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09/01/2025 | FRANCE | N°22BX03028

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 6ème chambre, 09 janvier 2025, 22BX03028


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

La société Gaïa General Trade a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017.



Par un jugement n°2000507 du 13 octobre 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires,

enregistrés le 8 décembre 2022, le 11 mai 2023, le 15 décembre 2023, le 22 janvier 2024, le 8 mars 2024 et le 9 avril 2024...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Gaïa General Trade a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017.

Par un jugement n°2000507 du 13 octobre 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 8 décembre 2022, le 11 mai 2023, le 15 décembre 2023, le 22 janvier 2024, le 8 mars 2024 et le 9 avril 2024, la société Gaïa General Trade, représentée par Me Boulin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 13 octobre 2022 du tribunal administratif de Pau ;

2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017 ;

3°) subsidiairement, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) d'une question préjudicielle ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- si les factures de livraisons intracommunautaires ne mentionnaient pas l'article 141 de la directive 2006/112/UE du 28 novembre 2016, et si les états récapitulatifs visés à l'article 289 B du code général des impôts, déposés pour ces opérations, ne mentionnaient pas le montant total hors taxe sur la valeur ajoutée des livraisons effectuées, elle n'a pas pour autant renoncé au bénéfice de la mesure de simplification prévue par le II de l'article 258 D du même code ;

- conformément à la jurisprudence de la CJUE, en particulier la décision Firma Hans Bühler KG numéro C-580/16 du 19 avril 2018, le non-respect d'une exigence formelle ne saurait remettre en cause la simplification triangulaire dès lors que les conditions de fond sont par ailleurs satisfaites et que tout risque de fraude est écarté ;

- pour toutes les opérations réalisées, elle s'est assurée que le numéro intracommunautaire communiqué était valide et elle est en mesure de justifier que ses clients ont régulièrement déclaré les acquisitions réalisées auprès d'elle ;

- par un arrêt du 10 février 2015, la Cour de cassation a dit pour droit qu'un " assujetti à la TVA disposant de justificatifs de l'expédition de biens à destination d'un autre État membre et du numéro d'identification à la TVA de l'acquéreur est présumé avoir effectué une livraison intra-communautaire exonérée, à moins que l'administration n'établisse que la livraison en cause n'a pas eu lieu " ; cet arrêt est transposable au cas d'espèce ;

- en prévoyant une condition tenant à l'apposition, sur les factures établies à destination du client final, de la mention relative à l'application de l'article 141 de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, le c du II de l'article 258 D du code général des impôts contrevient aux principes de neutralité, de sécurité juridique et de proportionnalité consacrés par le droit communautaire ;

- subsidiairement, la cour devrait saisir la CJUE de la question préjudicielle suivante : " Doit-on considérer que la disposition visée au c) du 1° du II de l'art. 258 D du Code général des impôts de la République française, constitue une obligation substantielle qui répond aux objectifs de la Directive 2006/112/CE, ou bien doit-elle être analysée comme une obligation formelle, comme au sens donné par la CJUE dans son arrêt C-580/16 s'agissant des obligations relatives au dépôt de l'état récapitulatif qui figure à l'article 42, sous b) de la directive TVA ' " ;

- le service a méconnu sa doctrine résultant du document référencé BOI-3-C-A 03 du 7 août 2003 et ne peut par ailleurs se prévaloir de sa propre doctrine applicable selon elle au litige, pour fonder une imposition ;

- en se prévalant de l'arrêt de la CJUE Luxury Trust Automobil Gmbh, l'administration a méconnu l'article 57 du code général des impôts dès lors que la proposition de rectification ne fait référence ni à cet arrêt ni à l'article 226 de la directive TVA citée dans cet arrêt ;

- l'administration ne pouvait procéder, alors qu'un appel est pendant à l'exécution du jugement attaqué, par voie d'avis à tiers détenteur, " révoquant " ainsi le sursis de paiement ;

- elle devrait se voir reconnaître le droit à l'erreur désormais inscrit dans la loi.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 avril 2023, le 5 janvier 2024, le 22 février 2024, le 4 avril 2024 et le 25 avril 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et s'en remet à la cour s'agissant de l'opportunité de saisir la CJUE d'une question préjudicielle.

Par une ordonnance du 5 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 avril 2018, n° C-580/16, Firma Hans Bühler KG c/ Finanzamt de Graz-Stadt ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 8 décembre 2022 n° 247/21, Luxury Trust Automobil GmbH ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caroline Gaillard,

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Boulin, représentant la société Gaïa General Trade.

