Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 27 février 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a interdite de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2301863 du 8 juin 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er mars 2024, Mme B..., représentée par Me Pardoe, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 8 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 27 février 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a interdite de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la recevabilité :
- sa requête est recevable dès lors que la décision du bureau d'aide juridictionnelle a été notifiée par lettre simple à une date indéterminée ;
En ce qui concerne le jugement attaqué :
- le tribunal a commis une erreur de fait quant à la teneur des documents communiqués permettant de justifier de la réalité de son intégration professionnelle ;
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'exercice par le préfet de la Gironde de son pouvoir de régularisation au titre du travail, compte tenu de l'ancienneté de son séjour en France, de son intégration professionnelle, de ce qu'elle ne constitue pas une menace à l'ordre public et de la nature de ses liens familiaux en France et dans son pays d'origine ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- cette décision est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :
- cette décision est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- à titre principal, la requête est irrecevable pour cause de tardiveté ;
- à titre subsidiaire, il confirme les termes de son mémoire en défense de première instance.
Par une décision n° 2023/008460 du 21 septembre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Béatrice Molina-Andréo,
- et les observations de Me Pardoe, représentant Mme A... B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante marocaine née le 21 mars 1987, est entrée régulièrement en France le 26 septembre 2011, munie d'un visa étudiant valable jusqu'au 25 septembre 2012. Elle a par la suite bénéficié de titres de séjour en qualité d'étudiante, le dernier en date étant valable du 26 septembre 2014 au 25 septembre 2015. Ayant sollicité le renouvellement de son titre de séjour, le préfet de la Gironde a refusé de faire droit à sa demande et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, par un arrêté du 26 novembre 2015 dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1600747 du 30 mai 2016. Mme B... a, le 2 octobre 2017, de nouveau sollicité son admission au séjour. Par courrier du 2 janvier 2018, le préfet de la Gironde a refusé de lui accorder un titre de séjour et lui a enjoint d'exécuter la mesure d'éloignement prise à son encontre le 26 novembre 2015. Mme B... a, par courrier du 18 mars 2022, déposé une nouvelle demande de titre de séjour auprès des services de la préfecture de la Gironde, sur le fondement des dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 27 février 2023, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a interdite de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par la présente requête, Mme B... relève appel du jugement du 8 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familial ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / (...) ". L'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui porte sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaires prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-marocain prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant marocain souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 435-1 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, au sens de l'article 9 de cet accord. Toutefois, les stipulations de cet accord n'interdisent pas au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation à un ressortissant marocain qui ne remplirait pas les conditions auxquelles est subordonnée la délivrance de plein droit d'un titre de séjour en qualité de salarié.
3. Mme B... soutient que depuis son arrivée en France en 2011, elle bénéficie d'une bonne intégration. Il ressort des pièces du dossier qu'après l'obtention d'un master d'arts-lettres-langues mention langues, littératures et civilisation étrangères et régionales délivré au titre de l'année universitaire 2018/2019 par l'université Bordeaux III dans le cadre du parcours type " les andalus : domaines historiques arabophones et ibérique ", Mme B... a en particulier conclu, en pleine période de crise sanitaire résultant de l'épidémie de covid-19, des contrats à durée déterminée en vue du remplacement d'agents absents au sein d'instituts médico-éducatif et médico-pédagogique, avant de signer le 28 août 2020 un contrat à durée indéterminée avec l'association Le Prado pour exercer des fonctions d'agent de service intérieur faisant fonctions de maitresse de maison au sein de l'institut médico-éducatif " Les joualles " situé à Talence. Il ressort des pièces du dossier que la requérante y occupe depuis lors un emploi à temps plein lui assurant un revenu au moins égal au SMIC. Si la commission du titre de séjour a émis le 7 décembre 2022 un avis défavorable, aux motifs que Mme B... ne pouvait se prévaloir de lien privé et familial en France, et qu'il ne pouvait être retenu le caractère exceptionnel de sa situation, il ressort des pièces du dossier, et en particulier de l'attestation non contestée de l'association Le Prado du 2 décembre 2022 faisant état de ce qu'elle a " sollicité à plusieurs reprises le Pôle emploi qui n'a pas été en mesure de [...] proposer des candidats ", que cet employeur doit être regardé comme ayant effectivement, en vain, fait des recherches sur le marché du travail pour pourvoir le poste attribué à la requérante. Dans ces conditions, au regard tant de l'ancienneté du séjour de la requérante, des caractéristiques des emplois occupés, de son expérience professionnelle, du caractère suffisant des revenus dont elle bénéficie et de la stabilité de l'activité professionnelle exercée, le préfet de la Gironde a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'exercice de son pouvoir de régularisation, en refusant de délivrer à Mme B... un titre de séjour.
4. Il résulte ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande d'annulation de la décision de refus de titre de séjour du 27 février 2023 et, par voie de conséquence, des décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixation du pays de renvoi, et interdiction de retour pour une durée de deux ans, prises sur son fondement.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
5. Eu égard au motif d'annulation retenu, seul susceptible de l'être, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, de délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " à Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
6. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, Me Pardoe, de la somme de 1 200 euros, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet de la Gironde du 27 février 2023 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pardoe, avocat de Mme B..., la somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président,
Mme Evelyne Balzamo, présidente de chambre,
Mme Béatrice Molina-Andréo, présidente-assesseure.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2024.
La rapporteure,
Béatrice Molina-Andréo
Le président,
Luc Derepas
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 24BX00535