Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 31 août 2023 par lequel le préfet de la Gironde a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2305497 du 13 février 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 mars 2024, M. B..., représenté par Me Aymard, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n°2305497 du tribunal administratif de Bordeaux du 13 février 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 31 août 2023 du préfet de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de cette notification, sous la même astreinte, en lui attribuant une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours sous cette même astreinte, pendant le temps de ce réexamen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la légalité de la décision de refus de titre de séjour :
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que :
- la condamnation pour détention, offre ou cession non autorisée de stupéfiant coïncide avec une période de grande difficulté ;
- la matérialité des faits de viol commis au mois d'octobre 2022 n'est pas établie ; aucune suite n'a été donnée après l'engagement de la procédure qui a fait l'objet d'un classement sans suite ;
- les autres faits sont isolés et ne constituent pas des faits de violence ;
- la décision attaquée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour sur laquelle elle se fonde ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est entachée d'erreur de droit, le préfet n'ayant pas pris en compte sa durée de présence en France et la nature et l'ancienneté de ses liens en France ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation dès lors qu'il est marié avec une ressortissante française qu'il ne pourra pas rejoindre pendant deux ans.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 juillet 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'il confirme les termes de son mémoire transmis en première instance auquel il n'a pas d'observations nouvelles à ajouter.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Clémentine Voillemot ;
- et les observations de Me Aymard représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité marocaine né le 1er mars 2000, déclare être entré en France le 20 décembre 2016 et a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance. Il a bénéficié d'un contrat jeune majeur auquel il a été mis fin le 15 septembre 2019. En mars 2018, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, demande qui a été rejetée par un arrêté du 19 novembre 2019, assorti d'une obligation de quitter le territoire français au motif qu'il ne justifiait pas du suivi sérieux de sa formation depuis six mois et qu'il avait été condamné le 4 mai 2018 à un mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de vol aggravé par deux circonstances. Le 12 novembre 2022, M. B... s'est marié à une ressortissante française et a sollicité le 28 novembre suivant, un titre de séjour mention " vie privée et familiale " en qualité de conjoint de Français, sur le fondement de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 31 aout 2023, le préfet de la Gironde a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement du 13 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté préfectoral.
Sur les conclusions en annulation :
En ce qui concerne la décision de refus de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger marié avec un ressortissant français, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an lorsque les conditions suivantes sont réunies : / 1° La communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ; / 2° Le conjoint a conservé la nationalité française ; (...) ". Aux termes de l'article L. 432-1 du même code : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 412-1 du même code : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire ou d'une carte de séjour pluriannuelle est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1 ".
3. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que, pour rejeter la demande de titre de séjour sollicitée par M. B... sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Gironde s'est fondé, d'une part, sur l'absence de preuve de la régularité de son entrée sur le territoire français et d'autre part, sur la circonstance que son comportement constitue une menace pour l'ordre public.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été condamné par le tribunal correctionnel de Bordeaux le 1er mars 2019 à 105 heures de travail d'intérêt général pour détention, offre ou cession non autorisée de stupéfiants, faits commis le 7 décembre 2018. Par ailleurs, le préfet de la Gironde a été informé, le 27 janvier 2023, par le procureur de la République de Bordeaux que M. B... faisait l'objet d'une procédure diligentée par la sûreté départementale de la Gironde pour des faits de viol commis le 24 octobre 2022 et que l'affaire était en cours. Toutefois, M. B... conteste la matérialité de ces faits et soutient, sans être contredit, n'avoir fait l'objet d'aucune poursuite ni d'aucune condamnation et que, d'après les informations obtenues auprès des services du procureur de la République, la procédure aurait été classée sans suite. Ainsi, le préfet de la Gironde ne pouvait prendre en compte les seules informations obtenues auprès du procureur de la République de Bordeaux selon lesquelles M. B... faisait l'objet d'une procédure en cours pour des faits de viol, sans rechercher si les éléments portés à sa connaissance par M. B... sur l'issue de cette procédure étaient erronés et si les accusations portées contre lui étaient matériellement établies à la date de l'arrêté attaqué. Dans ces circonstances, le préfet de la Gironde ne pouvait pas refuser de lui délivrer un titre de séjour en se fondant sur la menace pour l'ordre public que représente le comportement du requérant alors que les derniers faits sanctionnés pénalement remontent au 7 décembre 2018.