Considérant ce qui suit :

1. La société Gaïa General Trade, dont le siège social est situé à Bayonne (Pyrénées- Atlantiques), a pour activité le négoce international de produits verriers pour le bâtiment et l'industrie. À l'issue d'une vérification de sa comptabilité portant sur la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017, l'administration fiscale a remis en cause, selon la procédure contradictoire et par une proposition de rectification du 3 octobre 2018, la déduction de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle avait opérée à raison d'acquisitions intracommunautaires triangulaires dont le lieu d'imposition est réputé se situer en France selon le II de l'article 258 C du code général des impôts. Les observations qu'elle a présentées le 26 novembre 2018 ont été rejetées en totalité le 7 janvier 2019. Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée, à hauteur de 135 688 euros, assortis d'intérêts de retard de 5 941 euros, ont été mis en recouvrement le 4 mars 2019, au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017. La réclamation préalable qu'elle a formée le 4 mars 2019 a été rejetée par une décision du 2 janvier 2020. La société Gaïa General Trade a alors demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal a rejeté sa demande qu'elle réitère devant la cour.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. La société appelante ne peut utilement se prévaloir, à l'appui du moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification, de ce que le ministre a fait état, dans ses écritures en défense, de l'arrêt n° 247/21 du 8 décembre 2022, Luxury Trust Automobil GmbH de la Cour de justice de l'Union européenne, qui constitue seulement un élément de droit à l'appui de son argumentation.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

S'agissant de la charge de la preuve :

3. Lorsque, sur le fondement des dispositions de l'article 271, 272 et 283 du code général des impôts, l'administration met en cause la déductibilité de la taxe ayant grevé l'acquisition d'un bien ou d'un service, au motif que ce bien ou ce service n'a pas été utilisé pour les besoins des opérations imposables du redevable ou lorsque l'existence d'un lien direct et immédiat entre les opérations en amont et la réalisation d'opérations en aval taxées ou exonérées de taxe sur la valeur ajoutée n'est pas établi, il lui appartient, lorsqu'elle a mis en œuvre la procédure de rectification contradictoire et que le contribuable n'a pas accepté la rectification qui en découle, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour prouver que les conditions posées pour une telle déduction à l'article 271 du code général des impôts ne sont pas remplies. En l'espèce, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige procèdent de rectifications opérées selon la procédure de rectification contradictoire et la société appelante n'a pas accepté les rectifications litigieuses. Par suite, la charge de la preuve des faits sur lesquels elle se fonde incombe à l'administration fiscale.

4. Il appartient au juge de l'impôt d'apprécier si la condition de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée tenant à ce que les biens ont été effectivement expédiés ou transportés hors de France par le vendeur, par l'acquéreur ou par un tiers pour leur compte, à destination d'un autre État membre, est remplie et que ces livraisons ont ou n'ont pas été grevées de taxe sur la valeur ajoutée. Le juge de l'impôt se prononce au vu de l'instruction et compte tenu du fait que seul le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est en mesure de produire les documents relatifs à la livraison intracommunautaire ou à l'exportation des biens lorsqu'il l'a lui-même assurée, ou tout document de nature à justifier leur livraison effective lorsque le transport a été assuré par l'acquéreur ou par un tiers pour leur compte et permettant d'établir l'existence d'un lien direct et immédiat entre les opérations en amont et la réalisation d'opérations en aval taxées ou exonérées de taxe sur la valeur ajoutée.

S'agissant de l'application de la loi fiscale :

