de gestion conclue entre la commune et l'Etat. En outre, d'une part l'imprécision de cette autorisation, qui vise " l'aire de jeu située sur la plage de Souffleur " et ne comporte pas de plan annexé, ne permet pas d'établir qu'elle concernait la zone faisant l'objet du procès-verbal d'infraction, et, d'autre part, alors qu'elle ne concernait que l'installation de locaux mobiles et de matériel " en vue d'exercer (son) activité nautique, de loisirs, et de détente ", elle ne peut être regardée comme valant autorisation de l'activité de restauration dans des locaux fixes objet du procès-verbal en litige. La société Nayss Jet ne saurait davantage se prévaloir d'une autorisation d'urbanisme du maire sur ou au droit de ces parcelles, dont elle ne justifie au demeurant pas, laquelle ne vaut pas autorisation domaniale. Il en est de même des différentes autorisations d'exploitation dont elle se prévaut, qui n'ont pas le même objet. Enfin, la circonstance que les activités exercées par la société Nayss Jet contribueraient au développement économique et solidaire de la commune est sans incidence sur l'occupation sans droit ni titre du domaine public maritime.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ".

10. En l'absence d'autorisation d'occuper le domaine public qui constitue l'assiette de ses installations, la société ne peut se prévaloir d'aucun droit réel sur la portion de terrain qu'elle occupe irrégulièrement, et sur les installations qui y ont été édifiées. Par suite, les poursuites exercées à son encontre ne constituent pas une mesure prohibée par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en vertu duquel nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique. En outre, dès lors que la contravention dont il s'agit est justifiée par le but d'intérêt général de protection du littoral, la requérante ne saurait se prévaloir de la méconnaissance de son intérêt patrimonial à jouir de ses installations. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

11. Enfin en l'absence d'une telle autorisation, et de droit au renouvellement de celle-ci, la société ne peut davantage se prévaloir d'une atteinte à la liberté d'entreprendre. Par ailleurs, au regard de l'objet de la décision en litige, la société requérante ne saurait utilement se prévaloir de la méconnaissance du principe de solidarité énoncé dans préambule de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, et de l'article 34 prévoyant le droit à une aide sociale, ni de l'article 1er de la Charte sociale révisée concernant le droit au travail. Au demeurant, il résulte de l'instruction que la commune de Port-Louis lui a proposé à plusieurs reprise un espace pour poursuivre son activité, au sein du " village des artisans ", à proximité immédiate de la plage du Souffleur.

12. Dans ces conditions, l'empiètement des installations de la société Nayss Jet sur le domaine public maritime naturel de l'Etat est constitutif d'une contravention de grande voirie et pouvait valablement donner lieu à l'engagement de poursuites à son encontre.

13. Il résulte des dispositions du code général de la propriété des personnes publiques que dans le cadre de la procédure de contravention de grande voirie, le contrevenant peut être condamné par le juge, au titre de l'action domaniale, et à la demande de l'administration, à remettre lui-même les lieux en état en procédant à la destruction des ouvrages construits ou maintenus illégalement sur la dépendance domaniale ou à l'enlèvement des installations afin que le domaine public maritime naturel retrouve un état conforme à son affectation publique. Lorsque le juge administratif est saisi d'un procès-verbal de contravention de grande voirie, il ne peut légalement décharger le contrevenant de l'obligation de réparer les atteintes portées au domaine public qu'au cas où le contrevenant produit des éléments de nature à établir que le dommage est imputable, de façon exclusive, à un cas de force majeure ou à un fait de l'administration assimilable à un cas de force majeure.

14. Il est constant que la société Nayss Jet ne se prévaut ni en première instance ni en appel d'aucun cas de force majeure. Par ailleurs, alors qu'elle n'a pas respecté l'objet de l'autorisation qui lui a été accordée en 2016, elle ne peut se prévaloir d'aucune faute de l'Etat assimilable à un tel cas. Ainsi, dès lors que, comme il l'a été dit au point 8 du présent arrêt, l'infraction est constituée et se poursuit jusqu'à ce jour, c'est à bon droit que le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné la société Nayss Jet à libérer le domaine public maritime dans un délai de quatre mois à compter de la date de notification du présent arrêt et a assorti cette mesure d'une astreinte d'un montant de 50 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai et a autorisé l'Etat à faire exécuter cette injonction d'office et avec le concours de la force publique si nécessaire, aux frais exclusifs du contrevenant.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Nayss Jet doit être rejetée.

Sur la demande de sursis à exécution du jugement :

16. Dès lors qu'il est statué au fond sur les conclusions de la requête n° 23BX02353, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête n° 23BX02354.

Sur les frais d'instance :

17. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Nayss Jet tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 2101160 du tribunal administratif de la Guadeloupe en date du 29 juin 2023 est annulé.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur l'action publique, non plus que sur les conclusions présentées devant le tribunal et en appel par La société Nayss Jet devant être regardées comme tendant à sa relaxe des fins de poursuite, de même que sur ses conclusions tendant à ce que la cour prononce le sursis à exécution de l'exécution de ce jugement.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Nayss Jet et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera transmise pour information au Préfet de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2024 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Edwige Michaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

La rapporteure, Le président,

Christelle Brouard-Lucas Jean-Claude Pauziès

La greffière

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe, en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23BX02353, 23BX02354 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02353
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Contentieux répressif

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Christelle BROUARD-LUCAS
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : GELABALE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-04;23bx02353 ?
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