5. Toutefois, le préfet de la Gironde a aussi relevé, sans être contredit, que M. B... n'était pas titulaire d'un visa long séjour et ne remplissait pas les conditions fixées par l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il résulte de l'instruction que le préfet de la Gironde aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif qui justifie légalement le refus opposé.
6. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. M. B... se prévaut de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance lors de son arrivée en France à 16 ans, des stages effectués et de son travail comme agent de quai à Mondial Relais en produisant un certificat de travail daté du 26 octobre 2022 indiquant qu'il a été employé du 17 mai 2021 au 7 octobre 2022. Toutefois, ces seuls éléments relatifs, d'une part, au parcours classique dans le cadre du placement auprès de l'aide sociale à l'enfance d'un jeune mineur et d'autre part, à un travail dont la matérialité n'est pas suffisamment établie par l'unique pièce produite, ne traduisent pas une insertion professionnelle particulière en France. En outre, si M. B... est marié à une ressortissante française depuis le 12 novembre 2022, la relation était récente à la date de l'arrêté attaqué, le couple indiquant s'être rencontré en février 2022. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le requérant serait bien intégré à la société alors qu'il a fait l'objet de condamnations, n'est titulaire d'aucun diplôme ni d'aucune qualification et s'est maintenu sur le territoire français après l'arrêté du 19 novembre 2019 l'obligeant à quitter le territoire français. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il serait dépourvu de toute attache dans son pays d'origine où résident ses parents et une partie de sa fratrie. Dans ces conditions, le préfet de la Gironde n'a pas, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but poursuivi. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
8. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. B... tendant à l'annulation du refus de titre de séjour en litige doivent être rejetées.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour doit être écarté.
10. En deuxième lieu, compte tenu des circonstances exposées au point 7, le moyen tiré de ce que la décision d'obligation de quitter le territoire français méconnaitrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne l'interdiction de retour :
11. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".
12. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au préfet, s'il entend assortir sa décision portant obligation de quitter le territoire dans un délai déterminé, d'une interdiction de retour sur le territoire, dont la durée ne peut dépasser deux ans, de prendre en considération les quatre critères énumérés par l'article précité que sont la durée de présence sur le territoire de l'intéressé, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France et les circonstances, le cas échéant, qu'il ait fait l'objet d'une ou plusieurs précédentes mesures d'éloignement et que sa présence constitue une menace pour l'ordre public.
13. Le préfet de la Gironde a notamment fondé sa décision en retenant que M. B... représentait une menace à l'ordre public. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 4 qu'un tel motif est entaché d'illégalité. Il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas allégué en défense, que le préfet de la Gironde aurait pris la même décision en se fondant sur les autres motifs retenus dans l'arrêté attaqué. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté en litige en tant qu'il porte interdiction de retour sur le territoire français.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. Le présent arrêt qui annule seulement l'interdiction de retour sur le territoire français contenue dans l'arrêté en litige n'appelle pas de mesure d'exécution particulière.
Sur les frais de l'instance :
16. Dans les circonstances de l'espèce, l'Etat n'est pas la partie principalement perdante à l'instance. Par suite, les conclusions présentées par le requérant au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2305497 du tribunal administratif de Bordeaux du 13 février 2024 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français contenue dans l'arrêté du 31 août 2023.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Gironde du 31 août 2023 est annulé en tant qu'il porte interdiction de retour sur le territoire français
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente de chambre,
M. Nicolas Normand, président assesseur,
Mme Clémentine Voillemot, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 octobre 2024.
La rapporteure,
Clémentine Voillemot
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°24BX00635