5. D'une part, aux termes de l'article 40 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil du 13 juillet 2010, dite directive TVA : " Le lieu d'une acquisition intracommunautaire de biens est réputé se situer à l'endroit où les biens se trouvent au moment de l'arrivée de l'expédition ou du transport à destination de l'acquéreur. ". Aux termes de l'article 41 de cette directive : " Sans préjudice des dispositions de l'article 40, le lieu d'une acquisition intracommunautaire de biens visée à l'article 2, paragraphe 1, point b) i), est réputé se situer sur le territoire de l'Etat membre qui a attribué le numéro d'identification TVA sous lequel l'acquéreur a effectué cette acquisition, dans la mesure où l'acquéreur n'établit pas que cette acquisition a été soumise à la TVA conformément à l'article 40./ Si, en application de l'article 40, l'acquisition est soumise à la TVA dans l'Etat membre d'arrivée de l'expédition ou du transport des biens après avoir été soumise à la taxe en application du premier alinéa, la base d'imposition est réduite à due concurrence dans l'Etat membre qui a attribué le numéro d'identification TVA sous lequel l'acquéreur a effectué cette acquisition. " Selon l'article 42 de cette même directive : " L'article 41, premier alinéa, ne s'applique pas et l'acquisition intracommunautaire de biens est réputée avoir été soumise à la TVA conformément à l'article 40, lorsque les conditions suivantes sont réunies: / a) l'acquéreur établit avoir effectué cette acquisition pour les besoins d'une livraison subséquente effectuée sur le territoire de l'Etat membre déterminé conformément à l'article 40, pour laquelle le destinataire a été désigné comme redevable de la taxe conformément à l'article 197 (...) ". Enfin, l'article 141 de la même directive prévoit : " Chaque Etat membre prend des mesures particulières afin de ne pas soumettre à la TVA les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées sur son territoire, en vertu de l'article 40, lorsque les conditions suivantes sont réunies:/ a) l'acquisition de biens est effectuée par un assujetti qui n'est pas établi dans cet Etat membre, mais identifié à la TVA dans un autre Etat membre ; / b) l'acquisition de biens est effectuée pour les besoins d'une livraison subséquente de ces biens, effectuée dans ce même Etat membre par l'assujetti visé au point a) ; c) les biens ainsi acquis par l'assujetti visé au point a) sont directement expédiés ou transportés à partir d'un Etat membre autre que celui à l'intérieur duquel il est identifié à la TVA et à destination de la personne pour laquelle il effectue la livraison subséquente ; d) le destinataire de la livraison subséquente est un autre assujetti, ou une personne morale non assujettie, identifiés à la TVA dans ce même Etat membre ; e) le destinataire visé au point d) a été désigné, conformément à l'article 197, comme redevable de la taxe due au titre de la livraison effectuée par l'assujetti qui n'est pas établi dans l'Etat membre dans lequel la taxe est due. ".

6. D'autre part, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; b) Celle qui est due à l'importation ; c) Celle qui est acquittée par les redevables eux-mêmes lors de l'achat ou de la livraison à soi-même des biens ou des services ; d) Celle qui correspond aux factures d'acquisition intracommunautaire établies conformément à la réglementation communautaire dont le montant figure sur la déclaration de recettes conformément au b du 5 de l'article 287. 2. La déduction ne peut pas être opérée si les redevables ne sont pas en possession soit desdites factures, soit de la déclaration d'importation sur laquelle ils sont désignés comme destinataires réels. Pour les acquisitions intracommunautaires, la déduction ne peut être opérée que si les redevables ont fait figurer sur la déclaration mentionnée au d du 1 toutes les données nécessaires pour constater le montant de la taxe due au titre de ces acquisitions et détiennent des factures établies conformément à la réglementation communautaire. Toutefois, les redevables qui n'ont pas porté sur la déclaration mentionnée au d du 1 le montant de la taxe due au titre d'acquisitions intracommunautaires sont autorisés à opérer la déduction lorsque les conditions de fond sont remplies et sous réserve de l'application de l'amende prévue au 4 de l'article 1788 A. 3. Lorsque ces factures ou ces documents font l'objet d'une rectification, les redevables doivent apporter les rectifications correspondantes dans leurs déductions et les mentionner sur la déclaration qu'ils souscrivent au titre du mois au cours duquel ils ont eu connaissance de cette rectification. (...) V. Ouvrent droit à déduction dans les mêmes conditions que s'ils étaient soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : (...) c) Les opérations exonérées en application des dispositions des articles 262 et 262 bis, du I de l'article 262 ter, de l'article 263, du 1° du II et du 2° du III de l'article 291 ; d) Les opérations non imposables en France réalisées par des assujettis dans la mesure où elles ouvriraient droit à déduction si leur lieu d'imposition se situait en France. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités et les limites du remboursement de la taxe déductible au titre de ces opérations ; ce décret peut instituer des règles différentes suivant que les assujettis sont domiciliés ou établis dans les Etats membres de l'Union européenne ou dans d'autres pays (...) ".

