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14/01/2025 | FRANCE | N°22BX01715

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 4ème chambre, 14 janvier 2025, 22BX01715


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 ainsi que de l'amende de 50 % prévue par l'article 1737 du code général des impôts.



Par un jugement n° 1900974 du 26 avril 2022, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.





Procédure devant

la cour :



Par une requête et un mémoire, respectivement enregistrés les 27 juin 2022 et 10 janvier 2023, Mme A.....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 ainsi que de l'amende de 50 % prévue par l'article 1737 du code général des impôts.

Par un jugement n° 1900974 du 26 avril 2022, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, respectivement enregistrés les 27 juin 2022 et 10 janvier 2023, Mme A..., représentée par Me Hoarau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 26 avril 2022 ;

2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 ainsi que de l'amende de 50 % prévue par l'article 1737 du code général des impôts, pour un montant total de 71 957 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité de la procédure :

- elle a été privée d'un véritable débat oral et contradictoire avec le vérificateur dès lors que, sur les trois interventions organisées sur place les 30 septembre, 13 octobre et 23 octobre 2014, seule la journée du 13 octobre a permis ce débat ; en outre, ces trois dates d'interventions ont été communes à celles des contrôles diligentés à l'encontre d'autres sociétés en lien avec son entreprise individuelle ;

- compte tenu du motif invoqué dans la proposition de rectification du 26 décembre 2017, l'administration s'est implicitement placée dans le cadre de la procédure de l'abus de droit fiscal, prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, sans en respecter les garanties ;

- l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1737 du code général des impôts est insuffisamment motivée ;

Sur le bien-fondé de l'amende :

- les dispositions du 2 du I. de l'article 1737 du code général des impôts, qui fondent la sanction en litige, sont inconstitutionnelles au regard du principe de proportionnalité des délits et des peines eu égard à l'absence de plafonnement et du caractère fixe du taux de l'amende qu'elles prévoient ;

- ces mêmes dispositions sont inconventionnelles au regard de l'article 49 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, relatif aux principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 13 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 octobre 2024 à 12 heures.

Un mémoire a été présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie le 15 octobre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lucie Cazcarra ;

- et les conclusions de Mme Pauline Reynaud, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a exercé à titre individuel, à compter du 1er janvier 2008, une activité de travaux administratifs sous l'enseigne NB Assistance. Cette activité a fait l'objet d'une vérification de comptabilité sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 à l'issue de laquelle, par une proposition de rectification du 28 novembre 2014 puis une proposition de rectification substitutive du 26 décembre 2017, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des majorations correspondantes ainsi que l'amende fiscale prévue par l'article 1737 du code général des impôts ont été mis à sa charge au titre de la période considérée, pour un montant total de 71 957 euros. Par la présente requête, Mme A... relève appel du jugement du 26 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions mises à sa charge.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales en vigueur lors de la procédure d'imposition en litige : " I.- Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. (...) ". Dans le cas où la vérification de comptabilité d'une entreprise a été effectuée, soit, comme il est de règle, dans ses propres locaux, soit, si son dirigeant ou représentant l'a expressément demandé, dans les locaux du comptable auprès duquel sont déposés les documents comptables, c'est au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat.

3. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 26 décembre 2017 adressée à Mme A..., que la vérification de comptabilité dont son activité a fait l'objet, devait se dérouler à compter du 1er octobre 2014 au siège social de son entreprise. A la demande expresse de Mme A..., la première intervention, qui a eu lieu au siège social de son entreprise à Sainte-Clotilde, a été avancée au 30 septembre 2014 et les interventions suivantes, qui ont eu lieu les 13 et 23 octobre 2014, se sont tenues à une nouvelle adresse située à Saint-Paul, indiquée par Mme A... " pour des raisons de commodité et de confidentialité ". Mme A..., présente lors de ces trois interventions, a ainsi eu la possibilité de s'entretenir avec le vérificateur en se référant notamment au fichier des écritures comptables remis lors de la première intervention conformément à ce que prévoit l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales. Mme A... n'apporte pas la preuve qui lui incombe qu'elle n'aurait pas bénéficié, à l'occasion de ces entrevues, dont le nombre était suffisant au regard de la nature et de l'importance des rectifications envisagées, d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur. Quant à la circonstance que les trois interventions du vérificateur ont été communes aux contrôles de plusieurs sociétés en lien ou détenues pour partie par Mme A..., elle est sans incidence sur la régularité de la procédure dès lors que les rectifications et pénalités en litige procèdent précisément des liens de dépendance existant entre ces différentes entités.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité (...) ".

