Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 12 février 2024 par lequel le préfet de la Dordogne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son égard une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans.
Par un jugement no 2401113 du 16 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 mars 2024, M. B..., représenté par Me Essombe, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement no 2401113 du 16 février 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 février 2024 par lequel le préfet de la Dordogne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son égard une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Dordogne de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, un récépissé dans l'attente de l'examen de sa demande, le tout dans un délai de quinze jours après la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle porte atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans est disproportionnée.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 septembre 2024, le préfet de la Dordogne conclut au rejet de la requête.
Par une ordonnance du 7 août 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 30 octobre 2024.
Par une décision du 11 avril 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à M. B... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Laurent Pouget a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant nigérian né le 22 août 1996, est entré sur le territoire français, selon ses déclarations, au mois d'août 2017, via l'Italie. Par une décision du 29 août 2018, confirmée par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 18 juillet 2019, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile. Par un arrêté du 29 décembre 2020, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français. M. B... a demandé le réexamen de sa demande d'asile, mais sa demande a été rejetée par une décision de l'OFPRA du 26 mai 2021, confirmée par une décision de la CNDA du 25 août 2021. Par un arrêté du 22 mars 2022, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 avril 2022 puis par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux n° 22BX01594 du 21 décembre 2022, la préfète de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et l'a assigné à résidence pour une durée de 45 jours. Cet arrêté n'a pas été exécuté et, par un arrêté du 12 février 2024, le préfet de la Dordogne lui a une nouvelle fois fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son égard une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cet arrêté du 12 février 2024.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ". Aux termes de l'article L. 612-1 de ce code : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision (...) ". Selon l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. " L'article L. 612-3 de ce code précise : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...) ". Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français (...) ". Selon l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Et aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
4. Ainsi qu'il a été dit, M. B... est entré sur le territoire français, selon ses déclarations, au mois d'août 2017. Il s'est maintenu illégalement sur le territoire national en méconnaissance de deux précédentes obligations de quitter le territoire français prononcées le 29 décembre 2020 et le 22 novembre 2022. Il est sans emploi et ne démontre pas avoir tissé en France des liens sociaux anciens et stables. Il s'ensuit qu'il ne justifie pas d'efforts réels d'insertion en France, en dépit de sa présence régulière à des cours de français dispensés dans un cadre associatif. Par ailleurs, il ressort d'un procès-verbal d'audition du 12 février 2024 que M. B... a été interpellé et placé en garde à vue à Périgueux pour des faits de violences intrafamiliales. Toutefois, il établit l'existence d'une vie commune à Périgueux depuis novembre 2022 avec une ressortissante nigériane, titulaire d'une carte de résident de dix ans, délivrée pour la période du 13 mai 2022 au 12 mai 2032. Ces derniers ont conclu un pacte civil de solidarité le 22 février 2023 et se sont mariés le 2 septembre suivant. Un enfant est né de cette union à Périgueux le 4 novembre 2021 et M. B... établit contribuer de manière effective à son éducation. En outre, la compagne du requérant détient un titre de séjour d'une durée de 10 ans portant la mention " étranger victime de traite d'êtres humains " de sorte que la cellule familiale ne peut se transporter dans leur pays d'origine. Dans ces conditions, par la décision attaquée, le préfet de la Dordogne a porté une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant et à l'intérêt supérieur de son enfant, en méconnaissance des stipulations des conventions précitées. Par suite, M. B... est fondé à demander l'annulation de la mesure d'éloignement prise à son encontre.
5. L'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français entraine, par voie de conséquence et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, l'annulation des décisions portant interdiction de quitter le territoire pour une durée de trois ans et fixant le pays de destination.
6. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le premier juge a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. L'annulation d'une obligation de quitter le territoire français n'implique pas la délivrance d'un titre de séjour mais, en vertu des dispositions de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autorité administrative doit alors statuer de nouveau sur le cas de l'étranger. Ainsi, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Dordogne de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour.
Sur les frais liés au litige :
8. M. B... s'est vu accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 11 avril 2024. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à son avocat, Me Essombe, sous réserve de renonciation de sa part à percevoir la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement no 2401113 du 16 février 2024 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 12 février 2024 du préfet de la Dordogne portant obligation de quitter le territoire français sans délai, interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans et fixant le pays de renvoi est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Dordogne de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, en le munissant dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'État est condamné à verser la somme de 1 200 euros à Me Essombe, sous réserve de renonciation de sa part à percevoir la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Dordogne, à M. A... B... et à Me Olivier Enyenge Essembe.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, présidente-assesseure,
M. Vincent Bureau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025.
La présidente-assesseure,
Marie-Pierre Beuve-DupuyLe président-rapporteur,
Laurent Pouget
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
24BX00678 2