7. Aux termes de l'article 258 C du code général des impôts : " I. Le lieu d'une acquisition intracommunautaire de biens meubles corporels est réputé se situer en France lorsque les biens se trouvent en France au moment de l'arrivée de l'expédition ou du transport à destination de l'acquéreur. / II. Le lieu de l'acquisition est réputé se situer en France si l'acquéreur a donné au vendeur son numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France et s'il n'établit pas que l'acquisition a été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée dans l'Etat membre de destination des biens. / Toutefois, si l'acquisition est ultérieurement soumise à la taxe dans l'Etat membre où est arrivé le bien expédié ou transporté, la base d'imposition en France est diminuée du montant de celle qui a été retenue dans cet Etat. ". Selon le II de l'article 258 D de ce code : " Pour l'application du II de l'article 258 C, sont considérées comme soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans l'Etat membre de destination des biens, les acquisitions qui y sont réalisées dans les conditions de l'article 141 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, et sous réserve que l'acquéreur : / 1° se soit assuré qu'a été délivrée la facture mentionnée à l'article 289 au destinataire de la livraison consécutive dans l'Etat membre où les biens ont été expédiés ou transportés et comportant : / a. Son numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France ; / b. Le numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée du destinataire de la livraison consécutive dans l'Etat membre où les biens ont été expédiés ou transportés ; c. La mention : " Application de l'article 141 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006 ". (...) ". Aux termes de l'article 289 B du code général des impôts : " I.- Tout assujetti identifié à la taxe sur la valeur ajoutée doit déposer, dans un délai et selon des modalités fixées par décret, un état récapitulatif des clients, avec leur numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée, auxquels il a livré des biens dans les conditions prévues au I de l'article 262 ter. "

8. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt Firma Hans Bühler KG contre Finanzamt de Graz-Stadt du 19 avril 2018 (n° 580/16) en vertu du principe de neutralité fiscale, l'omission par un assujetti de se conformer aux exigences formelles prévues à l'article 42, sous b), de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, ne saurait, par principe, conduire à remettre en question l'application de cet article. En effet, le refus d'appliquer l'article 42 de la directive pour un tel motif pourrait conduire à une double taxation, dans la mesure où l'acquéreur intermédiaire serait également taxé, en application de l'article 41, paragraphe 1, de la directive, dans l'Etat membre qui lui a attribué le numéro d'identification TVA qu'il a utilisé pour cette opération, tandis que l'acquéreur final serait également taxé en application de l'article 141, sous e), et de l'article 197 de la directive 2006/112/CE. Toutefois l'application de l'article 42 suppose que les conditions de fond qu'il prévoit soient par ailleurs satisfaites, à savoir que le destinataire de la marchandise soit désigné comme redevable de la taxe et, par suite, s'en acquitte dans l'Etat de destination. Un État membre ne saurait prévoir, sans aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour assurer l'exacte perception de la taxe, notamment la possibilité d'une rectification des factures et ou des états récapitulatifs relative aux opérations triangulaires tout en privant cette rectification d'effet en refusant à l'opérateur intermédiaire l'application rétroactive de l'article 42 de la directive 2006/112/CE si cet opérateur rapporte la preuve que les conditions de fond ont été satisfaites.

9. En premier lieu, la société appelante soutient qu'en prévoyant une condition tenant à l'apposition, sur les factures établies à destination du client final, de la mention relative à l'application de l'article 141 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, le c du II de l'article 258 D du code général des impôts contrevient aux principes de neutralité, de sécurité juridique et de proportionnalité consacrés par le droit communautaire et ajoute une condition non prévue par la directive.