5. Il résulte de l'instruction que si l'administration a, dans la cadre de sa proposition de rectification initiale du 28 novembre 2014, indiqué que les contrats de sous-traitance conclus entre Mme A... et l'EURL Bourbon Expertises Conseils (BEC), d'une part, et entre Mme A... et la SARL Bourbon Assistance Conseils (BAC), d'autre part, étaient constitutifs d'un abus de droit, elle n'en a plus fait état dans la proposition de rectification substitutive du 26 décembre 2017. Ainsi, tant dans cette dernière proposition de rectification qu'au cours de la présente instance, l'administration fait valoir que les factures émises par Mme A... au nom des clients EURL BEC et SARL BAC n'ont généré aucun flux financier de type client/fournisseur et que, par conséquent, ces factures présentaient un caractère fictif. Ce faisant, l'administration n'a argué, même implicitement, de la dissimulation de la portée véritable des conventions conclues avec l'EURL BEC et la SARL BAC ni commis un détournement de procédure. Il s'ensuit que Mme A... n'est pas fondée à invoquer les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et plus particulièrement l'absence de suite donnée à sa demande de saisine du comité consultatif pour la répression des abus de droit.

6. En dernier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits reprochés : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable ". Aux termes du I de l'article 1737 du code général des impôts, dans sa version alors en vigueur : " Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant : (...) 2. De la facture, le fait de délivrer une facture ne correspondant pas à une livraison ou à une prestation de service réelle ; (...) ".

7. La proposition de rectification du 26 décembre 2017 cite les dispositions du 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts qui ont été appliquées et mentionne que certaines factures, précisément identifiées, ont été établies à la seule fin de créer des charges déductibles des résultats de l'EURL BEC et de la SARL BAC. Elle précise également le montant de chacune des factures en cause permettant de calculer l'assiette de l'amende. Le moyen tiré du défaut de motivation au sens des dispositions de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales précitées doit par conséquent être écarté comme manquant en fait.

Sur le bien-fondé de l'amende prévue par le 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts :

8. En premier lieu, le moyen tiré de l'inconstitutionnalité des dispositions du 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts est irrecevable faute d'avoir fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par un mémoire distinct. En tout état de cause, le Conseil constitutionnel a jugé dans sa décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997 que l'amende pour facture fictive n'était pas manifestement disproportionnée par rapport au manquement que constitue l'établissement de factures qui ne correspondent pas à une livraison ou à une prestation de service réelle.

9. En second lieu, aux termes du paragraphe 3 de l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " L'intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l'infraction ".

10. Mme A... soutient que les dispositions du 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts sont inconventionnelles au regard des stipulations de l'article précité ainsi qu'au regard du droit au respect des biens garanti par l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Toutefois, en déterminant le montant de cette amende en proportion du montant des sommes reçues au titre d'une facture fictive, les dispositions du 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts ont retenu une assiette en rapport avec l'infraction commise tenant au fait de délivrer une facture ne correspondant pas à une livraison ou à une prestation de service réelle. Par ailleurs, en appliquant au montant des sommes reçues un taux de 50 %, les dispositions contestées ont retenu un montant d'amende qui n'est pas disproportionné par rapport à la gravité des manquements que ces dispositions répriment, dès lors que ces manquements, réalisés par des professionnels dans le cadre de leur activité, font obstacle au contrôle des comptabilités tant du vendeur que de l'acquéreur d'un produit ou d'une prestation de service ainsi qu'au recouvrement des impositions dont ils sont le cas échéant redevables. Enfin, l'amende ne revêt aucun caractère automatique mais est prononcée par l'administration après avoir apprécié la matérialité des infractions en tenant compte des circonstances propres à chaque situation, au vu notamment des observations présentées par le contribuable et sous le plein contrôle du juge de l'impôt. Dès lors, l'amende ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs d'assurer l'exacte perception de la taxe et d'éviter la fraude. Par suite, et en tout état de cause, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts portent une atteinte disproportionnée, au regard de l'objectif poursuivi, au droit au respect des biens garanti par les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni qu'elles méconnaissent l'article 49 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Lucie Cazcarra, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 janvier 2025.

La rapporteure,

Lucie CazcarraLa présidente,

Frédérique Munoz-Pauziès La greffière,

Laurence Mindine

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX01715


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01715
Date de la décision : 14/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MUNOZ-PAUZIES
Rapporteur ?: Mme Lucie CAZCARRA
Rapporteur public ?: Mme REYNAUD
Avocat(s) : SELARL DAVID HOARAU - MATHIEU GIRARD

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-14;22bx01715 ?
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