10. Toutefois, d'une part, dans son arrêt n° 247/21 du 8 décembre 2022, Luxury Trust Automobil GmbH la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé qu'une opération triangulaire est une opération par laquelle un bien est livré par un fournisseur, identifié à la TVA dans un premier État membre, à un acquéreur intermédiaire, identifié à la TVA dans un deuxième État membre, qui, à son tour livre ce bien à un acquéreur final, identifié à la TVA dans un troisième État membre, ledit bien étant directement transporté du premier État membre au troisième État membre. Cette opération triangulaire peut bénéficier d'un régime dérogatoire à la règle, énoncée à l'article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA, selon laquelle les acquisitions intracommunautaires de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d'un État membre sont soumises à la TVA. Ce régime dérogatoire consiste, d'une part, à exonérer l'acquisition intracommunautaire effectuée par l'acquéreur intermédiaire, qui est identifié à la TVA dans le deuxième État membre et, d'autre part, à reporter la taxation de cette acquisition au niveau de l'acquéreur final, établi et identifié à la TVA dans le troisième État membre, l'acquéreur intermédiaire étant dispensé de l'obligation d'identification à la TVA dans ce dernier État membre. Ledit régime résulte de l'articulation entre la règle prévue à l'article 40 de cette directive et la dérogation qui découle de l'article 42 de celle-ci. En effet, l'article 40 de la directive TVA énonce la règle selon laquelle le lieu de taxation d'une acquisition intracommunautaire est l'endroit où les biens se trouvent au moment de l'arrivée de l'expédition ou du transport à destination de l'acquéreur. Afin de garantir la correcte application de cette règle, l'article 41 de cette directive prévoit que, lorsque l'acquéreur n'établit pas que l'acquisition a été soumise à la TVA conformément à l'article 40 de ladite directive, le lieu de l'acquisition intracommunautaire est réputé se situer sur le territoire de l'État membre qui a attribué le numéro d'identification TVA sous lequel l'acquéreur a effectué l'acquisition. La cour ajoute que l'article 42, sous a) de la directive 2006/112/CE, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du 13 juillet 2010, lu en combinaison avec l'article 197, 1-c de la directive 2006/112, doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'une opération triangulaire, l'acquéreur final n'a pas été valablement désigné comme étant redevable de la TVA lorsque la facture émise par l'acquéreur intermédiaire ne contient pas la mention "Autoliquidation" visée à l'article 226, 11 bis de la directive 2006/112. Elle ajoute que le régime dérogatoire prévu aux articles 42 et 141 de la directive étant facultatif, cette formalité permet de garantir que le destinataire final d'une livraison a connaissance de ses obligations fiscale. Il suit de là qu'en prévoyant, dans le cadre d'une opération triangulaire, que la facture doit mentionner la formule " Application de l'article 141 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006 ", le c du II de l'article 258 D du CGI est conforme aux objectifs de la directive qu'il transpose en droit national, et ne contrevient à aucun principe dont la méconnaissance est invoquée.

11. D'autre part, alors que l'article 273 de la directive précitée permet aux Etats membres de prévoir d'autres obligations qu'ils jugeraient nécessaires pour assurer l'exacte perception de la TVA et éviter la fraude, l'obligation de faire figurer sur les factures la mention de l'article 141 de la directive TVA n'excède pas les limites fixées par cet article dès lors qu'elle permet au destinataire, contrairement à la seule référence au code général des impôts, de comprendre, quel que soit son Etat d'implantation, le régime de simplification applicable à ses acquisitions.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que le moyen tiré de l'inconventionnalité des dispositions de l'article 258 D doit être écarté dans toutes ses branches.

13. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la société Gaïa General Trade a, au cours de la période en litige, acquis des produits verriers dans des pays de l'Union européenne pour les livrer dans d'autres pays de l'Union européenne en communiquant à ses fournisseurs son numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France, et qu'elle les a soumis à la taxe sur la valeur ajoutée en France en procédant à son auto-liquidation et à sa déduction immédiate. À l'issue de la vérification de comptabilité dont la société Gaïa General Trade a fait l'objet, l'administration a considéré que la requérante, en s'abstenant de faire figurer sur les factures délivrées à ses clients la mention relative à l'article 141 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 qui permet d'identifier le client final comme le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée, et en omettant de préciser, dans les états récapitulatifs prévus par l'article 289 B du code général des impôts, pour chaque destinataire, le montant hors taxe des livraisons de biens intracommunautaires, avait renoncé à la mesure de simplification transposée au II de l'article 258 D du code général des impôts. Elle a donc fait application du mécanisme du " filet de sécurité " prévu à l'article 258 C du même code et a rejeté la déduction immédiate de taxe sur la valeur ajoutée auto-liquidée par la requérante au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017.

14. Pour contester les rappels mis à sa charge en conséquence, la société appelante persiste à soutenir que si les factures de livraisons intracommunautaires ne mentionnaient pas l'article 141 de la directive 2006/112/UE du 28 novembre 2016, et si les états récapitulatifs visés à l'article 289 B du code général des impôts déposés pour ces opérations ne mentionnaient pas le montant total hors taxe sur la valeur ajoutée des livraisons effectuées, elle n'a pas pour autant renoncé au bénéfice de la mesure de simplification prévue par le II de l'article 258 D du même code. Elle soutient également que, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, en particulier la décision Firma Hans Bühler KG contre Finanzamt de Graz-Stadt numéro C-580/16 du 19 avril 2018, le non-respect d'une exigence formelle ne saurait remettre en cause la simplification triangulaire dès lors que les conditions de fond sont par ailleurs satisfaites et que tout risque de fraude est écarté, et qu'enfin, pour toutes les opérations réalisées, elle s'est assurée que le numéro intracommunautaire communiqué était valide et qu'elle est en mesure de justifier que ses clients ont régulièrement déclaré les acquisitions réalisées auprès d'elle alors même qu'elle n'a pas respecté le formalisme requis.

15. Il est constant que les factures de vente de produits verriers, délivrées par la société Gaïa General Trade à ses clients espagnols et portugais, ne comportent pas la mention de l'article 141 de la directive, prévue au c. du 2° du II de l'article 258 D. Cette mention contrairement à ce que soutient la société requérante, est substantielle dès lors qu'elle permet de déterminer le client final comme le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée. Il est par ailleurs constant que les états récapitulatifs prévus à l'article 289 B ne comportaient pas, pour chaque destinataire, le montant hors taxe des livraisons de biens intracommunautaires en cause. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction et il n'est d'ailleurs pas allégué par la société requérante, que des factures rectificatives portant ladite mention et/ou un état récapitulatif rectifiés auraient été établies a posteriori. Si la société Gaïa General Trade entend se prévaloir de certaines déclarations d'acquisitions intracommunautaires réalisées par ses clients dans le pays de livraison, elle n'établit pas, par la seule production de ces déclarations d'échange de bien, avoir acquitté la taxe sur la valeur ajoutée grevant le montant déclaré par ses clients. En outre, ladite société ne peut utilement se prévaloir d'un arrêt du 10 février 2015, rendu par la Cour de cassation qui, étant relatif à la justification des livraisons intracommunautaires dans le cadre du régime douanier dit " régime 42 ", n'est pas transposable au présent litige.

16. Dans ces conditions, les opérations litigieuses réalisées par la société Gaïa General Trade, par lesquelles elle a acquis des produits verriers auprès de fournisseurs établis en Italie et en Bulgarie et les a acheminés directement auprès de clients établis dans d'autres États membres de l'Union européenne (Espagne et Portugal) sans que ces biens soient introduits physiquement en France, dès lors qu'il est constant que cette société a donné son numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée en France et qu'elle n'établit pas, ce qu'elle est seule en mesure de pouvoir faire, qu'elle aurait elle-même acquitté la taxe sur la valeur ajoutée sur ces acquisitions intracommunautaires dans l'État membre de destination des biens, relèvent de la situation visée au II de l'article 258 C du code général des impôts. Par suite, faute de remplir les conditions de fond énoncées par l'article 42, sous a), de la directive TVA citée, transposées au II de l'article 258 D du code général des impôts, la société Gaïa General Trade ne saurait bénéficier, s'agissant de la taxe ayant grevé ces acquisitions, du régime général de déduction prévu par l'article 271 du code général des impôts, ni sur le fondement du d) du II de cet article, ni sur celui du d) de son V.

17. En troisième lieu, si la société appelante soutient que le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée aurait été méconnu par l'administration fiscale française, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les opérations en cause auraient été soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les Etats membres de destination des marchandises en litige, le principe de neutralité, dont la violation découlerait d'une double imposition, n'a pas été méconnu.

18. En quatrième lieu, la société Gaïa General Trade qui n'établit pas avoir régularisé sa situation et n'assortit pas son moyen de précisions suffisantes, tandis que l'administration n'était pas tenue de l'inviter à le faire, n'est, en tout état de cause, pas fondée à invoquer le droit à l'erreur reconnu par les dispositions de l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration.

19. En dernier lieu, la société Gaïa General Trade ne peut utilement contester les mesures de mise en recouvrement des impositions en litige qui ne relèvent pas d'un litige d'assiette.

S'agissant de l'interprétation administrative de la loi fiscale :

20. D'une part, la société appelante ne peut utilement se prévaloir de la doctrine référencée BOI-3-C-A 03 du 7 août 2003 qui n'était plus en vigueur à la date des exercices contrôlés, l'ensemble des commentaires administratifs publiés antérieurement au 12 septembre 2012 ayant été rapporté à compter du 12 septembre 2012 par l'instruction BOI-13 A-2-12 n°64 du 7 septembre 2012.

21. D'autre part, l'administration n'a pas prétendu fonder sa position sur sa doctrine.

22. Il résulte de tout ce qui précède, que la société appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Gaïa General Trade au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Gaïa General Trade est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Gaïa General Trade et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Stéphane Gueguein, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 janvier 2025.

La rapporteure,

Caroline Gaillard

La présidente,

Karine Butéri

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX03028


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX03028
Date de la décision : 09/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : SELAS FRB AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-09;22bx03028 ?
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